De l'autre côté

6 minutes de lecture

Je me réveille dans la nuit profonde, il doit être deux, voire trois heures du matin. La demeure est calme, silencieuse. Je ne parviens jamais à dormir très longtemps, je ne cherche donc pas à me rendormir.

Je me lève et me hisse sur la pointe des pieds, en me rappelant, tardivement, que je ne risque pas de réveiller celui qui dormais avec moi il y a de ça quelques jours. Je me retourne vers le lit vide avec une pointe de nostalgie, peut-être qu'au fond de moi, je l'aimais. Je ne sais pas trop ce qu'est l'amour, est-ce que je l'ai déjà ressenti?

Toutefois, avoir quelqu'un dans mon lit, me plaisait, d'une certaine façon. Cela m'apportait une certaine chaleur, une présence.

J'atteins la fenêtre et je l'ouvre. Tout de suite, une brise fraiche se mélange à mes longs cheveux et je prends une grande inspiration. Et je fixe mon regard loin, très loin, peut-être même trop. Si bien que je pense voir le grand mur, qui nous sépare du sud, de l'autre côté.

Le Nord et le Sud, séparés, différents en tout point. Le grand mur nous assure une cohabitation parfaite. Le Nord ne communique pas avec le Sud, le Sud ne communique pas avec le Nord, enfin c'est à peu près ça. Le Sud gère l'approvisionnement du Nord. Nourriture, vêtements, bijoux, tous travaux manuels proviennent du Sud. Donc, on peut dire qu'il y a un certain échange entre nous, strictement commercial.

Je ne sais rien de l'autre côté, je sais juste qu'ils existent et qu'ils ne sont pas fréquentables. La plupart des gens du Nord oublient jusqu'à leur existence, et c'est mieux comme ça.

Je détourne les yeux, comme si regarder dans cette direction allait me porter préjudice. C'est un sujet tellement tabou. J'ai appris tout ce dont je devais savoir, selon ma mère, et je n'ai pas le droit d'en demander davantage.

Je n'ai plus qu'à attendre patiemment le lever du soleil. Dans quelques heures, je serai loin d'ici. Je suis heureuse de ce départ, je n'ai jamais voyagé. Il a fallu la mort de mon mari pour que je puisse enfin sortir de ma "grotte". Peu importe où l'on m'emmène, je vais enfin pouvoir sortir de ma routine morbide. Je n'ai que vingt ans et je n'ai jamais rien fait de bien exceptionnel dans ma vie. Ma vie est dictée par plus grand et plus fort que moi, je ne décide de rien. On pourrait croire que j'ai une place importante dans cette société, mais en réalité ça ne l'est pas tant que ça. Je ne fais que suivre ce qu'on me dit.

Je chasse ces pensées, il ne sert à rien de ruminer de la sorte. Je devrais m'estimer heureuse d'avoir la vie que j'ai. Je me place devant ma coiffeuse et je m'observe dans le miroir. Je n'ai pas vraiment le physique idéal. Je suis assez banale, rien ne me fait sentir unique dans mon apparence. Je suis sûre que si je sortais dans la rue, personne ne se retournerait sur moi. Je baisse les yeux, je n'arrive jamais à me regarder plus de deux minutes d'affilée. Je lâche un soupir et j'ouvre le pot de crème qui se trouve devant moi. J'en applique une couche épaisse et je me maquille un peu, juste pour avoir meilleure mine. Il faut dire que le peu d'heures de sommeil que j'ai ne m'aident pas beaucoup dans ce domaine.

Je ne m'attarde pas plus devant ce miroir que j'en viens à détester. J'enfile les vêtements que l'on m'a préparé préalablement. Je me dirige vers la fenêtre, je regarde le ciel. Le soleil est levé, il doit être six heures du matin.

J'entends frapper à la porte, ce qui confirme ma déduction, il est bien six heures du matin. Comme d'habitude, Noah est réglé comme une horloge, il n'est jamais en retard.

- Vous pouvez entrer ! Dis-je assez fort pour qu'il m'entende à travers la porte.

Il ouvre tout doucement la porte et s'introduit dans la chambre.

- Etes-vous prête Madame ?

- Oui.

