VIII.3. Une petite goutte d'eau face à un soleil ardent.

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- Liniorath, annonce Merenda.

Je n'avais même pas remarqué que nous étions sorties du bois. La ville se dresse, dans toute sa splendeur, et dans toute sa beauté. Toute faite de hauts bâtiments en quartz rose, blanc et bleu, elle resplendit à la lueur du soleil, et les couleurs qui la teintent sont magnifiques.

En entrant dans la cité, je ne peux m'empêcher de m'émerveiller, comme à chaque fois. Cette ville hypnotise, captive, raconte une histoire.

Les tours se pavanent avec leurs parures dorées, leurs vitres de verre, et leurs ornements de pierres précieuses. Le quartz, dont se constituent principalement les bâtiments les plus importants, est une pierre semi-transparente, ce qui fait que les vitres perdent quasiment leur utilité. On voit des Mages accomplir des tours de magie, on voit des conseillers et autres hommes d'affaires trier des centaines de papiers grâce à la magie.

Nous passons devant une tour, celle que je préfère, car c'est la bibliothèque. Elle rassemble plus de mille livres, des légendes, des romans, des témoignages, des chroniques. Je m'arrête souvent devant, mais je n'y entre jamais, car seuls les hauts rangs de la société peuvent y entrer.

Ce n'est pas ma petite maison en bordure de village qui me permettra de pénétrer en ce lieu si sacré.

Puis nous passons dans les quartiers de la ville, avec leurs maisons en marbre noir et blanc. Les villas sont en blocs de cristal, noir également. Elles sont somptueuses, et tout en elles respire l'argent à foison et la beauté. Parfois, il m'arrive de détester Liniorath pour ce tel étalage de ses richesses et ses pouvoirs. Les mines nous paraissent inépuisables, et cette ville donne l'impression aux gens que nous savons tout faire, de l'exploitation des minéraux à la technologie magique, qui se développe peu à peu.

Le temple dédié à Estherell se trouve à l'opposé de la ville, et c'est une énorme bâtisse aux piliers de marbre blanc, recouverts de lierre et d'autres plantes grimpantes.

Et aujourd'hui, nous nous rendons à la Place Lumineuse, qui se trouve au centre de la ville, elle-même organisée autour.

- Je n'y vais pas souvent, mais à chaque fois que je m'y rends, je suis émerveillée, dit Merenda.

- Tu as raison. La Place Lumineuse est un bel endroit, je concède en souriant, pour une fois.

Mon père m'y emmenait lorsque j'étais petite. Que de souvenirs qui affluent, à présent, et qui me font ressentir avec plus de violence la mort de cet homme bon et valeureux. Mon père était très populaire à Liniorath.

Il y a déjà beaucoup de monde sur la Place. Des élèves de l'Académie, de tous âges à partir de treize révolutions, des Maîtres, des enfants, des familles. Les enfants, par défaut, comme moi avant, appartiennent au Clan de la Lumière. De toute manière, il est plutôt rare qu'un enfant n'appartienne pas au même Clan que ses parents. Il hérite des mêmes pouvoirs. Sauf moi. Et Merenda aussi, apparemment.

La foule prend s'installe sur la Place. Nous devons nous asseoir les uns à côté des autres, notre fleur à la main, en rangs. En face de nous, un autre temple dédié à Estherell, ainsi qu'une statue la représentant. Elle est vêtue d'une longue toge recouvrant ses pieds, coiffée d'une couronne de fleurs, et ses cheveux longs et blonds s'étendent sur ses épaules. La sculpture, en quartz de différentes couleurs, nous renvoie l'image d'une jeune femme resplendissante, au regard bienveillant, et aux vêtements aux couleurs chatoyantes.

