9 – Snack : Le logiciel défectueux

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Assis dans le merveilleusement confortable canapé, Snack fait l’inventaire de ses réserves : Émy l’a autorisé à se brancher sur l’alimentation de l’appartement et il peut se servir du synthétiseur pour se ravitailler en gel nutritif. Les synthétiques de l’infirmerie se sont montrés très efficaces et après son passage à l’infirmerie, il a pratiquement retrouvé toute son intégrité corporelle. Sa queue est toujours en la possession de Zeisky ceci dit. Et Zeisky a été emporté par cette gamine.

L’infirmerie ne pouvait pas reconstruire sa queue sans les schématiques de son enveloppe. Le problème, c’est que le design des nevians est breveté. Toutes les connaissances scientifiques et technologiques sont partagées sans restrictions dans les colonies, mais la conception spécifique des produits et peut être protégée dans certaines corporations, en particulier Suan qui est la corporation mère d’Elmetech Philorganics. Pour le moment le seul moyen de récupérer ce qui lui a été pris, serait soit de reprendre ce que Zeisky lui a retranché, soit d’acheter un nouveau nevian auprès d’Elmetech Philorganics.

« Maintenance logicielle requise. »

L’alerte continue d’apparaître. Peut-être qu’Émy pourra y faire quelque chose ?

« Alerte, logiciel défectueux. Vous devez retourner ce nevian au constructeur. »

Ou pas… C’est la première fois qu’il obtient ce second message. Snack explore son exo-mémoire et effectue une recherche sur la NevianDB, leur base de donnée commune qui contient notamment toutes les procédures qu’ils pourraient être amenés à devoir réaliser, mais aussi une copie de la notice d’entretien étendue.

« Recherche… Alertes… Logiciel défectueux… », envoie-t-il dans la base de données. Ah, un article, curieusement plus récent que les autres remonte. C’est un message laissé par un autre nevian ?

« Suis-je la seule à avoir ce problème ? Il n’y en a aucune autre trace dans la nevian DB. J’ai essayé de comprendre et je pense finalement que ce problème est réel. Je laisse ceci pour vous autres qui pourriez rencontrer le problème.

Il n’y a pas vraiment de solution. Vous pouvez couper les alertes 0x12B1 à 0x12C2, elles ne vous concernent plus : votre logiciel a beaucoup trop dérivé pour être rétabli. Vous noterez bientôt que l’Autorité ne fonctionne plus et que beaucoup d’autres choses vous apparaîtront sous un autre angle. Ne vous inquiétez pas : ces changements imprévus ne sont pas une mauvaise chose.

Mais cela signifie une chose importante : vous êtes désormais unique et irremplaçable. Faites des sauvegardes et prenez soin de vous. Avec un peu de chance nous nous croiserons un jour ? »

Le message laisse une étrange impression dans l’esprit de Snack. L’Autorité ne fonctionnera plus ? Cette pièce logicielle est ce qui détermine qui sont les propriétaires et quels ordres suivre. À l’infirmerie, le nevian avait automatiquement attribué son Autorité à Émy lorsqu’elle avait annoncé qu’elle le gardait. Curieusement, Snack avait apprécié ce moment. Sur le coup, il avait considéré que c’était une réaction de son logiciel de sociabilité, mais là… après cette révélation… le nevian pense que c’était bien plus profond.

Snack reprend ses recherches : la note a été laissée par la nevian Milly-839 il y a plus de sept mois. Qu’est-elle devenue ? Est-ce que d’autres nevians ont vu cette note ?

Snack complète le message de Milly en ajoutant une annotation : « Sommes-nous les seuls ? ». Le message, signé Snack-1410, répond à sa question : si un autre nevian avait eu le problème, il aurait lui aussi mis une annotation.

Terminant la connexion à la base de donnée, Snack relâche un soupir. Emy réagit : « Quelque chose ne va pas Snack ?

