27 – Snack : Poussières de sang

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Réintégré dans son corps, le nevian réveille ses fonctions vitales et se lève. À côté de lui, Ekaïdos a déjà réintégré son propre corps et lui adresse un hochement de tête. Toujours aussi immatériel, mais pas transparente, Milly semble plutôt joyeuse. Même s’ils ne sont pas accompagnés de Cara, leur séjour sur Mercure s’est mieux passé que prévu.

« Tu vas bientôt pouvoir être entier Snack. », lui fait remarquer Émy. L’ancienne humaine est assise sur le plateau de sa cellule de stase et s’étire pendant que le technicien effectue les dernières vérifications. Le formidable engin qui permet, d’une certaine façon, de geler le temps pour ceux qui y sont placés, ressemble à un énorme tube d’un peu plus de deux mètres de long pour plus d’un demi de diamètre. Placé à l’horizontal, ses deux panneaux se sont ouverts et le support, une sorte de matelas, est monté au-dessus des bords.

Émy descend, désorientée quelques instants. Même en regagnant sa propre enveloppe, elle subit un léger mal d’embodiement. Heureusement, celui-ci disparaît quelques minutes plus tard. Snack réalise que le fait d’avoir toujours été dans une enveloppe nevian, qu’elle soit physique ou émulée, lui a épargné ce problème.

Milly semble soudainement soucieuse et annonce : « Je n’arrive pas à joindre Zoy. J’espère qu’il n’est rien arrivé.

– On va le retrouver dès qu’Émy va mieux, la rassure Snack.

– Le réseau à l’air en bon état pourtant, s’étonne Milly.

– Vos amis sont là. », indique l’un des synthétiques du centre de téléversement. Un ami ? Zoy ?

Mais c’est un solide androïde qui entre dans la pièce, dégainant une arme et fauchant l’enveloppe d’Ekaïdos d’un tir. Snack s’apprête à bondir, mais note que le cybernétique a commencé à anticiper son saut, il se raccroche d’une patte et change brutalement de direction, arrachant presque la tuile composite sous lui. Alors qu’il dégaine la matraque que lui avait confectionné son ami, il esquive une décharge de munitions supersoniques qui mettent hors d’usage l’une des cellules de stases derrière lui.

Profitant de l’intervalle de réarmement de l’arme de son adversaire, Snack lance son arme dans un tir tendu. Le tube d’acier rempli d’un alliage particulièrement dense, frappe l’assaillant en plein torse, induisant un recul important de celui-ci. Profitant de la déstabilisation du robot, Snack se jette sur lui tout en rattrapant au vol, la matraque qui avait rebondi. Alors que le robot tente de le remettre en joue, l’arme confectionnée par Zoy fracasse le fusil de composite.

Sur le réseau, Milly lui a envoyé quelques nouvelles informations : Ekaïdos va bien et ils se sont réfugiés sur le réseau. Mais quelqu’un est en train d’essayer de les attaquer par ce biais aussi.

De son autre main, l’assaillant vient de saisir le bras de Snack. Le nevian guerrier porte un coup sur l’avant-bras qui le tient, mais l’impact n’est pas suffisant pour lui faire lâcher prise. L’enveloppe robotique resserre même son étreinte de sa force mécanique et le nevian reçoit une notification de dégâts : tous les muscles du haut de son bras viennent d’être broyés et même la structure osseuse a commencé à se fissurer. Snack porte un nouveau coup, de toutes ses forces et la matraque lestée fait sauter l’articulation du coude mécanique qui relâche immédiatement sa prise et tombe, à peine raccroché par un câble.

Sans attendre, Snack rebondit au sol et frappe à nouveau, toujours avec la même violence. L’arme de Zoy décroche la tête du cybernétique qui roule à travers la salle. Alors que Snack échappe à un coup aveugle de justesse et se place hors d’allonge d’un bond en arrière.

« Tu penses vraiment que cette partie était vitale ? le défie le cybernétique.

– Non, mais tu as perdu tes capteurs, riposte Snack.

– Je n’en ai pas besoin pour te voir, ironise l’assaillant.

– Il voit à travers la surveillance du réseau. », lui envoie Milly.

Ces informations confortent Snack qui conserve une attitude prudente. Mais alors que le cybernétique le charge, le réseau tombe brutalement. D’un bond, le nevian atteint le plafond et de sa seule main valide s’y raccroche. L’instant d’après, il fond sur son ennemi et inflige de nouveau dégâts sur l’autre bras qui se décroche au niveau de l’épaule et s’écrase par terre. Snack s’acharne ensuite sur le genou gauche de son adversaire qui s’effondre au sol, incapable de se relever. Après plusieurs tentatives, le cybernétique cesse toute activité.

L’instant d’après le réseau revient et Milly le recontacte immédiatement : « Ils ont eu Ekaïdos…

– Non ! refuse Snack.

