8 – Emy : Sous les étoiles

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La récupération physique avait impressionné le personnel de l’infirmerie centrale. Après son opération, elle avait suivi une période de rééducation qui devait durer trois semaines. Mais après seulement seize jours, elle avait retrouvé l’intégralité de ses capacités. Sur Terre, la récupération après un vol de longue durée en apesanteur demandait des mois de récupération et elle avait aussi été victime d’un agent biologique destructeur. Sans l’infirmerie de l’Akasha et les analyses du centre épidémiologique de Mars, elle en serait même probablement morte.

Malgré les quelques semaines passées à Lunae, Emy peine encore à trouver ses marques. Son appartement lui apparaît trop générique et elle peine encore l’appeler « maison ». Pourtant, il offre tout ce qu’elle peut attendre d’un logement et elle adore son aspect modulable. Sa voisine lui reproche de trop en changer la disposition.

Ses voisins Orah et Steeve sont des personnes sympathiques et bienveillantes. L’homme est quelqu’un d’énergique et volontaire mais aussi un peu paranoïaque. La femme est bien plus tempérée et prudente. Peut-être un peu trop calculatrice aussi. Les deux forment un couple qui semble de plus en plus disparate au fil des jours.

Ses relations avec les deux Martiens lui paraissent encore artificielles et elle n’arrive pas à mettre le doigt sur la raison de ce sentiment. Peut-être les trouve-t-elle un peu trop pot de colle ? Depuis leur rencontre à l’infirmerie centrale de Lunae, le couple semble vouloir l’accompagner à chacune de ses sorties. Ce n’est pas réellement systématique, mais certains jours l’ancienne Ougandaise se demande s’ils n’ont pas un autre agenda. Et il y a cette impression d’être espionnée en permanence.

Malgré tout, la femme s’est trouvée une routine qui l’aide. Debout à heure fixe, elle commence par un déjeuner léger et part courir dans le parc Johnwen pour essayer de conserver la meilleure forme possible. Elle n’en a pas encore parlé à ses voisins, mais elle compte essayer d’intégrer le programme de formation des opérateurs spatiaux de Mars. Reprendre sa vie et sa vocation où elle l’a laissée.

Après l’exercice, elle passe à la salle des soins et prend une douche. Là elle étudie un peu : elle a trouvé un cours virtuel sur les opérations spatiales dans les colonies et, il faut bien le reconnaître, les corporations ont une avance formidable sur la Terre.

C’est vers midi que les envahissants voisins viennent généralement lui rendre visite et l’invitent à aller manger en « extérieur ». Il n’est évidemment pas question de faire un pique-nique sur le sable du désert martien, mais les grands dômes offrent un volume ouvert impressionnant et la plupart des restaurants s’étalent sur les esplanades au milieu des grandes tours jaunes et bleues.

L’après-midi est souvent le moment de visiter la cité ou de s’immerger dans la réalité virtuelle. Emy n’a pas encore le moindre implant ce qui fait d’elle l’une des rares humaines non modifiée à la surface de la planète rouge. Pour bénéficier de la réalité augmentée et virtuelle, la jeune femme utilise encore le link que lui avait donné le commandant Feyn. C’est une simple paire de lunette en apparence, mais les verres sont en réalité des écrans holographiques capables de sur-imprimer l’environnement virtuel par-dessus sa vision. Les branches portent en plus des écouteurs intra-auriculaires. Même si l’appareil peut paraître désuet dans les colonies, elle en prend grand soin : quelque part Feyn est devenu une sorte d’idole pour elle et sa relique est très précieuse.

Le soir, c’est souvent un plateau repas sur le divan en regardant des cours de vulgarisation sur tous ces aspects des colonies qu’Emy n’aurait jamais soupçonné : la colonisation, l’espace, le point de vue des colonies sur la guerre, les questions philosophiques de cette société… Ces dernières sont sources de nombreuses réflexions et le fait de savoir que Mars, ou plus exactement Mnemesics, possède une « sauvegarde » d’elle quelque part au fond d’un bunker la met un peu mal à l’aise. Steve, et surtout Orah, insistent pour qu’elle l’actualise toutes les semaines.

D’autres soirs, Orah et Steeve invitent tout l’étage, et donc Emy, à des soirées cocktail et discussion. C’est un moment d’échange que l’ancienne Terrienne considère un peu comme une source d’ennui. Elle y va principalement pour lutter contre sa propension à l’isolement, mais elle ne se fait pas trop d’illusion sur sa capacité à s’intégrer complètement.