Il ouvre encore plus la porte et se place à côté pour m'inviter à sortir. Je m'exécute et je sors de la chambre. Ma mère m'attend à la sortie.

- A bientôt, prends soin de toi ! Me dit-elle avec un léger sourire, mais toujours avec cet air détaché.

- Oui, mère.

Elle tourne les yeux vers mon protecteur qui se tient à côté de moi. Elle ne lui adresse aucune parole, juste un regard très significatif. Le genre de regard qui signifie de ne pas faire d'erreurs. Le message est clair, je suis sous sa responsabilité, aucun accident n'est permis.

- Je prendrai soin d'elle, Madame. Ne vous inquiètez pas. Dit-il, mettant fin à cet échange tacite.

Il fait un pas, et, d'instinct, je le suis. Nous nous éloignons de ma mère et bientôt, nous quittons la demeure familiale. Il me tend la main pour que je monte dans la calèche. Quand il est sûr que je sois bien installée, il se place à l'avant du véhicule pour le conduire. Quelques secondes après, nous nous mettons en route.

Nous sommes partis depuis maintenant un peu plus d'une heure. Nous nous arrêtons, je regarde vers l'extérieur. Je vois une petite maison isolée entourée d'un jardin qui n'est pas du tout entretenu. Je fronce les sourcils. Noah met du temps à venir m'ouvrir la porte. Je commence à paniquer, l'inconnu m'effraie. Je m'agite, j'ai hâte de voir le visage de Noah, le seul qui ne me soit pas inconnu dans ce décor.

Soudain, la porte, du côté opposé où je regarde, s'ouvre et un individu s'introduit. Il me saisit et met un torchon sur ma bouche et mon nez, sans doute pour m'empêcher de crier. Je me débats de toute mes forces mais très vite, je sens que quelque chose cloche. Mes forces me quittent et mon agresseur se tient dans mon dos si bien que je ne sais pas voir son visage. Ce torchon est imbibé d'une substance, j'arrive à la sentir maintenant. Le produit a un effet puissant sur mon corps, je sais que je ne serais pas consciente très longtemps. Je prie pour que Noah intervienne, vite. Même si, au fond de moi, je sais que s'il n'est pas encore intervenu, c'est qu'il lui est arrivé quelque chose à lui aussi. Mes paupières deviennent lourdes, elles se ferment sans que je puisse faire quoi que ce soit.

Quand je reprends conscience, je n'ouvre pas de suite les yeux. J'ai peur de ce que je vais voir. Je suis tétanisé, je n'ose même pas bouger. Je suis allongée sur ce qui me semble être un lit, il n'est pas très confortable. Je possède encore mes vêtements, ce qui me soulage.

Je me décide à ouvrir les yeux, la pièce est obscure mais je distingue une ombre au fond de la pièce. Je referme directement les yeux, quelqu'un est dans cette pièce et il m'observe. Je doute qu'il ait vu ma reprise de conscience, il fait bien trop sombre.

- Vous êtes réveillée.

Un frisson me traverse, c'est la voix d'un homme, et ce n'est pas celle de Noah. Je suis désormais terrorisée, je déglutis difficilement. J'ai peur.

Des bruits de pas résonnent dans la pièce, il se dirige vers moi. Prise d'une envie profonde de m'en sortir, je me retourne pour me remettre sur pied et courir aussi vite que je peux mais le lit est moins large que ce que je n'avais prévu. En deux temps trois mouvements, je me retrouve par terre. Surprise et apeurée, je suis incapable de me relever. Les pas derrière moi se pressent, nous sommes séparés seulement de quelques centimètres.

- Vous allez bien ? Dit la voix de l'inconnu.

Il me rejoint et s'accroupit près de moi. J'ai les yeux fermés.

- Vous ne craignez rien, je ne vous ferai aucun mal.

Il perçoit certainement mon anxiété. Malgré ses mots, je ne parviens pas à me calmer. Quelque chose cloche, l'absence de mon protecteur signifie que je ne suis pas en sécurité ici.

Il faut néanmoins que je tente de m'en sortir. J'ouvre les yeux, j'essaie de calmer ma respiration qui s'est considérablement accélérée. Je me tourne vers l'inconnu, doucement.

Mon coeur rate un battement, je suis condamnée.

Je suis de l'autre côté.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jae ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0