Chapitre 4

15 minutes de lecture

Ce que nous ont raconté les autres, une bonne heure après l'épisode de la Renault Captur, je ne le sais pas encore quand je reprends la route. On parle peu, avec Sam. Mon attention se concentre sur la chaussée et les trop nombreux automobilistes. Je sais à quoi Sam réfléchit si intensément et je suppose qu'il ne va pas tarder à en parler. Laissons-le venir, me dis-je, ralentissant prudemment en découvrant les nombreux warnings qui s'allument devant nous.
« Oh-oh. »
A deux kilomètres environ de l'endroit où nous nous sommes arrêtés, s'étale une vision d'horreur : il semblerait en effet que la Captur a eu raison du camion réfrigéré. Je freine progressivement, prenant ma place dans une longue file de voitures qui n'avancent plus qu'au pas sur la voie de droite de l'autoroute. Le poids lourd gît sur le flanc, en diagonale sur les deux autres voies. Il flambe et dégage une fumée dense à travers laquelle surnagent de puissantes flammes. Deux hommes vident leurs extincteurs sur le foyer, mais le feu se propage rapidement à toute la remorque. Sur le côté droit, fichée dans la cabine du poids lourd, la Renault Captur est méconnaissable : pliée en un sordide accordéon de tôle et de verre brisé, elle laisse entrevoir une silhouette immobile, couchée sur le volant. Elle paraît si petite que je ne peux m'empêcher de me demander à quel point il est possible de comprimer un corps humain. Dans mon esprit se superposent des images de bras tordus, de jambes fracassées, broyées par la force du choc. A ce qui me semble des milliers de kilomètres, j'entends la voix de Sam qui répète, sur un ton de boîte vocale :
« Oh putain... oh putain... oh putain... »
Deux autres types en gilets jaunes font la circulation. Je devine qu'il s'agit de bons samaritains, les premiers à s'être garés après l'accident, peut-être même des témoins. La file avance lentement mais elle avance, et il ne nous faut pas plus de trois minutes pour passer la zone du crash. En trois minutes, j'ai le temps de regarder ce qui brûle dans la remorque. Malgré la fumée, je distingue des formes familières, trop enfoncées dans le véhicule pour que je puisse clairement les identifier. Des animaux, sans doute, des carcasses congelées de bœufs ou d'agneaux. Mes narines captent une odeur de viande grillée, une odeur forte comme si la viande, à l'origine, n'était pas de première fraîcheur. Probablement le parfum des grillades lorsqu'on les oublie sur le grill, mais je ne suis pas friand de barbeuk et la fiabilité de mon odorat, en la matière, laisse à désirer.
Quelques mètres derrière la cabine, adossé à la glissière de la voie d'arrêt d'urgence, un homme en état de choc se tient le bras gauche en frissonnant. Un vacancier en short se tient debout à ses côtés et lui tend une bouteille d'eau. Nos yeux se croisent et, j'ignore pourquoi, je devine une hostilité dans son regard. Je regarde ailleurs. Le type par terre, je suppose que c'est le chauffeur du camion. Le gars en short lui donne un coup de main, voilà tout.
Je repense à ce regard qu'il m'a jeté parce que j'avais l'air de m'intéresser au chauffeur blessé. Sam continue de répéter « oh putain » sur un rythme plus serein. Je jette un nouveau coup d'oeil aux deux hommes sur le bas-côté, contraint cette fois de me tourner sur la droite. Le vacancier à la bouteille d'eau ne m'a pas lâché. Il me fixe avec une intensité qui provoque chez moi un léger tremblement.
Quelques secondes plus tard, je peux accélérer et je reprends mon rythme de croisière. Sam a interrompu sa litanie et fume une autre cigarette.

Nous atteignons la sortie de l'autoroute au bout d'une quarantaine de minutes. Une fois passé le péage, je me tourne vers Sam et dis :
« A partir d'ici, j'ai des indications ultra-précises. Mais je te préviens, vu le bled, on risque de se perdre une fois ou deux.
- Et si on branche le GPS...