En plus de ça, ses premières allocations lui ont permis d’acquérir un télescope de grande qualité, elle le sort certains soirs et malgré l’épaisseur des dômes transparents qui protègent l’incroyable cité, et la couche de poussière qui génère une légère pollution lumineuse, elle observe les étoiles, les autres astres et même quelques stations orbitales. Ces installations sont bien plus difficiles à examiner, car elles filent dans le ciel à des vitesses incroyables et ne sont visibles qu’au crépuscule, alors que le soleil éclaire encore abondamment les couches supérieures de l’atmosphère.

Une chose l’a beaucoup fasciné : voir la Terre à la lunette. Quelle étrange sensation de voir son monde natal comme s’il s’agissait d’un monde étranger et magnifique. Et sa Lune, en réalité si lointaine de lui.

Ce soir, c’est la plus grande lune de sa nouvelle maison qu’elle veut observer : Phobos. Le soleil s’est couché depuis plus de deux heures et la lune mineure doit faire un passage. Contrairement à la Lune de la planète bleue qui se lève à l’est et suis le ciel pour se coucher à l’ouest, celle de Mars traverse le ciel à contre-sens en un peu plus de quatre heures. Et durant son voyage, l’astéroïde orbital présente plusieurs phases.

Emy vérifie la configuration et le positionnement de la monture. Essayant de procéder sans les outils modernes d’acquisition et de suivi, elle fait elle-même les calculs de l’éphéméride. Jusqu’ici, tout a l’air d’être correct et la monture se positionne guettant l’arrivée de l’astre promis. Finalement Phobos apparaît et déjà l’astronome se rend compte que l’alignement n’est pas correct. Invoquant à nouveau ses feuilles de calcul à travers son link, elle commence à chercher son erreur. Elle pourrait bien sûr corriger l’alignement à la main, et elle le fera si elle ne trouve pas son erreur, mais pour le moment, elle préfère mettre en pratique ses connaissances théoriques.

Au bout d’une dizaine de minutes, elle remarque une étrange créature assise sur le banc à quelques mètres derrière elle. L’être ressemble à une sorte de chat noir anthropomorphe, mais il lui manque une oreille. S’approchant, Emy s’aperçoit que la créature porte d’effroyables marques de brûlure sur tout l’arrière, de la tête jusque dans le dos en passant par les épaules.

D’une voix aiguë qui correspond étrangement bien au gabarit de la créature, elle lui souhaite : « Bonsoir.

– Bonsoir, lui répond la jeune femme. Tout va bien ?

– Ça va. Je suis Snack, et toi ?

– Je m’appelle Émergence, mais appelle-moi Émy. Que t’est-il arrivé ?

– J’ai gagné et je suis libre, s’enthousiasme la créature.

– Comment ça ?

– Je n’ai plus de propriétaire, explique-t-il.

– Et tu as gagné quoi ?

– Le combat. Le dernier combat. Je pense Zeisky avait triché, mais j’ai gagné alors ce n’est pas grave.

– Si ça ne te dérange pas, qu’est-ce que tu es ? demande la jeune femme confuse.

– Je suis un nevian. Un compagnon et un assistant domestique. Et Bill a même dit que j’étais un bon nevian.

– Qui est Bill ?

– Mon ancien propriétaire, répond le nevian.

– Il lui est arrivé quelque chose ? s’inquiète la jeune femme.

– Il a réussi à s’enfuir avec le chef de l’arène, donc je pense qu’il va bien. », répond candidement la créature.

Émy commence à réaliser que Snack – curieux nom – a certainement été abusé par ce propriétaire et la jeune femme s’inquiète de ce qu’il a bien pu subir. Contrairement à ce qu’il lui a dit, ses blessures semblent réellement préoccupantes.

Elle reprend : « Tu devrais faire soigner ton dos, non ? Tu veux que je te conduise à l’infirmerie ?

– Tu ferais ça ? Bill ne m’a jamais réparé… réalise Snack.

– Je range mon matériel et on y va ? propose l’astronome.

– D’accord, je peux t’aider si tu veux ! s’enthousiasme le nevian.

– Ça ira. », l’arrête Émy, encore incertaine des intentions de la créature.

Ranger le matériel est rapide, le télescope se replie facilement dans la valise qui forme le socle sur lequel la monture est installée. Quelques minutes plus tard, elle transporte l’imposante valise vers son appartement. Sur Terre elle aurait sans doute du mal à y arriver, mais avec une gravité presque trois fois moins forte, les quatre kilogrammes du matériel n’en pèsent plus que quinze. Continuer les exercices comme si elle était encore en apesanteur restent une bonne idée.