Merenda et moi nous asseyons en tailleur comme les autres, et je tire sur ma tunique bleue pâle. Je suis venue avec des sandales de cuir aux pieds, parce que c'est pratique pour marcher, et parce que j'aime ça. Mais je devrai bientôt échanger mes chaussures préférées contre des bottes, elles-aussi en cuir, pour ne pas tremper mes pieds lorsque le déluge arrivera.

- J'ai tellement hâte d'être la semaine prochaine, déclare mon amie. Le onzième de la sixième Lune Blanche. Nous aurons nos cartes d'Enchanteresses, nous saurons quel est notre vrai prénom, et on partira d'ici.

- Et s'il s'avère que tu appartiens réellement au Clan de la Lumière ? j'insinue, curieuse de sa réponse.

- Je m'en irai quand même. Pas question que je reste à Liniorath, en tout cas. Pas question que je reste là, alors que c'est dans cette forêt, juste à côté, qu'on m'a attaquée, qu'on a tué mes sœurs. Ici vivent mes parents, et je ne veux plus les voir. Pas après ce qu'ils m'ont fait, et me font encore.

- Tu renierais ton Clan ?

- Évidemment. Estherell n'a rien à m'apporter. Et Liniorath non plus.

Et tout le monde se tait. Durant notre court échange, beaucoup d'autres personnes sont arrivées, et je pense que la cérémonie va bientôt commencer. Je serre ma malheureuse fleur dans ma main droite, et ferme les yeux, pour donner l'illusion d'une concentration extrême. Mais en réalité, mes pensées voguent déjà en direction de mon père.

J'entends la voix, lointaine, du prêtre qui va présider le rassemblement. Il suffira que je lève ma fleur en même temps que les autres, en murmurant les mauvaises paroles. Parce que la seule chose qui m'importe, à présent, c'est que tout soit plus beau pour lui, qui est parti trop tôt. En cet instant, les paroles du prêtre ne m'atteignent plus, je ne les entends plus.

Il n'y a que ma respiration, mon souffle, léger, quoiqu'un peu tourmenté, mes souvenirs, celui de son sourire, quand il rentrait le soir avec un Féron sur le dos, de quoi manger pendant deux semaines. À présent, il n'est plus là, et tout le monde a l'air de le dire, mais ce n'est que maintenant que je comprends le sens véritable de la phrase « Il n'y a que lorsqu'on perd quelque chose qu'on se rend compte d'à quel point cette chose était importante et indispensable. ».

Merenda me donne un coup de coude. J'ouvre les yeux, et tout le monde lève sa fleur. Je ne m'étais pas rendue compte que le temps était passé aussi vite. Ou alors cette cérémonie est très courte. Je brandis mon bras en l'air, ma main dénuée de magie, mon être vide de cette sensation que je devrais ressentir, mon cœur dénué de la moindre trace d'énergie.

Et je murmure. Les yeux tournés vers le ciel, j'imagine que mon père y repose, sous le Soleil, là où est sa place, et qu'il me voit murmurer cette pauvre prière.

Je lui dis que je ne lui en veux pas, je lui dis que je trouverai qui est l'ignoble créature qui lui a fait cela, je lui dis que maman ne fait plus rien et qu'elle se laisse mourir, que je ne veux pas qu'elle parte. Je lui dis que tout empire à l'Académie mais qu'à part tout ça, je vais bien, parce que j'ai rencontré une fille, Merenda, et qu'elle est géniale avec moi.

Je lui dis qu'il restera toujours ici tant que sa présence ne quittera pas nos cœurs.

Et les fleurs de tous les membres présents du Clan de la Lumière s'envolent, et la mienne s'effondre, en poussière dans mes mains. Parce qu'elle n'a pas reçu l'énergie qu'il lui fallait pour s'envoler.

Merenda me considère d'un œil un peu triste ; mais je lui dis que ce n'est rien, que je m'y attendais, et que ça n'a pas d'importance pour moi.

Mais pour une fois, j'aurais bien voulu que cette fleur s'envole avec les autres, vers le ciel.

Pour Papa.

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