- Pas de GPS dans ma voiture, c'est la règle de la maison. »
Une règle qui irrite tous ceux qui se retrouvent, un jour ou l'autre, à grimper sur le siège du passager de mon break Logan MCV. Je n'aime pas les GPS, les applications qui t'indiquent le trajet le plus court, l'itinéraire idéal, le raccourci parfait. La meilleure façon de développer son sens de l'orientation consiste à accepter de se perdre et à se repérer dans un paysage inconnu. Lire une carte ou appliquer des indications obtenues par téléphone autorise une projection dans l'espace en trois dimensions que te refuse la petite voix mécanique qui t'annonce froidement :
« Tournez à droite. »
Dans un monde où l'on ne s'oriente qu'à travers des « droite », « gauche », « continuez tout droit » par rapport à votre situation physique à un instant donné, il paraît difficile à concevoir que l'on puisse former partie d'un tout, figés dans le présent que nous sommes, confinés à un espace restreint sans aucune correspondance avec la globalité de la zone géographique tout autour. En d'autres termes, se déplacer dans la nature ne se résume pas à emprunter des couloirs en espérant tomber sur la sortie de secours.
Ce discours, Sam le connaît par cœur. Mais ça le gonfle. Très bien, moi ça me gonfle que ça gonfle, ça fait un partout et aux dernières nouvelles, c'est ma voiture et c'est moi qui conduis.
« My ship, my rules.
- Je comprends pas l'anglais, connard. »
J'éclate de rire et me lance dans ma quête d'un village dont je peine à me rappeler le nom.
« Pourquoi t'as tourné, là ? Comment tu peux être sûr qu'il fallait tourner ? »
Je lève les yeux au plafond pendant une demi-seconde mais me reprends vite. Surtout, éviter de lui signifier mon agacement.
Depuis dix minutes, l'ambiance a changé. Le décor, aussi. Plus dense, feuillu, griffu. Après quelques incursions dans certaines routes secondaires, nous nous enfonçons à présent dans une sorte de sous-bois de chênes verts. La route ressemble de plus en plus à un chemin goudronné il y a des lustres et à la va-vite. Peu de virages, toutefois. Plutôt des lignes droites qui se courbent légèrement suivant l'implantation des arbres et des rochers. De loin en loin, un espace a été dégagé sur le côté pour autoriser un dépassement, ou se ranger et laisser le passage à celui qui arriverait en face. Lorsque nous approchons d'un croisement, je ralentis et consulte mes notes. De toute façon, j'ai fini par comprendre la logique de mon itinéraire. Il suffit de choisir la bifurcation la plus pourrie.
« C'est pas vrai, il est où ce bled ? »
Je dis rien. J'entends des inflexions curieuses dans la voix de mon copilote. Pour être honnête, et pour reprendre une expression déjà démodée, j'ai bien l'impression qu'il flippe sa race maudite.
J'avoue qu'entre les sous-bois et le crépuscule naissant, je n'en mène pas large non plus.
« T'inquiète pas, » dis-je de ma voix la plus enjouée, « on y sera dans moins de vingt minutes. »
Même pour moi, ce que je viens de dire sonne plus faux qu'un discours politique. Sans aller jusqu'à nous considérer comme irrémédiablement perdus, je me prends à frémir à l'idée d'une panne quelconque dans un lieu aussi désolé.
« Ouais ben tu peux dire ce que tu veux, je nous vois pas déboucher sur une putain de mégalopole dans vingt minutes. Tu la sens l'odeur du bouseux qui se profile à l'horizon ? »
Je lui réponds, pince-sans-rire, qu'il est matériellement impossible qu'une odeur se profile de quelque façon que ce soit, j'écope d'un « c'est ça, rigole » et le temps de ce bref échange, j'ai l'illusion que tout baigne, que c'est juste un endroit qu'on ne connaît pas, qu'on aura juste un peu de retard.
« OH PUTAIN ! »
Je pile sec.
Le contenu du coffre se tasse violemment contre le siège arrière, la bouteille aux pieds de Sam se renverse, ses lunettes volent contre le pare-brise, heureusement sans dommage. Mon mégot à peine allumé jaillit de mes lèvres comme une flèche et rebondit sur le tableau de bord. Impression de choc imminent parce que le choc est visuel. C'est ce truc immense au milieu du chemin. Je l'ai vu à temps et mon pied droit a écrasé la pédale de frein. Il l'écrase encore, de tout son poids, tremblant comme une feuille de platane coincée dans un caniveau par une journée de grand vent.
