3 – Snack : Sanglantes impressions

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C’est le grand soir promis par Bill. Avec Jumper, ils discutent encore de cet événement important pour le propriétaire de Snack. Visiblement, son ami n’est pas spécialement convaincu et semble même, par l’expression de ses regards furtifs en direction du nevian, ressentir de la gêne, comme des regrets.

Comme « il n’est pas dangereux et obéissant », Bill le laisse libre de ses mouvements et Snack attend patiemment le fameux moment où son propriétaire aura besoin de lui. Jusqu’ici, le nevian se contente de surveiller la charge de ses batteries et de prendre son nutrigel.

Jumper et Bill ont terminé leur discussion et le technicien s’en va. Il fait un geste d’au revoir avec une mine un peu peinée. Le nevian lui renvoie la politesse, accompagnée d’un geste gracieux de la main : « Au revoir Jumper ! ».

Une fois l’homme parti, Bill s’adresse à lui : « Snack, viens. On va discuter de ce qu’on va faire ce soir.

– D’accord ! répond joyeusement la créature.

– Comme tu sais, ce soir il y a une fête organisée par un gars très important et je veux faire une bonne impression.

– Oui.

– Bref, Mathew organise des combats de créatures synthétiques et les gens font des paris dessus. Je veux que tu fasses le combat d’ouverture.

– D’accord.

– Ce sont des combats à mort, donc il faudra se battre jusqu’au bout. », explique l’homme avec un sourire en coin. Visiblement, il ne s’attend pas à ce que Snack l’emporte. Le nevian enregistre toutefois l’ordre dans sa mémoire, réfléchit quelques instants et demande : « Mes adversaires ne seront pas sentients, si ?

– Non, pas de combattants sentients, c’est interdit par Mathew.

– D’accord.

– Est-ce que tu as des questions ?

– Je dois gagner ?

– Ha ha ha ! Oui tu dois gagner. », répond Bill hilare.

Le nevian se rend bien compte que le propriétaire ne s’attend pas à sa victoire, Après tout Jumper avait parlé de le « sacrifier ». Pour ce que la créature a pu recouper, Mathew semble aimer commencer ses soirées par un massacre. Mais Bill a demandé à Snack de gagner.

« Bon, j’ai encore pas mal de choses à faire pour ce soir, je repasse te chercher dans… huit heures.

– À tout à l’heure alors ! », lui souhaite Snack tandis que l’homme passe le seuil de la salle de stockage sans se retourner.

Snack fait le point sur ses options. Évidemment, à part optimiser la charge de ses batteries et s’assurer qu’il possède des réserves suffisantes de nutrigel, il ne peut pas vraiment agir au niveau physique. Et sur ce point Bill s’est montré généreux.

Au niveau logiciel, Snack voit immédiatement des points d’améliorations. Ses procédures d’auto-défense, sont celles de base, communes à tous les nevians. Surtout conçu pour maîtriser un humanoïde sans le blesser, ce ne sera pas suffisant, ni pertinent. On parle ici de combats à mort contre d’autres créatures, probablement non humanoïde. Rien d’utile ? Si, les paramètres de sa propre enveloppe y sont précisément détaillés.

Sans perdre de temps, le nevian lance un espace simulé et commence les entraînements virtuels à un rythme inhumain. Huit heures pour se préparer ? Dans l’espace virtuel, ça lui fera plus de deux mois en continue, sans avoir besoin de récupérer, sans même avoir besoin de se repositionner entre chaque combat. Et pour les adversaires ? Un nevian ne manque jamais de créativité, c’est l’héritage de la lignée des Wolfa, le noyau de son intelligence artificielle.

« Snack ! C’est le moment. »

L’entraînement est terminé donc. 67 jours d’entraînement simulés, plus de cent mille combats. Au début surtout des défaites, mais au fil du temps de plus en plus de victoires.

« Viens, suis-moi, ordonne Bill.

– D’accord. », accepte Snack se dirigeant vers la porte du local où il était entreposé.

Les sections de maintenance sont un véritable labyrinthe pour qui découvre les lieux. Le nevian prend soin de bien mémoriser les plans pour être capable de regagner le stockage et son précieux chargeur.

Finalement, ils parviennent dans une grande salle. Ce devait être un local rempli de machinerie, mais les gens qui l’utilisent désormais l’ont vidé et ont construit une grande arène circulaire dedans et installé des sortes de gradins autour. De ce que Snack peut voir, l’espace de combat est délimité par un grillage solide, qui l’encercle et le couvre. Seuls deux ouvertures existent, une de chaque côté.

« Il faut que tu entres là-dedans Snack. », lui ordonne son maître en lui présentant une caisse grillagée d’un mètre de côté. Le nevian obéit et entre dedans. Il tient à peine debout et ses oreilles duveteuses dépassent par les trous du grillage grossier. À l’extérieur, les gens se massent sur les gradins, soixante et onze en tout.

