Période de deuil

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Aujourd'hui, c'est le premier jour de mon retirement. Comme le veut la tradition, l'héritière doit s'isoler pour observer son deuil et ce durant six mois.

On dirait que ça arrive à quelqu'un d'autre. Cette situation ne me trouble pas. J'aimerais pouvoir dire que c'est le choc de cette perte subite, que je n'y étais pas préparée, ce qui est vrai, d'ailleurs. Mais ce n'est pas ça. Sa mort ne m'affecte pas. C'était pourtant un homme admirable, avec de nombreuses qualités. Il était aimant, généreux, souriant. Il avait tout du prince charmant. Sa mort a été prématurée. Il s'est éteint si vite, tout le monde est accablé. Tout le monde sauf moi.

Je suis indifférente. La tristesse viendra après, je présume, mais je sais déjà que cette tristesse ne sera ni transperçante ni insupportable. Elle sera là et c'est tout. Il me manquera, c'est une certitude. Nous avions réussi à tisser quelques liens cordials, une amitié naissait...

Il a été mon mari pendant deux ans. Promise en mariage dès mes quatorze ans, mon destin était scellé. Sa mort a déjoué tous les plans que ma mère avait élaborés. Elle est la plus touchée par cette tragédie. Si lui et moi n'étions pas grand chose l'un pour l'autre, ma mère, elle, voyait de grands projets pour nous. Elle n'avait plus de soucis à se faire car il était là. Le fait est qu'il ne l'est plus et qu'il faut vite trouver une solution pour la stabilité du pays que l'on doit gouverner.

Mais, comme je le disais, ce ne sera pas pour tout de suite, l'heure est au retirement, au silence, au recueillement, à l'émotion. Je dois faire de mon mieux pour être digne et, dans un même temps, être touchée par la situation.

Pendant que tout le monde s'active pour préparer mes affaires pour mon grand départ, je suis assise, fixant le jardin de ma fenêtre. Cette position convient parfaitement pour illustrer une femme triste mais digne.

En réalité, je me demande plutôt où on m'emmenera demain. Je ne peux rien savoir, ni moi, ni les membres de la famille royale. Une seule personne est désignée pour se charger de la destination et de tout ce qui s'y rapporte. Cette personne est aussi en charge de ma protection pendant toute la durée de la période de deuil. C'est "mon protecteur". Il est désigné dès la naissance pour assurer la protection de la princesse. Il vient lui-même d'une famille de protecteurs de génération en génération. C'est une tâche lourde de sens et de responsabilités. S'il m'arrivait quelque chose, ce serait de sa faute et il serait alors exécuté.

Son nom c'est Noah. Il a dix ans en plus que moi. En effet, dix ans c'est jeune quand une telle responsabilité vous tombe dessus. Mais il n'est pas entré en fonction dès dix ans. Il a juste su qu'il serait mon protecteur sa vie entière. Ensuite, s'en sont suivi des années de formation. Pratique des arts martiaux, maniement des armes, décryptage du langage oral et non-verbal, apprentissage du protocole... Alors qu'il n'avait que dix ans, il a appris ce que serait sa vie à mes côtés, une vie de sacrifice, une vie de pression. Il n'avait que dix-neuf ans lorsqu'il a commencé à remplir pleinement son rôle, autant dans la théorie que dans la pratique.

C'était alors la seule présence masculine qui était à mes côtés, jusqu'à ce que mon mari arrive dans ma vie. Et maintenant qu'il n'est plus de ce monde, il ne me reste plus que Noah. Notre relation n'est pas vraiment différente de celle que j'entretenais avec mon mari. Nos échanges sont rares et strictement professionnels. La plupart du temps, il me dit juste ce que je dois faire. Il n'y a jamais rien eu de personnel entre nous. Pourtant, sans que je me l'explique, je sens que nous sommes liés. Peut-être, en grande partie, s'agirait-il d'une certaine curiosité.

- Madame?

C'est justement Noah qui me sort de ma rêverie. Alors que je viens d'assister à l'enterrement de mon mari, j'étais en train de ressaser ma relation inexistante avec mon protecteur. Je me sens soudain mal à l'aise, vis-à-vis de moi, de mon mari, et même de Noah. Je baisse les yeux pour ne pas à affronter son regard, honteuse de mes pensées.

- Oui? dis-je d'une voix si basse que je doute qu'il n'ai entendu ce que je viens de répondre.

- Vous devriez vous reposer! Nous partons tôt demain et vous avez eu une longue journée.

Il a raison, je dois sans doute aller me reposer et ne plus penser à rien. Je suis certainement assise ici depuis des heures, si bien que quand je me lève, mes jambes me lâchent.

Noah me rattrape avant que je tombe au sol. Je me retrouve dans ses bras, ce qui, d'aussi loin que je me souvienne, n'est jamais arrivé.

- Je vous raccompagne, Madame!

Il me redresse, sans pour autant relacher son emprise. Il m'entoure de ses bras et commence à marcher. Machinalement, je marche dans ses pas.

Nous sommes arrivés jusqu'à ma chambre et il s'arrête. Il n'y entre qu'en cas d'extrême urgence. Ma chambre est mon seul endroit d'intimité. Sans un regard pour Noah, j'y entre. Je soupire, cette journée a été longue et je me couche de tout mon long sur le lit. Je m'endors paisiblement.

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