D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été l'outsider de mes groupes d'amis, toujours été celui qui marche en retrait, dont on remarque l'absence avec indifférence, parfois avec soulagement. Peut-être parce que je parlais peu ou parlais mieux, je tenais les bandes hors des faciles délinquances et débilités ordinaires, et je crois que l'on me méprisait pour cela ; je pesais d'un poids sage, une vaguelette d'âme à recracher dans les toilettes de l'adolescence. Je n'aime pas ce que j'étais, mais je n'en méprise pas moins ceux qui m'accompagnaient en ces temps péjoratifs ; parmi les hyènes malhonnêtes, je me sentais un loup bizarre adopté par les circonstances, loin des meutes ; je me sentais le septième des six compagnons, dont les compagnons n'étaient pas les six autres, le copain sincère de Kafi.

  J'ai fini, passé le collège, par devenir le spectre éloigné des bandes que chacun connaît. Il faut trouver l'ordinaire en soi, m'a dit un jour un père de fiction ; j'ai embrassé son conseil comme une maxime urgente, tant je détestais l'orgueil insane dont je me transfigurais malgré moi, l'injustice active et insultante qui me donnait le sentiment d'un surplus d'âme ; qui voudrait d'un surplus d'âme, et qui pourrait vraiment croire en jouir ? La prétention et la modestie, la sensation et le rejet, comme tant d'autres paires désabusées, se jouaient de mes années en se saute-moutonnant sans fin, pour une quête sans horizon.

  Aujourd'hui je scribayonne avec maladresse, tandis que mon cœur joue, en arrière plan de cela, aux géographies de lumière ; je scribayonne et m'arrête ici, sans expliquer ces derniers mots, car le Bulleux Nombril ne déborde pas – j'ai signé cet accord. Alors tranquille, j'attends la transfiguration du nombre, sans l'expliquer, ni à moi ni à personne.