En hauteur, un homme appel au silence et le niveau sonore baisse brusquement. C’est visiblement quelqu’un d’important. Alors que Snack tente de trouver son adversaire à travers le grillage, on déplace sa caisse en face de l’une des deux entrées et l’homme commence un discourt : « Bienvenue à l’arène de Lunae ! Ce soir onze combats nous attendent. Applaudissez les entraîneurs, concepteurs ou trouveurs de ces créatures formidables ont travaillé dur pour nous offrir ces combats. »

Tout le monde se lève et commence à applaudir, le logiciel de sociabilité de Snack suit le mouvement ce qui provoque l’hilarité des spectateurs proches.

Le présentateur reprend : « Mais commençons par le combat d’ouverture. Je rappelle aux étourdis qu’il n’y a pas de pari autorisé dessus. Dans la cage de la section rouge, le terrifiant Perforateur attend sa proie. Il est le grand champion des trois dernières arènes et ses combats sont toujours courts ! »

La foule avilie lance quelques cris bestiaux et des applaudissements tandis que sa cage est solidement attachée à la structure de l’arène.

« De l’autre côté, dans la cage de la section violette, le tout mignon et tout charmant Snack ! Il attend… Vous savez, pour l’ouverture ! »

Des rires éclatent, et les gens applaudissent. Naïvement, le logiciel de sociabilité applaudit aussi.

« Maintenant, retenez-votre souffle, ça va commencer, et ça promet d’être court ! »

Quelques instants plus tard, un décompte sonore se lance et au signal, l’arène est puissamment éclairée. La paroi de la cage s’ouvre latéralement et Snack est invité à avancer dans l’arène. En face de lui, un monstre comme un scorpion sans pinces mais avec quatre queues s’avance dans la lumière crue.

C’est parti. Snack mobilise la totalité de ses ressources pour anticiper les mouvements de son adversaire qui projette l’une de ses quêtes à travers l’arène. Profitant de ses muscles hyper-hybrides le nevian s’écarte de la trajectoire et se saisit de l’appendice acéré alors qu’il commence à se rétracter. Pour le moment, la foule n’a pas encore réalisé ce qui vient de se passer. Alors que le scorpion tente de rapatrier son porte dard, Snack s’accroche fermement au sol grâce à ses pattes gecko. Un cri d’étonnement traverse les gradins.

Pour se débarrasser de l’importun, l’espèce d’arthropode tente d’envoyer ses trois autres appendices ; Snack effectue un saut prodigieux sur le toit de l’arène qui manque presque de se détacher. Les trois dards frappent le sol où se trouvait le nevian, laissant de profondes marques dans le sol.

Rebondissant sur le plafond grillagé, le combattant en fourrure plonge au sol, sans lâcher sa prise sur la queue qu’il a saisie. Une onde parcourt l’appendice, remontant jusqu’au corps chitineux de la créature et un claquement presque sonique, se fait entendre lorsque la tige se sépare violemment du corps.

Alors que le scorpion tente de rapatrier ses dards restants pour pouvoir frapper à nouveau, Snack s’accroche à l’un d’eux pour profiter de l’impulsion et se rapprocher de la créature, retournant l’arme volée contre son adversaire. Sous la force de l’impact, la pointe traverse l’épaisse carapace et projette de nombreux éclats à l’intérieur du scorpion menaçant.

Pour être certain de la victoire, Snack porte de nombreux autres coups à un rythme frénétique, mais la créature terrifiante est désormais inanimée. Les gradins sont silencieux et les spectateurs paralysés par la stupéfaction. Même le présentateur est devenu pâle.

Finalement, une femme, puis d’autres commencent à applaudir. Quelque-uns se repassent au ralenti la scène. Couvert de l’ichor de la créature, le dard entre la main, Snack réalise : il a gagné !

Bill, assis près d’un homme à l’expression ambiguë, semble complètement effondré. Jumper, un peu paniqué, lui fait signe de revenir à la cage. Snack pose les restes de l’appendice au sol avec précautions et revient dans la boîte grillagée. Une fois dedans, l’ami de Bill lui demande : « La vache… Comment tu as fait ça ?

– J’ai beaucoup réfléchit et j’ai compris où se trouvaient les forces et faiblesses de ce corps, explique le nevian.

– Et elles sont ?

– Réflexes, coordination, puissance musculaire et des pattes gecko qui donne un avantage au tir à la corde.

– Tu peux me donner les spécifications de ton modèle ?

– Je te les envoie. », accepte Snack qui lui transmet la notice de son fabriquant, Elmetech Philorganics. Le technicien en commence immédiatement la lecture pendant que deux hommes referment la cage de Snack et la déplacent dans une arrière-salle, où d’autres créatures enfermées attendent leur tour sur le podium.

Quelques minutes plus tard, Bill, très pâle, et l’homme qui était à côté de lui entrent, suivit de Jumper, plongé dans sa lecture, mais visiblement très inquiet.

« Donc c’est ça un nevian ? Et on en donne aux enfants ? ironise l’inconnu.

– Je ne comprends pas, tremble le propriétaire de Snack.

– C’est un hyper-hybride, explique Jumper. C’est pas un organique.

