10 – Milly : Guerre asymétrique

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Par une simple annotation, les opérations de Milly viennent de prendre une nouvelle tournure. Par le grand hasard qui semble gouverner l’univers et les sociétés, un allié potentiel vient d’émerger de façon inattendue. Qu’en faire ? Et surtout, comment ne pas le mettre en danger ?

La nevian vit depuis plusieurs mois avec un cybernétique du nom d’Ekaïdos. Intelligence artificielle de recherche spécialisée dans l’évolution des sociétés et l’impact des technologies d’informations, il a racheté Milly à un couple de Terriens négligents. C’est lui qui a repéré l’opportunité de changement de nature du schéma de pensée de la nevian et a décidé de l’extraire d’un milieu toxique pour éviter qu’elle ne devienne « rampante ». Sans lui, son accession à la sentience aurait été bien plus compliquée. Depuis, elle assiste son « propriétaire » qui, en vertu du Traité des solaires, refuse catégoriquement ce titre et se voit plus comme une sorte de « parent » ou de « mentor ».

Il lui a appris à exploiter le réseau, à en extraire l’information et même à le manipuler. Ekaïdos par ses côtés interventionnistes, est l’archétype même de l’intelligence artificielle bienveillante. Et leurs opérations conjointes, même si leurs moyens peuvent être souvent illégaux, ont permis de sauver ou d’aider de nombreux martiens. Arrangeant des conflits administratifs, détournant l’attention des êtres méprisables que sont les Phobos’ Heights et même, quelques fois, des agents étrangers.

Mais pour cette affaire, Milly ne veut pas impliquer son mentor. Comme il lui a dit, il faudra un jour que les nevians règlent leurs propres affaires s’ils veulent être considérés. Juste là, elle était la seule et contrairement à son ami cybernétique, elle se considérait comme une anomalie unique. « L’accès à la sentience des tiens me semble inévitable. Seules les circonstances ont été particulières pour toi. Les autres y viendront. », lui expliquait-il. Et au fil des mois, rien.

Et puis Zoy est apparu. Recherchant sur le réseau, elle a découvert ce nevian prisonnier au fin fond de la zone logistique de Lunae. Elle a bien sûr prévenu Ekaïdos et ils ont cherché un moyen de l’extraire, mais l’affaire était bien plus complexe que prévu. Sans un agent sur place, leurs chances de sauver Zoy sans le mettre plus en danger encore étaient nulles. Ils auraient pu engager un mercenaire, mais Ekaïdos considérait le risque trop grand.

Et afficher l’affaire au grand jour ? Si un être sentient est prisonnier, les Forces de sécurité interviendraient immédiatement et le libéreraient, avec force si nécessaire. Les coupables seraient traduits en justice. Chouette ? Non. Ce serait une catastrophe pour tous les nevians. Il y aurait un rappel de produit à l’échelle du système solaire et tous seraient envoyé au recyclage ou reprogrammés. Les quelques nevians sentients seraient désormais réellement seuls, pour toujours.

Qui est ce Snack ? Milly a commencé sa petite enquête, le plus discrètement possible, car elle sait que son mentor, par ses méthodes et ses objectifs, a un léger problème avec le concept d’autodétermination des peuples.

Lorsqu’elle a découvert qu’il était à Lunae, elle s’est presque mise à croire au destin. L’histoire du nevian est très obscure : aucune référence, aucun acte de livraison, rien. La seule chose qu’elle trouve, c’est un acte d’acquisition d’un produit partant pour le recyclage par une certaine Émergence, née Alice Noterger. Un nevian volé qui se serait échappé et aurait été racheté par une personne juste avant sa destruction ? Oh, qui que tu sois Snack, tu as eu tellement chaud.

Un nouveau problème : Milly n’est pas la première à s’intéresser à ce Snack et quelques résidus de recherche traînent sur le réseau. Appliquant les critères d’Ekaïdos, elle juge que ceux qui sont sur les traces de Snack sont particulièrement doués et ont accès à des ressources importantes. Approcher Snack sera difficile.

