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Le lendemain matin, Elloa rentra chez elle. Un peu plus tard, je partis au lycée. J'y retrouvai la bande que je m'étais mise à haïr. Mais je n'osais rien dire concernant ma précédente nuit. Elloa ne se montra pas au lycée ce jour-là. On ne la revit que la semaine suivante. Elle semblait fatiguée et ne marchait pas bien droit. Alors que je prenais quelques affaires dans mon casier, elle vint me saluer, timidement.

- Désolée, me dit-elle, je n'ai pas pu te donner de mes nouvelles, je ne pouvais plus sortir. Mon père s'est mis dans une rage folle après que je sois retournée à la maison l'autre matin. Je ne l'avais jamais vu dans cet état. La violence, j'ai l'habitude, mais cette fois ça dépassait ce que j'ai connu toute mon enfance. Enfin, ce n'est pas grave. Je suis là maintenant, et toi aussi tu es là. Et rien ne sera plus jamais comme avant.

Elle approcha son visage du mien. Et immédiatement je m'écartai.

- Eh bien quoi, s'étonna-t-elle, il y a un problème ?

- Non, aucun problème, répondis-je. Je ne vais pas t'embrasser ici, c'est tout.

- Ah oui, pourquoi ?

- Nous sommes au lycée. Ça ne se fait pas.

- C'est toi qui me parle de ce qui se fait ou pas. Ce qui ne se fait pas c'est ce que tu avais l'habitude de me faire.

- Je n'en ai pas parlé à Helen et aux autres.

- Je croyais que tu n'avais pas honte.

- Je n'ai pas honte ! Laisse-moi juste un peu de temps. Le temps de leur faire digérer cette idée, le temps de digérer tout ça moi-même.

- Je vois. Prends ton temps, alors.

Helen arriva à ce moment. Elle me dévisagea et écarta Elloa du passage.

- Pourquoi tu parles à cette minable ? me demanda-t-elle.

- Je ne lui parle pas, répondis-je sèchement.

- Alors pourquoi tu lui souris comme une débile ? Frappe, tu le fais si bien !

Je regardai Helen, je regardai Elloa. Helen, Elloa. Helen. Elloa... J'avais le choix. Je pouvais dire à Helen que je la haïssais, que je haïssais ses manières et ses pensées. Je pouvais clamer ce que je ressentais envers Elloa. Je pouvais tout envoyer balader, laisser tomber les habituels imbéciles avec qui j'avais l'habitude de rester. Je pouvais aimer librement quelqu'un qui le méritait. Je pouvais me faire insulter et agresser pour ces sentiments. Oui, si je disais cela, Helen et les autres me verraient comme une nouvelle proie. Or je savais quelles immondices ils pourraient me faire, et je savais que je ne pourrais pas tenir face à cela. Même tout l'amour du monde ne pourrait pas me faire tenir. Je ne pouvais pas dire à qui que ce soit que j'aimais une fille, encore moins s'il s'agissait d'Elloa. Mais pourtant c'était le cas. J'avais le choix.

Je regardai à nouveau Helen, puis Elloa. Je m'avançais vers elle. Elle souriait, elle savait ce que j'avais sur le cœur. Et je fis ce qu'on me demandait ; je frappai. Elloa s'écroula au sol. Pas qu'au sol d'ailleurs. Je pouvais lire dans son regard un profond désespoir. Je tournais les talons sans plus attendre, l'air impassible et me jurai de ne plus jamais la regarder amoureusement.

Les jours et les semaines qui suivirent ressemblèrent au passé. Elloa subissait encore notre violence et ma froideur. Une chose seulement avait changé. Elle ne bronchait plus, elle se laissait faire. Ça me faisait terriblement mal de la voir ainsi, mais je me persuadais toujours du contraire. Cogner, abattre. Je ne souhaitais penser à rien d'autre. De jour en jour elle s'affaiblissait et ma bande et moi-même pouvions être fiers de notre travail. Elle n'était plus qu'une ombre. Elle avait perdu l'étincelle de ses yeux, l'éclat de ses cheveux. Elle avait perdu ses rares sourires et jusqu'à son cœur je pense. Je continuais à feindre de ne rien voir, alors que j'entendais – bien qu'elle refusait de parler à qui que ce soit – ses supplications. Elle voulait que je renonce, que je change mon choix, que j'arrête d'être lâche. Elle savait ce que je ressentais. Je commençais à prendre conscience qu'elle ne faisait rien pour s'en tirer car elle m'aimait et qu'elle n'avait personne d'autre à qui se raccrocher. Elle se laissait abattre dans l'espoir que je la sauve. C'était ma faute si ma monstrueuse bande arrivait à ses fins.

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