– Au revoir. », lui envoie Milly, juste avant de perdre sa connexion avec lui. Paniqué, le nevian tente d’envoyer une demande de connexion avec Milly, puis une autre, et encore une autre et…

Pas encore complètement remise de son changement de corps, Émy, s’est approchée et lui demande : « Ton bras ! Snack, ça va ?

– Ça n’a plus d’importance. Ils ont eu Ekaïdos et Milly. Et peut-être aussi Zoy, pleure le nevian.

– Snack… », tente-t-elle de le réconforter en l’enserrant gentiment dans ses bars. Mais elle-même a les yeux humides.

L’éclairage se coupe soudainement et les deux survivants se retrouvent plongés dans la pénombre. La porte du module se referme sèchement et hermétiquement. Le système de ventilation s’arrête et les indicateurs de Snack lui indiquent que la pression est en chute libre. Immédiatement, Émy, que ses oreilles font souffrir, se dirige vers l’armoire d’urgence et en sort deux respirateurs. Ces masques ne compenseront pas complètement le manque de pression, mais ils leur permettront de tenir plus longtemps. Mais Snack sait pertinemment que son amie ne survivra pas très longtemps : une demi-heure, ça reste mieux qu’une heure. Alors que les différents appareils cessent de fonctionner autour d’eux, le nevian étreint son amie, de son seul bras valide. Ils vont lui prendre une seconde fois.

Dans l’obscurité désormais totale maintenant que les témoins et autres indicateurs réels se sont éteint, Snack se laisse bercer par celle qui l’a toujours aidé, soutenu, et sans doute aimé et qui lui chante encore la comptine à travers leur mini-réseau.

La pression est pratiquement égalisée avec celle de l’atmosphère de Mars, c’est-à-dire, négligeable. Les variables vitales de Snack restent dans les limites acceptables : ce sont ses batteries qui lui fournissent l’énergie utilisée par son corps et non le processus biologique normal. Émy peine à continuer et elle commence à vaciller. Snack, l’aide à s’allonger du mieux qu’il peut, et c’est lui qui lui murmure les paroles en swahili désormais. Mais il la perd lentement mais sûrement.

Est-ce l’optimisme inébranlable de son noyau Wolfa ? Alors que son logiciel de sociabilité commence à signaler le désespoir, lui-même ne ressent que de la tristesse. Pas de colère ni de rage, ces choses n’ont pas de sens pour eux, mais l’injustice de la situation trouble ses pensées qui recherchent, comme dans une sorte de panique lancinante, inlassablement un moyen de la sauver.

L’obscurité et un quasi-vide. Pas de lumière, pas de son, pas d’odeur… Seulement le toucher et l’étreinte mourante de son amie. La tête posée contre elle, ressent les derniers battements de son cœur. Elle a perdu conscience, mais son cœur bât encore et Snack se raccroche à cette idée. Lui-même commence à ressentir les premiers effets de l’hypoxie, mais sa nature hyper-hybride lui permettront de tenir encore une bonne heure avec le peu d’air que lui injecte le respirateur.

« Émy… », lui adresse-t-il.

Une lueur apparaît derrière lui. Une gerbe d’étincelles jaillit et le filament de plasma qui découpe l’accès offre un éclairage à la fois aveuglant et insuffisant pour distinguer quoi que ce soit. L’ouverture s’agrandit de plus en plus et un second faisceau commence à découper la porte de l’autre côté. La pression ne dépasse toujours que de peu les six-cent Pascals.

Son cœur s’est arrêté. Le nevian se relève et, de sa seule main valide, Snack commence un massage cardiaque. Avec l’effort, son système lui indique que ses propres fonctions vitales commencent à décliner. Mais il ne peut, ne doit et ne veut pas s’arrêter.

Une lumière beaucoup plus intense éclabousse tout le module et trois figures entrent, un soldat lourdement équipé balaie la pièce à la recherche de toute menace, les deux autres hommes accourent et font signe à Snack de s’arrêter. L’un d’eux soulève la jeune femme, pendant que l’autre attrape le nevian. Tous deux sont emportés dans la lumière du sas temporaire, composé d’un tissu blanc, imperméable et ultra résistant.

Un quatrième homme referme l’écoutille de toile du côté de la zone dépressurisée et les indicateurs de pression de Snack montrent une remontée rapide de la pression. Les sons reviennent rapidement et le nevian entend plusieurs hommes s’affairer de l’autre côté. À la couleur des uniformes, Snack devine qu’ils sont tous des forces de sécurité de Mars. Une quarantaine de secondes plus tard, ils ouvrent le sas côté colonie et évacuent les deux victimes. D’autres soldats en armure lourde entrent dans le sas et le referment derrière eux.

À peine sorti de là, Snack est pris en charge par un médecin qui examine son bras et l’ausculte complètement. Pour Émy, les services d’urgence ont déployé une véritable station médicale et semblent procéder à sa réanimation.