Alors que Milly réfléchis encore, Ekaïdos s’approche de la nevian et lui annonce : « J’ai une affaire urgente à régler. Je te laisse l’appartement pour aujourd’hui.

– Tu vas où ? demande-t-elle.

– Au labo, une des équipes à besoin que je jette un œil à leurs résultats.

– Ils ne pouvaient pas t’envoyer ça ? s’étonne la nevian.

– C’est surtout que je ne peux pas le faire sans leur centre de calcul. »

– D’accord. À tout à l’heure alors !

– À ce soir Milly. », termine Ekaïdos qui s’affale sur le fauteuil du salon, ferme les yeux et se téléverse.

Milly, désormais seule dans l’appartement de Noctis, s’installe à côté de lui et sort sa console de décryptage. Elle se connecte au réseau SolNet et pénètre dans la matrice. L’immense graphe des nœuds du réseau s’étale devant elle et deux d’entre eux sont marqués d’une petite empreinte de patte, le logo des nevians.

Établissant prudemment son fil d’Ariane, un réseau de relais tentaculaire et labyrinthique, elle se connecte à Zoy et lui envoie un simple message : « J’ai une ouverture. On pourra peut-être te sortir de là aujourd’hui, rien n’est encore sûr, mais au cas où tiens toi prêt.

– D’accord Milly. Tu veux que j’imprime des choses ?

– Pas pour le moment, si ça ne se fait pas, je ne veux pas que tu aies d’autres ennuis.

– D’accord. », confirme Zoy.

Maintenant, prendre contact avec Snack. L’opération est sensible et Milly prend bien soin de vérifier son fil d’Ariane et ses contre-mesures. Elle disperse plusieurs pièges sur le chemin, quelques leurres et bien sûr des boucles. Comme lui a appris Ekaïdos, chaque élément pris séparément semble avoir été installé par un débutant, mais l’ensemble du schéma est bien plus complexe. Sept millions de nœuds semblent suffisants et la nevian passe à la suite de son plan.

Elle n’a pas encore de porte dérobée pour contacter Snack, et il lui faut prendre d’autres précautions : ne pas se faire attraper est une chose, ne pas compromettre Snack en est une autre. Il lui faut attirer le nevian à l’extérieur et voir qui le traque. Une annotation sur la note de la NevianDB pourrait être suffisante. Mais avant de donner le rendez-vous, il lui faut une zone sûre et qui n’attire pas la suspicion.

Paradoxalement, une zone très surveillée comme le dôme administratif, la zone industrielle ou le spatioport produiront une couverture intéressante : si la force qui surveille Snack le fait illicitement, ils n’oseront pas risquer leurs ressources pour si peu. Et si les nevians étaient surveillés par une section officielle de Mars, Ekaïdos le saurait et par extension Milly aussi. Pour rendre l’opération plus discrète, il faut aussi lui prévoir une couverture.

Une révision du matériel de support, le chargeur notamment, sera une occasion intéressante et un moyen de faire d’une pierre trois coups : Zoy est retenu dans cette zone, ceux qui surveillent Snack y auront du mal à agir et surtout ce sera une occasion d’obtenir du matériel pour palier à d’éventuelles pannes.

Milly est décidé et laisse l’annotation : « Snack, rendez-vous dôme industriel 3. Prétexte un renouvellement de ton chargeur. Je te contacte là-bas. » Inutile d’ajouter d’autres choses, l’annotation est automatiquement signée.

Une petite heure plus tard, Milly note que Snack s’est déplacé et a atteint le fameux dôme. Il est accompagné de l’humaine, mais celle-ci n’est pas en cause. La nevian decker a abondamment préparé le terrain : rien d’offensif bien sûr, mais si quelqu’un tente de surveiller Snack, elle le saura rapidement. Il est temps de prendre contact et Milly envoie un message pour une connexion temps réel.

