IX. Âmes secrètes mises à nu.

5 minutes de lecture

C'est le week-end, enfin. J'ai invité Merenda à venir, et elle a tout de suite accepté. Je suis vraiment contente. À présent, mes jours sont plus joyeux.

Aujourd'hui, Merenda et moi allons nous adonner à notre occupation favorite : écrire. Nous allons partager nos écrits, nos aventures, nos univers et tenter de voir à travers l'autre. J'ai cuisiné un gâteau de riz pour l'occasion, et ma mère ne descend toujours pas de sa chambre. Il va falloir que je prenne mon courage à deux mains et que ce soir, j'aille ouvrir cette porte, sinon elle va mourir de faim. J'espère que ce n'est pas ce qu'elle veut.

On frappe à la porte. Voilà Merenda !

Oraan, Merenda ! Je lui lance, plutôt de bonne humeur.

Oraan, Sahenann.

- Viens, entre. J'ai tout préparé.

- Merci ! Moi, j'ai ramené tout mon matériel.

- On va dans mon jardin ?

- Autant y aller tout de suite, oui, acquiesce-t-elle.

Je prends mon gâteau, et Merenda sourit en le voyant. Elle me suit dans la petite cour,

Mon amie a l'air enjouée. Je la comprends, et je le suis aussi, l'Académie ne me manque pas. J'attrape mon sac en tissu dans lequel je mets toujours toutes mes affaires d'écriture, et on va s'installer à l'ombre du grand arbre, au fond de mon jardin.

Je coupe le gâteau avec un couteau, et en sert une généreuse part à Merenda, qui l'accepte avec le sourire. Je me sers aussi, et nous savourons tranquillement, sans parler.

Les oiseaux chantent, et j'aperçois une boule de poils violette se faufiler au travers des branches d'un autre arbre, non loin de là. Un petit animal sans nom, que tout le monde appelle comme il en a envie. Il y a en a beaucoup par ici, et elles sont très comiques, à sauter partout.

Je sors mon petit carnet, celui dans lequel j'écris depuis le début de la semaine. Je l'ai un peu délaissé depuis, par manque de temps, et aussi parce qu'à présent que Merenda est là, j'ai moins besoin de me confier. Mais l'écriture reste une passion folle, dont je ne pourrai jamais me séparer.

Merenda sort, quant à elle un cahier, qui sert habituellement aux cours. Mais lorsqu'elle l'ouvre, je vois bien qu'il n'est pas du tout utilisé pour l'Académie. Les dessins et les mots qui y apparaissent ne correspondent à aucun cours.

- Alors, qu'est ce que tu écris là-dedans ? Me demande Merenda, en souriant.

- Eh bien...

- Qu'est ce qu'il y a ?

- J'écris tout ce qui ne va pas, dedans, en fait. Quand j'écris là-dedans, comme tu dis, c'est pour me libérer, tu vois ? Il y a des choses que je ne peux pas dire, et je les confie à une vulgaire feuille de papier, parce que c'est toujours mieux de faire ça que de tout garder pour soi.

- Tu me dis ça comme si tu en avais honte... Mais je fais la même chose ! On a tous le besoin d'extérioriser, c'est parfaitement normal.

- En fait, c'est le sixième carnet que je commence. Les autres sont enterrés dans une boîte en métal au pied de l'arbre qui est là-bas, je lui dis, en lui pointant un arbre à ma droite. Tu vois, ça a une valeur symbolique, et au début, je pensais qu'à force d'enterrer mes malheurs, ils finiraient par disparaître, et que justice serait faite pour moi. Que je pourrais enfin vivre ma vie paisiblement sans me faire rejeter de partout, peut-être sans pouvoirs, mais finalement, ça m'importait peu. Tout ce que je désire, et désire encore, plus que tout, c'est qu'on me fiche enfin la paix... Depuis le début de l'Académie et des ennuis, je lutte pour ma survie dans ce monde hostile, qui ne m'aime pas et qui me le fait bien comprendre.

Je reprends mon souffle, mais maintenant que j'ai commencé à parler, je ne peux plus m'arrêter.

- Je ne crois pas aux dieux. Peut-être qu'ils existent, qu'en sais-je, mais qu'importe qui ils sont et où ils sont, ce que je sais, moi, c'est que j'ai prié tous les soirs pendant des années sans jamais rien recevoir en retour. Ce que je sais, moi, c'est que j'ai supplié, les yeux vers le ciel, les yeux emplis d'étoiles, brillants de larmes, parce que je n'en pouvais plus, que je n'en peux plus, et parce que c'est tellement difficile de vivre ainsi, persécutée et discriminée.

J'essuie mes larmes d'un geste rageur, et continue, l'esprit noyé sous les mots qui viennent trop vite.

- C'est ainsi que j'ai commencé à écrire, me détournant de la religion, me détournant de la société, me détournant de tout ce que j'avais aimé, parce que la seule façon de me sauver, de m'échapper, c'était d'écrire. Ils ont commencé à se foutre de moi pour ça aussi, et ça me fait mal, mais je ne peux pas arrêter, tu comprends ? Les mots sont ma vie, ma thérapie, la seule chose qui m'a vraiment permis de rester là, et pourtant tu n'imagines pas à quel point je suis désespérée...

Un silence. Même les oiseaux se sont arrêtés de chanter. Je me tords les mains, et puis j'explose.

- Mon père est mort ! Il est mort, il y a une Lune, assassiné cruellement par des créatures que je n'ai pu identifier ! Il est mort dans les bras de ma mère, et comme si ce n'était pas assez, elle se laisse mourir de chagrin dans sa chambre, sans rien avaler ! Merenda, est-ce que j'ai le droit de demander pourquoi le monde s'acharne sur moi ? Pourquoi ? C'est l'unique question qui revient sans cesse, qui tourne en boucle dans ma tête, qui me noie, qui me tue, parce que je ne trouve jamais de réponse... Noyée, voilà, c'est cet adjectif qui me correspond le plus, l'eau me submerge, l'écume m'envahit, et je suis incapable de remonter à la surface. Et si je te dis tout ça, c'est parce que je pense que toi, tu pourrais m'arracher à la tempête qui me tue à petit feu...

Et je cesse de parler. Et la vie reprend son cours, tandis que j'inspire doucement, tentant de contenir les sanglots qui se coincent dans ma gorge. Nouée, serrée. Voilà, j'ai tout dit, les larmes coulent enfin, et je me sens soulagée. Vidée. Comme si le poids terrible sur mes épaules s'allégeait un peu, sans pour autant disparaître. Fallait pas rêver...

Merenda prend ma main, et la serre fort, très fort, pour qu'au final elle me prenne dans ses bras, dans une étreinte forte et chaleureuse, une de celles qui aurait pu me rassurer comme jamais dans ces temps sombres. Je m'abandonne un peu, et me détends, soulagée que quelqu'un soit là pour m'aider. Si elle veut bien m'aider.

- Sahenann...

- Merenda.

- Tu n'es plus seule, à présent... Peut-être que finalement, les dieux ont entendu tes prières.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Aloïs Obsidienne ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0