Alors que le soigneur, lui injecte inutilement un anti-douleur, l’un des soldats ressorts et se dirige vers lui. Arrivé à proximité, il retire son casque et regarde le nevian d’un air peiné et compatissant avant de discuter avec un autre médecin. Avec le tumulte autour de lui, Snack ne parvient pas à comprendre ce qu’ils se disent.

Derrière lui, un cri : « On l’a récupéré ! ». Jetant un œil, Snack constate qu’Émy est toujours inconsciente et reliée à de nombreux tubes et sondes. Les médecins qui s’occupent d’elle n’ont pas relâché leur attention et semble préparer une nouvelle perfusion.

Un médecin vient vers lui, celui qui lui avait parlé lors de l’assassinat d’Émy, celui qui vient de discuter avec le soldat. Il engage la conversation : « Bonjour Snack. J’aurais vraiment espéré qu’on ne se revoie pas ces conditions. Vous allez bien ?

– Je viens de perdre des amis, se plaint Snack. Mes amis.

– On vient de m’assurer qu’Émy s’en tirera, le rassure-t-il. Quant à Milly, son mentor l’a mis à l’abri.

– Mais Ekaïdos a payé le lourd prix, déplore le nevian. Elle va être dévastée.

– Vous ne le connaissez pas encore assez, plaisante le médecin. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait dégager de la grille. Ce ne sera pas la dernière fois.

– Mais qui êtes-vous ? s’interroge Snack.

– Moi ? SocietyPart, se présente-t-il. Je suis un ami et je peux vous dire que vous n’êtes plus seul dans cette histoire.

– Ceux qui nous ont attaqué recommenceront, déprime le nevian.

– Non, affirme froidement le médecin.

– Comment pouvez-vous en être sûr ? s’émeut Snack.

– Je ne suis qu’un Solar Wardners, annonce SocietyPart. Mais je peux vous assurer que certaines choses sont déjà remontés et redescendu. », explique l’homme.

Un wardner. Ce sont eux qui veillent à la stabilité du système solaire, qui s’assurent qu’aucun groupe ne nuise aux autres. Ils ont déjà défait tant de complots que les corporations leur ont accordé une juridiction absolue dans toutes les colonies. Mais si les wardner savent…

« Le grand rappel, il va avoir lieu, hein ? s’inquiète Snack.

– Non, réfute le wardner. Pour des raisons politique qui ne regardent que Mars et Suan, pour le serment que tous les Solar Warners ont fait, et parce le traité des Solaires est très clair là-dessus.

– Mais si les gens apprennent que des nevians peuvent… s’affole Snack.

– Ils ne le sauront pas, coupe-t-il court. Révéler cette information est votre choix. Vous serez invisible tant que vous le souhaiterez.

– Merci, hésite Snack.

– J’aurais une question, Snack. Un message est arrivé en interplanétaire, vers la fin de la fusillade, indique-t-il.

– Que dit-il ? demande le nevian.

– C’était un virus qui a oblitéré tout ce qui pouvait rester dans l’enveloppe synthétique et probablement détruit la console du decker, répond SocietyPart.

– Qui l’a envoyé ? s’interroge Snack.

– Je pensais que vous sauriez, se déçoit l’homme. Il y avait un avertissement avec : « Vous ne leur ferez pas de mal. ».

– On a des fans ? s’étonne faussement Snack.

– Des fans qui arrivent à prédire les clés privées de leurs adversaires à plus d’une heure et demi lumière ? objecte SocietyPart.

– Je n’ai aucune idée de ce que ça signifie, répond sincèrement le nevian.

– Ce n’est pas grave. Plus important : on m’a donné ceci. Ça vous revient. », lui indique l’homme en lui tendant un petit module blindé. Snack le reconnaît immédiatement : c’est un noyau de sauvegarde nevian. Il est encore taché du sang de son propriétaire.

« Comment avez-vous eu ça ? s’étonne Snack.

– Votre agresseur l’avait sur lui, répond le wardner.

– Oh… Zoy… Mon ami, pleure Snack.

– Prenez en soin. Et prenez soin d’Émy aussi. J’espère qu’on se recroisera dans des temps plus favorables. », lui souhaite l’homme qui s’éloigne vers un groupe de soldats des Forces armées de Mars.

Derrière lui, la voix d’Émy l’interpelle : « Snack ! ». Le nevian se lève, se retourne et se dirige vers elle. Les médecins s’écartent pour le laisser approcher. À peine à portée de bras, son amie le prend dans ses bras et l’étreint.

Si le wardner a raison, ils auront du temps pour eux désormais. Reconstruire un corps pour Zoy, réparer le sien, établir leur propre nid, remettre les Phobos’ Heights de Lunae sur le bon chemin et agrandir la famille.

Et un jour, ils auront leur nation des invisibles.

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