J'écoute du jazz dans les creux de mon vague à l'âme. Ces creux m'avalent le plus souvent la nuit, quand, désespérant entre les pics routiniers, mouillé d'amertume entre les plateaux, je songe à une complète cessation du temps. Lorsque je sens l'obscure transition s'asseoir en mon être, comme un génie statuaire face à son piano de marbre, je deviens ce marbre fondu dans l'au-delà salvateur, je me noie dans les fonds complices de la relaxation ; alors je me découvre fragile comme si l'Univers entier me regardait avec une tendresse parentale, comme si l'Univers était un corps bienheureux et infini, profond comme le non-dit d'une amitié irrévocable.

  Suspendu dans cette fragilité, je couche mon désordre dans le grand tableau des jours achevés, passés et futurs, achevés ; plus rien ne me tient ensuite, les mots deviennent inconsistants, l'image intraduite. Mais j'écoute du jazz et, le temps d'en mourir, je suis heureux.

  S'il existait une vision idéale que nous puissions saisir, depuis l'espace trop immense entourant les perceptions, depuis les abîmes trop interrogatifs du dedans de tout et de nous, une vision idéale de notre planète presque ronde comme une trompette, je suis infiniment certain qu'elle serait l'image exacte, aujourd'hui explosée en fragments de nuits, de villes et de consolation, l'image exacte comme un gonflement de joues du plus beau de nos dieux jamais imaginés, au souffle le plus chaud et inépuisable, aux plus jolis yeux dans les plus jolis cieux, comme deux croissants de lune soulignés de peau saillante, la sublime image, l'image exacte du jazz.