Montre et nomme

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Lucie appuya sur une touche, l’ordinateur bipa, et l’interface bleu de Facebook apparut. Maia vit défiler à toute vitesse des pages et des pages couvertes de commentaires, jusqu’à ce que Lucie s’arrête sur l’une d’entre elles :

  • Voilà, dit-elle à son amie, tu peux commencer par lire ça. C’est une de mes premières interventions sur la page.
  • Et de quoi ça parle ?
  • Oh, en gros, des espèces de réacs qui veulent interdire l’avortement parce que ça tue des bébés, tu vois le genre de conneries …

Maia ravala la critique acide qui montait dans sa gorge (« Et s’ils sont si cons que ça, pourquoi tu leur réponds ? ») et entama sa lecture.

Un peu perdue au début par la mise en page, Maia comprit rapidement le principe des commentaires et de leurs réponses. Insultes, propos personnels, phrases sans fin, délires illuminés, images de chatons, tout y passait. Au bout de dix minutes de cette mélasse mentale, la colombienne déclara forfait. Relevant la tête de l’écran, elle se tourna vers son amie :

  • Mais enfin, ces gens sont complètement débiles, Lucie ! Ca sert à rien de leur parler, ils veulent rien entendre ! En plus ils te traitent de … de quoi, déjà, j’ai vu un mot bizarre, un truc délirant qui revenait sans arrêt …
  • Tu veux sans doute parler des « féminazies » ? C’est comme ça qu’ils appellent les femmes qui osent dire qu’elles sont pas génétiquement programmées à pondre des gamins dans la joie.
  • Ouais, voilà, c’est ça. Bon, tu vois bien, ils sont perdus pour la cause, laisse-les dans leur merde et passe à autre chose !
  • Mais justement, contra Lucie, c’est ça le problème ! On pourrait penser que ce sont juste des crétins, mais à travers les réseaux sociaux, ils sont très influents !
  • J’ai des doutes, quand même … dit Maia.
  • De toute façon, s’emporta Lucie, quand on a des convictions, on peut pas s'empêcher de réagir, c'est comme ça !
  • Et la liberté d’expression, t'en fais quoi ?
  • La liberté d’expression, répliqua Lucie, ça doit pas servir des propos humiliants ou dégradants, merde !
  • Là-dessus, tu marques un point, dit Maia.

Les deux amies se turent un instant. Les yeux de Lucie revenaient sans cesse sur son écran, trahissant son impatience de retourner en découdre avec ses adversaires. Observant son manège, Maia tenta de l’en distraire :

  • Bon, d’accord, tu veux sauver le monde sur Internet, j’ai bien compris. Pourquoi pas, ça peut être une forme de militantisme comme une autre, après tout. Mais pas au point d’y passer tes journées ! Et puis ces propos sont tellement violents, ça va te rendre malade, à la fin !
  • T’en fais pas pour moi, ricana Lucie, j’ai développé un grand seuil de tolérance aux insultes.
  • Mais il faut quand même que tu fasses des pauses ! Et tu vas bien finir par reprendre le boulot un jour ou l’autre, non ?
  • Bof … Pour ce qu'il me rapporte, ce taf, marmonna la jeune femme, j'pensais partir, de toute façon.
  • Mais pas pour passer tes journées sur ton ordi, bon sang !
  • Et pourquoi pas ?

A bout de patience, Maia se leva et commença à arpenter le salon de long en large. Dès qu’elle fut debout, Lucie reprit sa souris et fit défiler les commentaires qu’elle avait ratés pendant leur échange. Maia secoua la tête d’un air désespéré ; constatant que son amie était retournée à son monde virtuel, elle poussa un profond soupir d’agacement.

« Si je n’interviens pas tout de suite, se dit-elle, c'est foutu, je vais la perdre pour de bon. Il doit bien y avoir un moyen de capter son attention plus de cinq minutes, pourtant ! »

La colombienne regarda autour d’elle, comme si la solution était là, dans ce petit appartement jonché de détritus. Finalement, elle eut une idée. Inspectant les murs du salon, elle trouva rapidement ce qu’elle cherchait : la prise d'alimentation de l'ordinateur. Contournant son amie totalement absorbée par sa tâche, elle se pencha derrière le canapé ... et ôta la fiche de la prise d’un coup sec.

  • HE ! hurla Lucie.

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