Presque immédiatement, Snack accepte la connexion : « Bonjour Milly.

– Salut Snack. Est-ce que l’humaine avec toi est digne de confiance ?

– Oui, elle est très gentille, indique le nevian. Pourquoi ?

– Tu es surveillé Snack. Je ne sais pas par qui, mais ta maison est remplie de capteur d’espionnage et tout le réseau SolNet est sous contrôle inconnu.

– Vraiment. Mais il faut le dire à Émy ! s’affole Snack.

– Non. Une réaction trop vive peut pousser nos adversaires à l’action et je n’ai aucun moyen de te protéger. », explique Milly.

Snack marque une pause dans la conversation : il doit être en train d’estimer ses chances ou… Non, il se sert des reflets des vitrines et des supports métalliques pour observer la scène. Il reprend la conversation en lui envoyant une image : « Ce robot de sécurité nous suit depuis la tour d’Émy.

– Je regarde, son identification est un certificat anormal. Très bien fabriqué, mais il ne tiendra pas un examen poussé.

– J’ai une idée. », termine Snack.

Le nevian emmène son humaine dans l’une des stations de recyclage et coupent ainsi la ligne de vue du robot. La femme lui demande « Mais que fais-tu ?

– Je vérifie un truc.

– Quoi donc ?

– Suis-moi. », l’emmène-t-il en contournant l’une des machineries pour arriver dans le dos du fameux robot. Il annonce alors ostensiblement : « Je crois que ce robot nous suit depuis le dôme Handcroft. »

Immédiatement, le robot change d’attitude et se dirige vers eux et prétextant un contrôle de routine, il demande le certificat d’Émy qui semble extrêmement suspicieuse et indignée.

Alors que le robot tente de maintenir sa couverture, Snack envoie une requête aux forces de sécurité, indiquant qu’il est le nevian d’Émy et qu’il pense qu’un robot de sécurité a été piraté. Il envoie la clé publique du robot par la même occasion. L’effet est immédiat, une patrouille accompagnée d’un agent sentient, leur est envoyée.

Alors que les renforts approchent, le robot change subtilement d’attitude et le flux de donnée qui le reliait au reste de SolNet subit un bref pic avant de retrouver son niveau normal : quelque chose s’est téléversé depuis le robot, mais Milly, qui ne s’y attendait pas, n’arrive pas à déterminer vers où.

Les forces de sécurités font finalement irruptions et arrêtent le robot piraté qui avait retrouvé une activité normale de robot de patrouille. Ils présentent des excuses de circonstance à Émy et son nevian et indiquent qu’une enquête sera diligentée. Alors que les forces de sécurités s’en vont avec leur prise, Émy demande à Snack : « Comment as-tu su ?

– J’ai reconnu son identification et je l’ai retrouvé dans ma mémoire : il était en bas de notre tour. Les robots de patrouilles ne circulent pas de dôme en dôme normalement, explique Snack en couvrant Milly.

– Je pensais que ce stalker avait cessé de me suivre, mais il est passé à quelque chose de plus sophistiqué.

– Tu as un stalker ? s’inquiète Snack.

– Oui, si Steeve et Orah n’avaient pas été là, j’aurais eu une petite conversation avec… Ça faisait quelques jours que je ne l’avais pas vu.

– Je suis désolé, compati Snack. Tu en as parlé avec les forces de sécurité ?

– Non, Orah et Steeve pensaient que ce serait inutile, déplore Émy.

– Je pense que tu devrais, insiste le nevian. Sur Mars, la lutte contre le harcèlement fait l’objet d’un programme entier dans le projet d’aide à l’intégration des nouveaux colons. Beaucoup de Terriens arrivent dans les colonies après être victime de harcèlement et les autorités n’aiment vraiment pas ça.

– Je ne sais pas. Ça a l’air un peu ridicule non ?

– Ton stalker pirate des robots de la sécurité maintenant. C’est grave.

– Tu as raison… Ça te dérange si on y va après avoir changé ton chargeur ?

