15 avril 2020 (Cuisine et dépendances)

4 minutes de lecture

Moi : « Cochonnerie !

Elle : - Qu’est-ce qui se passe ?

Moi : - Rien n’a marché comme ça aurait dû aujourd’hui. Rien ! Quel après-midi !

Elle : - Ça ne va pas ?

Moi : - Non, regarde ! (Lui montrant ma main droite) Je n’étais pas encore entrée dans le supermarché que j’avais déjà fait un trou dans mon gant en latex.

Elle : - Décidément, le latex ne te réussit pas. Il y a trois semaines, tu y fais une réaction allergique, et aujourd’hui tu réussis à le percer ! Ne t’approche surtout pas de mes pneus !

Moi : - J’ai farfouillé dans ma poche pour y chercher mon jeton de caddie, et boum – j’ai ripé sur le trousseau de clés. N’ayant pas de paire de rechange sur moi, je n’ai eu d’autre solution que de tortiller le bout du pouce du gant afin d’y faire une sorte de nœud, et ainsi je me suis baladée dans tout le magasin en ayant l’air d’avoir le cancer du pouce droit.

Elle : - Beeeek ! D’autant que tu peux attraper le coronavirus par là ! Allez, désinfecte-moi ça tout de suite ! Pas question que tu touches mon volant avec ton gros pouce tout sale.

Moi (laissant échapper un soupir) : - Un instant, p’tite Maguette, que je trouve ma bouteille d’alcool… Tu penses bien que je n’ai toujours pas trouvé de gel hydralcoolique avec tout ça ! Et le reste fut à l’avenant ! Tout d’abord, ils ne font plus de promotion sur le caviar. Il y a trois semaines, j’étais tombée sur une offre alléchante, et puis finalement, j’avais laissé tomber. Débuter le confinement par un excès de caviar, franchement, eut-ce été raisonnable ?

Elle : - Pfff, quelle question ! On voit que c’est un supermarché de riches !

Moi : - Et comme disait Marylin Monroe, ″du caviar, oui, mais pas tous les jours″. C’était une femme de principes.

Elle : - Mmm, je te vois de moins en moins dans un stage de survie, toi…

Moi : - Ensuite, ma marque préférée a disparu des linéaires.

Elle : - C’est quoi, ta marque préférée ?

Moi : - Elle est spécialisée dans les produits du Périgord. Eh bien, pfuit, plus de rayon dédié aux produits du sud-ouest ! Avant, je n’étais pas obligée de courir à Lille pour acheter mon foie gras – parce que c’est de ça dont il s’agit !

Elle : - Allons bon ! Tout fout le camp !

Moi : - Cela dit, tout n’est pas fichu, il doit me rester deux blocs de foie gras entier dans un de mes placards. Heureusement, parce que Lille est à plus d’un kilomètre d’ici…

Elle : - Ouf. Quelques instincts survivalistes tout de même, mais pas ceux qu’on croit.

Moi : - Avec ça, toujours des rayons dévastés ici et là. On dirait le GOUM aux plus belles heures de l’Union soviétique…

Elle : - L’Union quoi ?

Moi : - …avec toujours des pénuries concernant pas mal de produits, notamment le lait en brique, le beurre – impossible de trouver mon Charentes-Poitou AOP –, et pour achever le tout, il n’y a plus de macédoine en petites boîtes !

Elle : - Quoi, la macédoine ?

Moi : - Ben oui, la macédoine ! Il suffit qu’elle ait disparu pour que j’en rêve la nuit ! J’ai jamais eu autant envie de macédoine de ma vie ! Je veux à nouveau revivre cette explosion de saveurs en bouche ! Ah, les petits pois mélangés aux navets et les carottes en cubes !!!

Elle : - Baisse un peu le ton quand tu soliloques sur les petits légumes au beau milieu du parking du supermarché ! On nous regarde, là !

Moi : - Et alors, le pompon, ce sont les lardons ! Y en a plus un seul depuis des semaines. J’avoue que je ne comprends vraiment pas cette passion subite pour les lardons. L’engouement pour le papier toilette avait déjà de quoi intriguer, mais les lardons !!!

Elle : - Chais pas, les gens se sont lancés dans des concours de quiches lorraines ?… Si je te suis bien, tu es allée traîner du côté de la charcuterie. Toujours aussi peu végétarienne, hein ?

Moi : - Nan. J’aime bien entretenir mes penchants carnivores. Du reste, je pense que le port du masque est la meilleure façon de réconcilier végétariens et carnivores : chacun continuera à manger ce qu’il veut derrière son bout de tissu.

Elle : - Et les Chinois leur pangolin… Bon, malgré le marasme ambiant, qu’est-ce que tu nous as acheté comme carburant ?

Moi : - Quelques crèmes caramel.

Elle : - Du sucre.

Moi : - De la confiture.

Elle : - Du sucre.

Moi : - Des tortillas de maïs !

Elle : - Des glucides, donc des sucres cachés.

Moi : - Des fruits frais aussi !

Elle : - Du sucre, du sucre, du sucre.

Moi : - Tu es nutritionniste, toi maintenant ?

Elle : - Non, mais je crois qu’il te faudra plus d’un stage survivaliste pour éliminer tous les futurs kilos en trop.

Moi : - Mais de quoi parles-tu ?

Elle : - Oh, j’en sais rien. Ce n’est pas moi qui me malaxe les bourrelets en soupirant très fort dès qu’on s’arrête à un feu rouge.

Moi : - Je fais ça, moi ?

Elle : - Tout le temps.

Moi : - Non mais je t’ai dit l’autre jour que je suis body positive

Elle : - Justement, j’ai pas compris. Tu peux m’expliquer ?

Moi : - Il s’agit d’accepter son corps tel qu’il est, même quand on est gros ou pas tout à fait dans les normes édictées par la société.

Elle : - Bah, tant que tu ne ressembles pas au bibendum Michelin…

Moi : - En fait, je n’ai pas encore poussé l’amour de moi jusqu’à apprécier mon tour de taille.

Elle : - L’amour de soi ne descend pas très bas chez certaines…

Moi : - Pourtant, je veille à équilibrer les choses : j’arrête de manger sucré par moments pour opter pour du gras, veillant ainsi à entretenir alternativement mon futur diabète et mon taux de mauvais cholestérol. Plus pondérée que moi, tu meurs !

Elle : - Bon, allez, miss Pondérée, il est temps de rentrer, je te rappelle que tu ne peux pas rester dehors trop longtemps … Je ne suis d’ailleurs pas sûre que le grand air te fasse si grand bien que ça ! »

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