Tête à tête

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Câble d’alimentation encore en main, Maia se tenait immobile, attendant la réaction de Lucie.

« La vache, j'espère que c’était pas une trop mauvaise idée … C’est pas vrai, qu’est-ce qui m’a pris ? Bon, tant pis, c’est fait, on va bien voir ce qu’il se passe. »

Dos à elle, Lucie, encore penchée sur son écran désormais noir, essayait en vain d’allumer son ordinateur. Face à son échec, elle se retourna, avisa Maia et compris tout de suite ce qu’avait fait son amie. Son petit visage se contracta, elle devint rouge, non de timidité, mais de colère cette fois.

  • Donne-moi ça, dit-elle à Maia d’une voix sourde.
  • Non, écoute Lucie, il faut qu’on parle, et quand t’es sur ton ordi, c’est pas possible.
  • J’AI DIT DONNE-MOI CA, NOM DE DIEU ! hurla Lucie en se dirigeant vers la colombienne.

Face la violence de son amie, Maia recula instinctivement d’un pas et se retrouva dos au mur. Elle mesurait presque dix centimètres de plus que Lucie, et pesait sans doute dix kilos de plus, mais la jeune fille avait l’air si déterminée et hors d’elle que Maia se surprit à penser qu’elle pourrait la faire valdinguer par la fenêtre sans problème. Pendant un été, Maia avait travaillé en tant qu’aide-soignante dans un hôpital, et l’attitude de Lucie lui rappelait celle des toxicos en manque qui venaient réclamer leur dose de méthadone. « Dans ces cas-là, lui avait-on dit, essayez de ne pas paniquer, parlez d’une voix posée, faites attention à vos gestes, et surtout, appelez du renfort dès que vous le pouvez. »

« Du renfort, c’est bien joli, pensait Maia, mais là, ça va pas le faire … Je vais quand même pas appeler la police pour coffrer ma copine d’enfance qui pète les plombs ! »

In extremis, elle se souvint d’une phrase prononcée par une infirmière, qui avait suivi une formation pour parler aux patients violents : « Tu peux leur dire qu’ils te font peur, c’est pas un aveu de faiblesse, c’est juste un constat, et parfois, ça peut les aider à se calmer.»

  • Lucie ? dit doucement Maia, tu sais, j’aime pas trop que tu me parles comme ça, en fait, j’ai même un peu peur. Tu veux pas t’asseoir ? Ça me ferait plaisir, et ça me rassurerait. J’aimerais bien qu’on discute entre copines, comme avant, tu te souviens ?
  • REBRANCHE-CETTE-PRISE, articula Lucie.

« Et merde, pensa Maia, paniquée. Réfléchis, réfléchis ! C’est pas vrai, j’y crois pas d’avoir la trouille de ma pote, c’est n’importe quoi ! »

Elle regarda Lucie : dos courbé, poings serrés, mâchoires contractées, elle semblait sur le point de sauter à la gorge de son amie si elle n’accédait pas à sa demande.

Maia inspira profondément et tenta de se calmer. « C’est Lucie, ta vieille copine de collège, pas un pitbull enragé bon sang ! Alors, calme-toi et parle-lui normalement ! »

Elle reprit la parole d’une voix claire :

  • Je veux bien rebrancher ton ordi à une condition : tu m’écoutes d’abord. Je te demande juste dix minutes sans interruption, et après, je remets tout et je m’en vais. Et si c’est ce que tu veux, t’entendras plus jamais parler de moi.

Il y eut quelques secondes de silence.

« Là, ça passe ou ça casse » pensa Maia, prête à prendre ses jambes à son cou au cas où ça casserait.

Lucie réfléchit.

Maia déglutit.

Enfin, Lucie se redressa, croisa les bras, et son visage se détendit un peu.

  • OK, dit-elle. Dix minutes, pas plus. Et après, tu te casses.
  • Promis, répondit Maia.


Les deux femmes s’assirent, la colombienne en soupirant de soulagement :


  • T’es vraiment flippante, tu sais, quand tu t’y mets, dit-elle à son amie.
  • Neuf minutes, répondit Lucie.
  • Ouais, ouais, ça va … Bon, bref, comme je te le disais, je m’inquiète vraiment à ton sujet. J’ai quand même lu des trucs pas très rassurants sur ton mur, là. Y en a qui te menacent de mort, de viol, de tout et n’importe quoi, c’est vraiment malsain. Et plus tu te renfermes là-dessus, plus ça va tourner dans ta tête. Il faut que tu t’aères l'esprit de temps en temps, sinon, tu vas devenir cinglée !
  • N’importe quoi, grogna la jeune femme.
  • Arrête. T’as vu comment tu m’as parlé, là, à l’instant ? On aurait dit que t’allais me trucider ! Je te jure que j’ai vraiment eu la trouille. T’as plus de barrières, Lucie, plus d’inhibitions ! Si ça continue, tu vas te désocialiser complètement !
  • Oh, t’es chiante avec ton jargon, on voit bien que t’as fait psycho, toi !
  • C’est ça, fous-toi de moi, n’empêche que t’auras l’air maline le jour où tu t’en prendras à quelqu’un pour de vrai !
  • Vu que j’ai plus envie de sortir, ça risque pas.
  • Et le jour où t’auras plus une thune, tu feras comment pour retrouver du boulot ?
  • On verra. C’est pas ma priorité.
  • C’est censé me rassurer ? Tu crois que j’ai envie de recevoir un coup de fil de ta mère, dans six mois ou dans un an, pour me dire qu’on t’a retrouvée morte de faim et desséchée devant ton foutu ordinateur ?

Lucie se tourna vers son amie ; son regard était à présent vide de toute colère, et n’exprimait qu’une grande lassitude.

  • C’est mon problème, répondit-elle, j’ai pas à me soucier de tes états d’âme. Et les dix minutes sont écoulées.

A court d’arguments, Maia soupira, et jeta la prise sur les genoux de Lucie :

  • Tiens. Amuse-toi bien.
  • C’est ça.

La colombienne réunit ses affaires pendant que Lucie rebranchait à toute vitesse son ordinateur, et recommençait à pianoter sur son clavier. Elle allait partir, persuadée que son « amie » l’avait déjà oubliée, quand sa voix lui parvint :

  • Maia. Attends.
  • Quoi ?

Silence.

Puis :

  • J’crois que j’ai un problème.

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