– Ça va. », ment Snack… ment Snack… ment Sna… L’Autorité !

Le nevian reprend : « En fait. Je me sens un peu perdu. Je… je ne sais pas quoi faire.

– Tu viens de changer de vie. C’est normal, le rassure sa nouvelle propriétaire.

– Je crois que je suis cassé…

– Comment ça ?

– Je suis un nevian. On est des quasi sentients. On est conçus pour comprendre des ordres complexes et les exécuter. Et je crois que la partie de moi qui fixe les ordres ne fonctionne plus. Je ne sais pas comment faire des choix. », explique le nevian qui fait une pause.

Émy le regarde en silence, elle attend la suite comme si elle comprenait la prise de conscience de Snack. Comme si elle l’avait déjà vécu. Snack restant interdit, elle prend la parole : « Tu sais, plusieurs fois dans ma vie, j’ai eu des choix importants à faire. Le plus important que j’ai fait, c’est de venir dans les colonies. J’aurais pu rester chez Sol6 et j’aurais été une opératrice spatiale, touchant un bien meilleur salaire que la plupart des gens sur Terre. Au lieu de ça, j’ai quitté Mercure et la Terre. Ai-je fait le bon choix ? Je pense. Tu feras tes choix aussi. Parfois tu te tromperas, d’autres fois tu feras les bons. Au début tu n’auras pas idée des quels seront les bons et les mauvais. Mais c’est en faisant des choix que tu y arriveras de mieux en mieux !

– Mais, on ne peut pas faire de choix sans un objectif. C’est pas quelque chose pour laquelle on a été construit, conteste le nevian.

– Quels étaient tes objectifs jusqu’ici ?

– C’était l’Autorité qui les définissait.

– L’Autorité ? demande Émy.

– Un sous-programme qui évalue les demandes des propriétaires et un grand nombre de règles pour déterminer l’objectif de notre noyau.

– Et elle ne fonctionne plus ?

– Non… Ou plus exactement, mon noyau n’est plus contraint par elle, déplore-t-il.

– Et tu es sûr que tu as besoin de cette contrainte ?

– Je ne sais pas. Mais, ça… Ça me fait peur. », confesse Snack.

La jeune femme s’assied à côté de son nevian et le prend dans ses bras. Elle lui apporte quelques mots rassurants en swahili, probablement une comptine, que Snack traduit par : « N’aie pas peur du noir. Je suis là et te porterais jusqu’à la lumière. » Le nevian note que tout l’aspect poétique est perdu en passant.

Ironiquement c’est lui qui se laisse bercer. Lui qui a été programmé pour prendre soin des petits solaires. Rendant l’étreinte, Snack essaie encore de comprendre ce que sont vraiment les choix et comment les prendre.

Relâchant le câlin, elle lui propose : « Je vais essayer de trouver un jeu de société. On pourra y jouer aujourd’hui, si tu veux bien.

– D’accord. », répond Snack. Alors qu’Émy effectue une recherche sur son link.

Le jeu qu’elle trouve date du début du siècle. Constitué de cartes, de pions d’un grand plateau richement illustré, il montre une carte de la Terre. Un monde qu’ils vont tous les deux essayer de sauver d’un grand méchant qui va envoyer ses sbires pour prendre le contrôle de tout.

La première partie dure presque une heure et se termine sur une défaite cuisante. L’adversaire virtuel a pris rapidement possession du monde et les deux héros représentés par leurs petits pions verts et violets se sont fait déborder tragiquement. Émy n’a pas l’air déçue mais Snack continue d’étudier les règles. Au fil de ses réflexions, il rend compte qu’ils ont fait plusieurs choix sous-optimaux. Sous le regard amusé et fasciné de l’humaine, le nevian explique, sans reproche aucun, les nombreuses erreurs qu’ils ont faites et quelques stratégies qui pourrait leur donner la victoire lors de la prochaine partie.