Bien que sa soirée astronomique soit probablement compromise, Émy ne regrette rien. D’une part dans le pire des cas Phobos sera de retour avant le lever du soleil et de l’autre, la lune est encore là pour quelques dizaines de millions d’années. Mais surtout, la créature ne semble pas autonome et Émy ne veut pas l’abandonner, livrée à son sort.

Arrivée devant son appartement, Émy ouvre la porte et dépose son matériel à l’entrée. Alors qu’elle referme la porte pour repartir avec Snack, Steeve sort de chez lui.

L’homme l’interpelle : « Bonsoir Émy !

– Bonsoir Steeve, répond-elle un peu rapidement.

– Des ennuis ? s’inquiète le voisin.

– Je vais conduire Snack, à l’infirmerie, je pense qu’il a été particulièrement maltraité.

– Si ça ne te dérange pas, je vais vous accompagner, propose Steeve.

– D’accord ! », accepte Émy qui préfère ne pas contrarier la paranoïa de l’homme.

Le chemin vers l’infirmerie est rapide. Durant le court trajet en train, Steeve pose des tas de question à Snack qui semble y répondre très sincèrement. De ce que la jeune femme retire de la conversation, Snack était la propriété d’un type pas super recommandable, Bill Tagarne, qui avait essayé de le sacrifier dans un combat d’arène pour gagner les faveurs de l’organisateur des combats, un certain Mathew. Sauf que Snack s’est montré plus combatif que prévu et qu’en gagnant ce combat, et plusieurs autres, il a finalement été libéré de ses charges et relâché dans les sous-sols de la ville. La plupart de ses blessures proviennent d’une effroyable créature destinée à le tuer dans un ultime combat. Par la façon dont l’homme esquive inhabituellement certains sujets, Émy à l’impression que sa présence empêche Steeve de demander beaucoup plus de détails sur ces combats et sur les hommes qui ont croisé la route du nevian. La jeune femme met tout ça sur la méfiance naturelle de son envahissant voisin.

Arrivés à l’infirmerie, un synthétique arrive et prend le nevian en charge. Une dizaine de minutes à combler les blancs avec Steeve s’écoule et le synthétique revient sans Snack. Il demande : « J’ai une mauvaise nouvelle : nous ne disposons pas des schématiques pour réparer son organisme.

– Comment ça ? s’offusque la jeune femme.

– Il s’agit d’un organisme hyper-hybride et nous n’avons pas le détail de son fonctionnement, explique l’androïde.

– Vous ne pouvez rien faire ?

– Nous pouvons cloner l’oreille droite pour reconstruire la gauche et réparer les tissus brûlés, mais nous ne pourront pas remplacer sa queue.

– Il avait une queue ? s’étonne la jeune femme.

– C’est ce qu’il a indiqué et le scanner indique clairement que la colonne vertébrale a été coupée en dessous du bassin.

– Comment peut-on avoir ces schématiques ? demande Steeve.

– Il vous faut contacter le fabriquant, Elmetech Philorganics.

– Bon, parons au plus urgent, recentre Émy. Si vous pouvez réparer son oreille et soigner ses plaies, faites-le, s’il vous plaît.

– Je ne peux pas autoriser cette opération, conteste le robot. Ce nevian prétend ne plus avoir de propriétaire. Les robots non sentients sont normalement recyclés par la cité.

– Pardon ? s’écrie Émy refusant viscéralement la situation.

– Il doit y avoir une erreur, calme Steeve.

– Et si je veux le garder, vous le réparerez ? propose la jeune femme.

– Oui, confirme le robot.

– Alors je le garde. Réparez Snack ! », ordonne la jeune femme.

Le robot, lui fait signe de venir pour remplir la « documentation » et récupérer son premier nevian.

Steeve, lui, reste interdit, comme si tout ce qu’il avait connu venait de changer subitement. Il sait très bien qu’il n’arrivera pas à la convaincre de le laisser partir au recycleur aussi il se rassied en indiquant qu’il l’attend là.

Alors qu’elle suit le synthétique, Émy suppose que l’homme est déjà en train de tout raconter à Orah. Peu importe ce qu’ils risquent de penser de leur voisine, elle ne pouvait pas se résoudre à laisser cette créature partir à la poubelle.

Et qui sait ? Ce nevian sera peut-être une meilleure solution pour briser la monotonie.

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