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Le dix décembre, le jour où tout bascula. Ce matin là, j'étais résolue à agir. Je voulais sauver Elloa, mais n'avais pas plus de courage qu'auparavant. J'avais imaginé quelque chose de très simple. Il fallait que je lui trouve une explication, quelque chose qui l'inciterait à se défendre, à arrêter d'espérer. J'allai donc la voir, au lycée, sans que mes prétendus amis ne se rendent compte de rien. En me voyant venir seule, elle parut soulagée, ses yeux recommencèrent à briller. Avant que je ne dise quoi que ce soit, elle s'avança vers moi et lança :

- Ne t'inquiète pas, j'attends. Mais si tu prends trop de temps je vais finir par devenir infirme.

- Pourquoi tu ne te défends pas, Elloa ?

- Je suis censée te faire du mal ? Je n'ai aucune envie de lever le poing sur toi. Tu peux me frapper, je prends l'habitude tu sais. Je finis par voir ça comme des caresses quelque peu douloureuses.

- Tu es stupide !

- Je t'aime. Peut-être que c'est stupide. Probablement. Mais je sais que tu m'aimes également, même si tu n'as absolument pas le cran de l'assumer. Alors je me contente d'attendre. Je te laisse du temps, comme tu me l'as demandé.

- Arrête d'attendre, Elloa. Ça ne changera pas. Ce temps-ci ne sera jamais révolu. Ne te fais plus d'illusions et sauve ta peau. Je ne sais pas ce qui m'a pris l'autre soir, je n'étais pas très bien. Je ne t'aime pas. Je ne t'aime pas et ne t'aimerai jamais. Alors oublie tout ce qui a pu se passer entre nous.

Immédiatement, je tournai les talons et pris mon air résigné, insensible. Je la voyais fondre en larmes derrière moi, même en lui tournant le dos. J'avais menti, mais c'était pour l'aider.Durant les heures qui suivirent, je me sentis vraiment mal. Ce mensonge me pesait. J'essayai de penser à une autre alternative. J'eus une idée plutôt bonne. J'allais changer de lycée, l'année suivante. J'allais me faire de réels amis. J'aillais pouvoir voir Elloa tranquillement en dehors de mes cours. Je chercherai un nouvel établissement au plus vite pour pouvoir enfin vivre selon mes sentiments. J'inventerais une excuse quelconque pour justifier ce souhait à mes parents. Il fallait que j'aille parler de mon idée à Elloa, que je lui dise que je lui avais menti. La cloche sonna alors et je me précipitai en dehors de la classe. Tant pis pour le cours suivant, je ne pouvais plus attendre. Je cherchai Elloa partout, mais ne la trouvai nulle part. Ne sachant plus où tenter de la croiser, j'allai voir dans les cabinets de toilettes. Aucun n'était verrouillé, il n'y avait personne. J'allais repartir lorsque je remarquai la dernière porte, juste entrouverte. Le carrelage en dessous semblait sali, rougeâtre. Je supposais simplement qu'il s'agissait d'un accident féminin. J'avais souvent eu le tour sur le sol des toilettes. Je m'avançai tout de même vers la porte et l'ouvris.

Durant quelques secondes, j'arrêtai de respirer. C'était comme si mon cœur avait cessé de battre. Ce n'était pas un accident. Ce n'étaient pas de vulgaires pertes mensuelles qui dégueulassaient le sol. C'était un poignet entaillé qui versait le sang, les veines grandes ouvertes. Le cadavre gisait à terre, livide, la peau encore plus pâle qu'à l'habitude. Ses vêtements étaient couverts de sang, il en sortait même de sa bouche. Je ne supportai pas ce spectacle. Je hurlai ; plusieurs fois même. Des surveillants, des professeurs, des femmes d'entretien arrivèrent. Tous se stoppèrent net en me découvrant, agenouillée au-dessus du corps inerte d'Elloa Parker. Et je me jetai sur le cadavre en pleurant toutes les larmes de mon corps. Je savais que c'était ma faute, rien que ma faute. Mon égoïsme, ma lâcheté, mes mensonges avaient tué Elloa. J'étais un monstre ; et la seule personne que je haïssais à cet instant c'était moi-même.

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