« Foutredieu, mais qu'est-ce que c'est que cette merde ? »
La voix de Sam, à peine audible, me grattouille l'intérieur des tympans avec la douceur d'une craie sur un tableau noir.
Je m'entends lui répondre de parler moins fort, je l'entends dire ok en détachant bien les syllabes. Une voix surgie du fond de ma tête rit à s'en tordre les viscères et je comprends que j'ai la frousse qui me grignote les neurones.
Un tas de viande bloque la moitié de la route, et quand je dis « un tas de viande », il faut le prendre au pied de la lettre : un animal mort, gigantesque, musculeux, à moitié démembré, mutilé en de nombreux endroits, essentiellement dévoré par je ne sais quelle inimaginable bête féroce. Le pelage de la bestiole ressemble à un tapis de salon après un carnaval confiné : touffes de poil arrachées ça et là, blessures ouvertes, profondes, écorchures, organes internes étirés jusqu'au déchirement, des kilomètres de boyaux et d'intestins entrelacés de façon anarchique, comme si l'on s'était battu pour mordre dedans. La tête de l'animal a perdu son museau, son œil droit, ses deux oreilles. L'autre œil pendouille au bout d'un nerf optique, à hauteur d'une large crevasse de chair rouge d'où surnagent quelques molaires. Je pense à un bœuf mais ça n'a aucun sens. Le bœuf est un animal de ferme. Il n'a aucun intérêt à partir en vadrouille sur une route comme celle-ci, loin de sa dose d'herbe grasse.
« Tu crois que c'est quoi ? Un chevreuil ? »
Je lâche un rire un peu forcé. Un chevreuil. J'aurais tout entendu.
« Plutôt un sanglier. T'as vu l'engin ? Il est gros comme l'avant de ma bagnole. »
J'ignore pourquoi je ne parle pas du bœuf. Je détecte dans la voix de mon ami un tremblement inédit. Autant ne pas trop appuyer sur l'étrangeté de la situation. Un sanglier, c'est tout de suite plus rassurant, n'est-ce pas ?
« Ouais, un sanglier, ok, c'est possible, oui, disons que ça arrive... »
Un sanglier attaqué par une meute de loups, ici, à vingt bornes de Perpignan ? Qui j'essaie de convaincre, au fond ?
« Laisse tomber, Sam. C'est un bœuf, j'en mettrais ma main à couper. »
Sans attendre la réponse de mon camarade, j'actionne l'ouverture de la portière et me retrouve dehors, battant la chaussée en direction de l'immondice.
Derrière moi, me parvient ce cri de Sam :
« Hé ho, qu'est-ce que tu fous, putain ? C'est peut-être dangereux ! »
Peut-être, oui, mais on doit se tirer d'ici et cette carcasse infâme nous interdit toute manœuvre. La route est trop étroite pour faire demi-tour, et reculer sur plusieurs bornes me semble une option de dernier recours. En réalité, nous n'avons pas d'alternative : il faut sortir cette merde du chemin.
Le nez pincé et respirant par la bouche, je m'approche de la carcasse massacrée. Elle apparaît tordue, comme si plusieurs assaillants l'avaient agrippée par les pattes, la tête, le cou, les cornes
(mais justement, elles sont où, les cornes?)
la queue, les sabots, et le moindre interstice, la moindre articulation, la moindre ouverture effectuée à coups de crocs, de griffes, de...
(Qu'est-ce que c'est ?)
Dépassant d'un bon centimètre de ce qui doit être la chair d'un muscle sauvagement dépiauté, un cylindre sanguinolent, effroyablement familier, attire mon attention. Il ne me lâche plus et je sens mon cœur battre de plus en plus fort dans ma poitrine.
(Oh non, s'il vous plaît, faites que ce ne soit pas un...)
Avec un bout de bois, je dégage le morceau de viande et constate avec un hoquet de dégoût qu'il s'agit d'un doigt. Probablement le majeur ou l'index d'une personne adulte. L'ongle a été retourné, l'os écrasé, et il flotte une languette filandreuse autour du moignon. Un homme – ou une femme – a égaré son doigt dans un muscle déchiqueté, sur un cadavre de bœuf abandonné sur une route déserte.
