Je suis le petit-fils du Missouri. Ne riez pas. Pourquoi ne pourrait-on pas être le petit-fils d'un État ? Je suis le petit-fils du Missouri ; mes gènes et ma mémoire l'affirment ici, bercés par les bras ridés de la rivière Osage. Le regard amarré sur les eaux calmes, ma maison d'enfance était une pauvre dame souffrant d'arthrite, dont l'âme brûlait, dans un âtre plus chaleureux que Noël, pour les enfants perdus dans leurs vieillesses, qui savouraient autour de l'âme et de l'âtre, comme en un décembre enrhumé d'allégresse lourde, la victoire sur l'année, ou quelque victoire sur la vie.

  Entre ses murs, ses côtes plaintives aux poumons vigoureux, j'étais si petit que je ne ressemblais pas à mon monde, mais j'étais si nouveau que j'en renvoyais l'image ancestrale, à la manière d'un jeune écho : des vieillards de tout âge souriant aux anges de mes yeux, j'étais la veilleuse fragile qui ne s'éteignait pas, condensant le temps dans son éclat léger. Mes vieillards rajeunissaient leurs genoux sous mon poids comme s'ils n'avaient jamais su être vieux, comme s'ils découvraient qu'ils ne l'avaient jamais voulu.

  Je suis le petit-fils du Missouri : voilà ce que j'entendais toujours dire de moi lorsque je rendais visite à mon grand-père en France, comme un repère, une identification parmi les cousins éparpillés. La mémoire confond la vérité et la métaphore, ou la mémoire les mélange ; je ne sais plus très bien, à dire la vérité, s'il y a une métaphore. Je n'ai jamais grandi aux yeux du Missouri ; je reste un petit-fils, en toute conscience et en toute volonté, de toutes mes forces insoumises, sur les genoux de mon État ; je reste un petit-fils pour mon grand-père et pour tous les vieillards que j'entends briller, là-haut, comme un million de veilleuses.