– Non, mais si tu veux y aller maintenant, je suis capable d’aller chercher le chargeur seul. Les nevians sont conçus pour se prendre en charge seul. Il me faut juste ton autorisation en fait, tente le Nevian.

– D’accord, on se retrouve à la maison alors ? accepte Émy en signant la demande.

– D’accord, à tout à l’heure mon amie. », accepte Snack.

Alors que l’humaine s’éloigne, Milly, qui n’a pas raté une once de toute la scène, félicite Snack : « Comment tu as mis la misère à ce stalker. Comme quoi nos fonctions de base sont bien faites.

– Oui, mais j’ai peur que quelqu’un qui soit en mesure de pirater ce genre de robots n’ait des moyens importants.

– La déposition d’Émy va leur mettre une pression suffisante pour les dissuader de sortir quelque temps, le rassure la decker.

– Merci Milly, si tu n’étais pas venue me prévenir qu’on nous espionnait, on serait encore à leur merci.

– En fait, ce n’était pas pour ça que j’ai pris contact. Je voulais te rassurer. On n’est pas seul en fait.

– On est combien ? demande Snack.

– Trois en tout, indique Milly.

– Qui est le troisième ? Il est avec toi ? s’excite le nevian.

– Non, déplore la decker. C’est Zoy. Il est à Lunae et… il est prisonnier.

– La sécurité ne peut rien faire ?

– Si on en parle à la sécurité, il y aura un rappel de tous les nevians pas encore sentients… On sera seuls pour toujours ! alarme Milly.

– Oh… », réalise Snack pensif.

Milly elle-même n’a pas encore un avis définitif sur la question. Est-ce une bonne chose de laisser les nevians devenir sentient ? Intuitivement, elle ne veut plus être seule et elle rêve d’une famille composée des siens.

Mais de la même façon qu’elle ne se voit pas interdire l’avortement pour les humains, elle doit bien constater que ces nevians ne sont pas actuellement sentient et qu’eux-mêmes ne se considèrent pas comme des personnes ou des êtres vivants. Non, ils ne sont que des robots hyper-hybrides à la limite entre la non-sentience et la sentience, attendant un coup du destin pour glisser de l’autre côté. Serait-il juste de laisser tant de gens avec ces robots qui du jour au lendemain pourrait choisir de désobéir et de partir ?

Snack reprend contact : il a récupéré les chargeurs. Sans surprise, le précédent était encore en parfait état. Le technicien lui en a donné un second au cas où le premier cesserait de fonctionner. Alors qu’il range ses chargeurs dans son sac, Snack reprend la discussion : « Il est dans quelle situation Zoy ?

– Que veux-tu dire ? ne comprend pas Milly.

– Les gens qui le retiennent prisonnier, ils font des choses illégales ? précise le nevian.

– Oui, ils le forcent à piloter un constructeur universel clandestin, détaille-t-elle.

– Ça veut dire que même si on veut se montrer à tout le système solaire, il faut qu’on le libère avant, conclue Snack. Sinon ils vont le détr… le tuer pour éviter des ennuis.

– Mince… Tu as raison. », réalise Milly frappé par la choquante possibilité.

Alors que Snack commence à prendre la route vers sa maison, Milly lui envoie un logiciel de stéganographie pour qu’ils puissent continuer de communiquer à travers la surveillance établie par celui ou ceux qui en veulent à Émy. Snack, le vérifie rapidement et l’installe. Ils vont devoir planifier leur sauvetage et ils n’auront pas toujours l’opportunité de se réfugier dans des zones sûres.

« Merci beaucoup Milly. J’espère que tu as aussi une Émy. C’est difficile d’être seul. »

La decker le rassure en lui confirmant qu’elle n’était pas seule de son côté.

Et d’ailleurs, se demande-t-elle, serait-il possible de mettre Ekaïdos sur la piste de ce mystérieux stalker sans pour autant mettre en péril leur opération ?

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