Et à part ça, tout va bien.
Soudain, mon ventre se rappelle à mon souvenir et une vague de nausée me secoue tout l’œsophage. Je vomis sur le bas-côté, m'essuie la bouche, retourne à la Logan. J'ouvre la portière côté passager et dis :
« Faut virer cette merde. J'ai une idée.
- Tu veux quand même pas qu'on tire cette... chose à la force des bras ?
- Trop lourd pour nous. Et quand bien même on serait assez costaud, rien ne saurait me forcer à poser mes mains là-dessus. »
Il lâche un sourire bref, avale une profonde inspiration, se remet à respirer à peu près normalement.
« Ouf. Je te voyais venir, avec tes gros sabots. Genre on empoigne le colis, on compte jusqu'à trois, et... beurk ! »
Je ne l'écoute déjà plus. J'en suis à ouvrir le coffre et à fouiller dans le bazar que je trimbale en permanence. Des outils, des bouteilles vides, des sacs de câbles. Je débusque une dizaine de sangles d'environ deux, trois mètres, le modèle orange vif que tous les magasins de bricolage bradent en tête de gondole. Bingo ! Je me les fourre dans les poches et retourne auprès de la créature.
Dans la voiture, Sam m'observe en fumant. Je lui signifie d'un geste que je vais avoir besoin de lui plus tard. Il opine du chef mais n'esquisse pas le moindre geste.
La cigarette à son bec libère des nuages de fumée.
J'examine le monstre. A la réflexion, j'ai surévalué sa taille. Le choc, la surprise, l'impression que certaines règles volaient en éclat. Alors oui, la prodigieuse montagne d'abats n'est qu'un jeune bœuf éviscéré, dévasté, démoli. Il suffit d'y attacher une sangle, de la relier à la voiture en utilisant les arbres comme levier, puis d'effectuer une marche arrière.
(Bordel de Dieu, où est-ce que je colle ma sangle?)
En effet, la question se pose sérieusement. Le corps de cet animal a été soumis à un jeu de tensions contradictoires qui a achevé d'en disloquer les os, d'en déchirer les muscles, les ligaments, la peau, tout ce qui pourrait tenir la viande en place. Rien ici ne semble solide ou stable.
Haussant les épaules, j'enfile des gants de jardinage et me saisis des jarrets. La chair est encore chaude et grouillant d'une vie souterraine. Je réprime un haut-le-cœur avant de tirer fermement les pattes arrières vers moi. Je voyais ça moins lourd mais je parviens néanmoins à nouer une sangle autour des cuisses. Je serre la sangle au maximum, usant du fermoir pour assurer la prise, puis me relève d'un bond, soudain atterré. J'ai du sang sur les avant-bras et j'éprouve un besoin furieux de hurler à tue-tête.
Je me retiens. Sam me scrute de son refuge improvisé et je ne veux pas l'effrayer davantage. Je vais avoir besoin de son aide dans deux minutes et si nous sommes deux à perdre notre sang-froid, autant lâcher l'affaire et rebrousser chemin.
Et ça, c'est hors de question.
A ce propos, une mise au point s'impose : les Escalopes Milanaises n'ont jamais raté un concert. Musicalement parlant, je suppose que si, bien sûr. A raison d'une cinquantaine de dates par an en moyenne, il nous arrive de multiplier les erreurs, de louper une mise en place, de jouer la note d'à côté. Parfois, le contrebassiste se trompe de tonalité, ce qu'il corrige aussi d'un haussement d'épaule sous les regards amusés de ses camarades. A d'autres moments, le batteur se sent pousser des ailes dans le feu de l'action et accélère le tempo proportionnellement à son degré d'excitation. Les autres musiciens le suivent comme ils peuvent, se plantent régulièrement et le morceau en oublie de « groover ». Bon an mal an, le chanteur se perd dans les paroles, les choristes hurlent trop fort ou je me saisis d'un harmonica ne correspondant pas à la tonalité du morceau. Bref, d'un point de vue strictement artistique, les Escalopes sont faillibles. Je me souviens de certains concerts, en fin de saison estivale, à cette période passée la mi-août où l'épuisement semble s'être définitivement emparé de nos membres, de nos muscles, du moindre de nos réflexes. Il nous faut économiser notre souffle, doser l'énergie, allonger les pauses entre les morceaux sans que le public comprenne pour autant que nous tentons surtout de gagner du temps parce qu'il nous reste encore une dizaine de dates à assurer et que nous aimerions juste nous allonger et dormir.