– Et tu ne le savais pas Bill ? s’étonne l’homme.

– Non monsieur, penaude l’homme.

– Ah, la barbe, appelle-moi Mathew, comme tout le monde.

– D’accord Mathew.

– Et t’en fais pas, le rassure le maître de l’arène, ton Nevian, il m’a beaucoup amusé. Il a foutu en l’air le champion, mais ça fera du bien à l’arène d’avoir un peu de renouveau. Et personne n’avait eu les couilles… pardons, le courage d’apporter quelque chose de valable pour l’ouverture.

– Et pour Zeisky ? demande Jumper.

– Ah, il va probablement demander une réparation pour lui avoir dégommé son bestiau, confesse Mathew.

– Ça ne rentre pas dans le cadre des risques de l’arène ça ? tente Jumper.

– Si ce Snack, j’aime bien ce nom… Si ce Snack était organique oui… Mais ce n’est pas le cas.

– Jumper, tu peux lui demander venir, je préfère que ce litige soit réglé rapidement et sans ressenti.

– Ça marche ! » s’exécute le technicien.

Dans sa cage Snack essaie tant bien que mal de se débarrasser de l’hémolymphe de son opposant. Le liquide verdâtre coule sur son poil hydrophobe, laissant une traînée de particules claires qui s’accrochent désespérément à son pelage noir. Mathew le regarde faire, avec un sourire difficile à interpréter : Snack hésite entre la curiosité et le sadisme.

Jumper fait finalement irruption dans la salle, accompagné d’une femme vêtue d’une tunique semblable à un kimono de kung-fu. Ses yeux transcrivent la colère et l’amertume. Jumper semble essayer de conserver une distance minimale avec elle, ce qui la rend encore plus impressionnante.

« Zeisky, au nom de toute l’arène, je suis désolé pour ta perte.

– Merci Mathew. », répond la femme malgré son état. L’homme, qui ne semble pas la craindre en s’approchant d’elle, semble représenter l’autorité ici, une autorité non contestable.

L’homme de l’arène reprend : « Il semble que Bill se soit bien planté en choisissant ce nevian. Il voulait gagner des faveurs, je ne pense pas qu’il l’ait fait volontairement. Mais il a commis une sacrée boulette et va donc te dédommager pour la destruction de ta créature. As-tu un prix ?

– Oui, répond sans hésitation la femme. Je veux la queue de cette créature.

– Tu veux qu’on lui arrache la queue ? sursaute Bill.

– Oui, ça te pose un problème ? le défie-t-elle.

– Eh bien… », commence Bill, coupé par un discret geste de Jumper.

« Ok, reprend-il. Il va me falloir une lame.

– Ça ira ? », riposte la femme qui sort un poignard à la lame noire de sa tunique et le lui tend, deux doigts pincés sur la lame.

Bill, attrape l’arme et se dirige vers la cage de Snack. « Snack, je suis désolé, mais il me faut…

– Ne t’en fais pas Bill, si tu veux je peux le faire, propose Snack.

– D’accord. », accepte l’homme tremblant.

Snack, se saisit de l’arme et passe ses mains derrière lui. L’un de ses processus de survie se met en marche, mais écrasé par l’autorité confiée au propriétaire il se contente de bloquer l’afflux sanguin au niveau de la dernière vertèbre pré-caudale. La lame passe facilement à travers le poil, la chair, ne luttant que brièvement sur l’os. Immédiatement les nanites qui circulent dans son sang s’agglomèrent pour prévenir l’hémorragie.

Snack tend innocemment l’appendice détaché et la lame à Bill, qui s’essuie les yeux avant les saisir et les donner à la femme.

« Voilà. Que vas-tu en faire ? demande-t-il.

– Ça ira dans ma collection. Mathew, merci pour avoir arrangé tout ça rapidement. », termine-t-elle avant de repartir, suivie de Jumper.

Brisant le silence, Mathew réconforte Bill : « Ah mon garçon, ça ne s’est pas passé comme tu l’espérais, mais j’ai été suffisamment, diverti. Je pense que ton nevian, il a de l’avenir dans l’arène.

– Je croyais que tu ne prenais que les organiques ?

– Oui, mais je compte offrir un prix spécial à qui apportera un organique qui arrivera à battre ton Snack. Et tu toucheras ta part qu’il gagne ou non.

– Je vais y réfléchir.

– Parfait alors ! Si tu me permets, je vais aller suivre les autres combats.

– Bonne soirée, souhaite Bill.

– Bonne soirée, répète Snack.

– Bonne soirée vous deux ! », termine Mathew d’un grand sourire avant de franchir le seuil.

Bill s’assied à côté de la cage, encore secoué par sa soirée, visiblement travaillé par ses pensées et sans doute une chute d’adrénaline.

Snack de son côté attend la suite. Il se demande si la proposition de Mathew sera bonne pour son maître. Ce qui s’est passé semble avoir affecté bill plus profondément que ce qu’il veut bien admettre.

Enfin, il a gagné non ? Est-ce que ça ne fait pas de lui un bon nevian ?

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