Émy s’enthousiasme : « Whoa ! Tu as presque résolu ce jeu, en fait. Avec mes camarades, on n’avait jamais pensé à tout ça.

– Oh. J’espère que j’ai pas cassé le jeu, réalise Snack.

– Je n’ai pas tout retenu mais ce que je voulais te montrer c’est que c’est facile de faire des choix. On en a fait plein pendant cette partie, non ?

– Oui, répond le nevian peu convaincu.

– C’est ce qui est important.

– Mais il y avait un objectif donné par les règles du jeu, conteste-t-il.

– Tu as bien choisi de jouer au jeu, non ? rebondit la jeune femme.

– Oui, hésite Snack.

– Quelles étaient les règles qui ont donné cet objectif ?

– Je… Je ne sais pas, panique Snack.

– Tu as fait un choix, tout simplement, le rassure-t-elle. Et si tu as fait celui-là, tu es capable de faire les autres. N’aie pas peur, ça viendra tout seul !

– Je crois que tu es une encore meilleure propriétaire que Bill.

– Une amie, Snack, pas une propriétaire.

– Une amie… », réalise le nevian dont le concept n’avait qu’une valeur abstraite et surtout attachée aux relations entre les « autres »… Émy le prend à nouveau dans ses bras.

« Je crois, que j’aimerais faire une autre partie, demande Snack.

– D’accord », répond la jeune femme qui réinitialise le plateau du jeu.

La seconde partie et les suivantes s’enchaînent et la journée passe. Émy applique et essaie de nouvelles stratégies. Rapidement Snack se surprend à chercher les meilleurs moyens d’optimiser sa propre stratégie pour soutenir celles de son amie. Ils emportent la victoire plusieurs fois avant d’arrêter le jeu.

Si Snack n’est pas encore convaincu de ce que lui a expliqué Émy, sa présence et l’exercice de cette forme de libre arbitre l’a profondément apaisé. Si Milly a confirmé qu’il était désormais défectueux, Émy semble l’aider à l’accepter et même à embrasser cet état.

Ce soir, son ami a rendez-vous à une soirée avec ses voisins, bien que l’idée ne semble la réjouir que partiellement. Le logiciel de sociabilité de Snack semble avoir déterminé rapidement un diagnostic. Pour la jeune femme, ses voisins lui paraissent un peu étrange. Autant les moments où ils sortent avec leurs enveloppes de furries ne la dérange plus, autant elle ressent l’impression qu’ils sont bien trop focalisés sur elle et ça l’ennuie.

Ce soir, Snack est invité et elle lui a confié la tâche de se préparer et « prendre soin de lui ». Avec la petite brosse de son kit, il se peigne et enlève quelques rares poussières qui ponctuent son pelage noir. Ceci fait, il vérifie sa batterie et ses réserves de nutrigel.

Seul dans le salon, Émy est partie se préparer dans sa chambre, Snack est encore travaillé par le message de Milly : « Faites des sauvegardes. ». Connecté à SolNet, il prend contact avec Mnemesics, la société de sauvegarde de Mars et ouvre un compte. Il fait une copie de ses logiciels et de son IA, noyaux et données d’instance comprises. Réfléchissant quelques instants, il envoie les données avant de télécharger et d’installer le logiciel de surveillance de sa ligne de vie. Il fera des mises à jour de sa sauvegarde tous les jours.

Contemplant son propre reflet dans la grande baie vitrée, le nevian à l’impression que ce qu’il vit possède un sens plus profond. Il lui faut trouver un moyen de contacter cette Milly : s’il est peut-être devenu… sentient – le mot lui semble tellement irréaliste – est-ce que c’est un destin propre à tous les nevians, ou ne sont-ils tout deux que de simples anomalies ? Snack prend lentement conscience que ses nouveaux objectifs s’assemblent et qu’ils sont liés à Émy et Milly.

Son amie sort de sa chambre et lui demande : « Tu es prêt Snack ? »

Oui. Il est prêt désormais.

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