La musique, c'est comme le reste. Une pratique assidue vous permettra de prendre du galon et de bien jouer la plupart du temps. Mais nous ne sommes pas des machines.
En revanche, les Escalopes Milanaises n'annulent pas leurs concerts. Crevés ou non, ils se pointeront à l'heure, ou à peu près, installeront la scène en moins de deux, procéderont aux balances en moins d'un quart-d'heure et assureront leurs deux heures de spectacle. Enrhumés, covidés, déprimés, le dos en vrac ou l'estomac indisposé, nous montons sur scène et personne ne s'en offusque. Au contraire.
Autrement dit, nous sommes des professionnels et ce n'est certainement pas la mystérieuse carcasse d'une bestiole non identifiée qui nous empêchera de jouer ce soir.
Je déroule donc les sangles, les attache l'une à l'autre du mieux que je peux, raccorde le tout au point d'ancrage de la Logan – juste à droite de la plaque d'immatriculation. Dans mon dos, Sam me dit que ça ne fonctionnera pas.
« Ah ben t'es sorti.
- Tant que je m'approche pas de cette merde, je suis sûr de pas vomir. »
Puis, il répète :
« Tu vas faire quoi, là ? En reculant, tu vas juste le tirer vers toi mais ça le sortira pas de la route.
- Ah oui, merde ! »
J'ai oublié de passer les sangles dans le sous-bois.
Je regarde dans la direction des arbres et je me dis que je n'ai absolument pas envie de m'enfoncer là-dedans. Il y règne une demi-pénombre inquiétante accentuée par la hauteur dérisoire des arbres aux feuillages denses. A cinq mètres à peine, le regard se perd dans des nuances brunes et vertes, et on ne voit pas ce qui pourrait éventuellement venir de ce sous-bois pas franchement accueillant.
Sam détache la sangle du point d'ancrage et me dit :
« Viens, on y va à deux, d'accord ? »
J'opine du chef et le suis d'un pas que j'imagine ferme et déterminé.
En fait de randonnée dans une nature hostile, j'ai bien conscience qu'il s'agit seulement de quelques pas, la tête baissée pour éviter les branches et les mains devant pour repousser le reste. De maigres troncs de chênes verts s'avancent vers nous comme par à-coups. Nous nous déplaçons timidement, enjambant les buissons d'épines et autres obstacles. Sam passe la sangle autour d'un arbre situé en face de la carcasse de façon à former un angle aigu avec la voiture.
(crac!)
Crac ? Comment ça, crac ?
Dans ma tête défilent les explications attendues : une brindille piétinée par un sanglier, du bois mort, un randonneur, un chasseur en goguette, n'importe quelle bestiole dont le poids suffit à provoquer un craquement. Sauf qu'au fond de moi, je sais pertinemment que ce foutu « crac ! » n'a rien à foutre dans mon environnement sonore. A part nos respirations conjuguées, nos mouvements, nos pas foulant le sol caillouteux, mes oreilles ne perçoivent qu'une légère brise. Pas d'oiseaux qui pépieraient dans l'insouciance de leur vie d'oiseaux. Pas de bruissements diaphanes évoquant la progression discrète d'une belette qui tâcherait de nous éviter. Pas d'insecte volubile, de mouche grésillante, de guêpe, pas le moindre puceron.
Sam a interrompu son geste. Lui aussi zieute les fourrés en tendant les oreilles. On échange un regard.
« On se bouge le cul, ok ?
- Ouais, bonne idée. »
Nos gestes sont plus courts, saccadés, comme si nous nous forcions à bouger malgré un irrépressible tremblement. Je ne sais pas vraiment pourquoi on a la frousse mais je la reconnais à ma nuque froide et à mes tempes bourdonnantes.
Sam se penche devant la Logan pour bloquer la sangle. Instinctivement, je lui tourne le dos, surveillant la forêt.
« C'est bon. »
Il se relève et nous reprenons nos places dans la Logan. Presque sans y penser, je déclenche le verrouillage automatique des portières.

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