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J'ouvre les yeux avec difficulté, je vois très mal les choses, j'ai mal à la tête. Il y a beaucoup de bruit autour de moi. J'entrevois, mes paupières mi-closes, un homme vêtu de bleu en train de me crier dessus. Mais je n'arrive pas à entendre ce qu'il me dit. J'essaye de traduire en paroles les mouvements de ses lèvres, mais j'ai vraiment très mal au crâne. Il semble répéter une phrase, elle devient de plus en plus distincte. Il crie :

- On ne dort pas dans les fontaines !

Je vois plein de gens qui s'approchent. Ils sont bizarres, mais je ne saurais dire pourquoi. Ils me regardent tous. Je ne comprends pas ce qui se passe. L'homme en bleu demande :

- Quelqu'un connaît cette jeune fille ?

Personne ne répond. Il se penche vers moi et me demande :

- Ça va petite ? Tu parles anglais ?

- Oui, je réponds d'une voix faible.

- Comment tu t'appelles ?

- Nicole. Oh, par pitié, ramenez-moi en Amérique.

- Comment ?

- Je ne veux pas épouser Lord MacPhail, je ne veux pas revoir ma mère non plus. Où est Jacqueline ? C'est elle qui m'a dit de faire ça.

- Dormir dans une fontaine ?

- Non, non, c'est la fontaine magique. Je lui ai dit mon vœu et je me suis noyée.

- Tu es sûre que tu te sens bien ?

- Oui, je veux juste rentrer à la maison.

- Qui sont tes parents ?

- Mon père est mort, ma mère... Je la hais ! Je ne veux pas la revoir ! Je veux voir... je veux voir Fido ! Oui, c'est cela, emmenez-moi à la maison chercher Fido.

- Qui est-ce ? C'est ton chien ?

- Non, mon domestique. C'est un esclave noir.

- Il n'y a plus d'esclave depuis longtemps, tu sais.

- Oh si, il y en a plein; mon père les aurait tous rachetés s'il avait pu, j'en suis sûre, mais ma mère avait trop peur d'eux.

- Je vois, je vois.

Il se retourne vers la foule de gens qui se dresse autour de nous et s'amplifie de minute en minute. Mais ils sont tout de même bizarres ces gens.

- Quelqu'un connaît-il cette jeune fille ?

- Oui, moi, dit une voix.

Je ne reconnais pas cette voix. Qui est-ce ? Une jeune fille s'avance vers l'homme en bleu. Elle lui dit :

- C'est ma sœur, monsieur l'agent.

- Que lui arrive-t-il ?

- Rien, elle est folle.

- Pourquoi dort-elle dans cette fontaine ?

- Elle a fugué, elle est folle je vous dis. Aller, viens petite sœur !

La fille me tend le bras. Je ne sais pas si je dois lui faire confiance. Je lui demande :

- Vous allez me ramener en Amérique ?

- Oui, oui. Allez, viens !

Je n'ai plus le courage de réfléchir, je lui tends mon bras et elle me tire vers elle pour me relever. Elle passe son bras autour de ma taille pour m'éviter de tomber et m'emmène un peu plus loin. Je ne regarde pas où je vais, j'ai tellement de mal à garder les yeux ouverts. Enfin je commence à voir le visage de l'inconnue. Elle paraît grande et mince, elle a le teint rosé, de grands yeux bleus, des cheveux bruns et un petit air malicieux. Ne sachant plus bien ce qui se passe, je lui demande :

- Vous êtes ma sœur ?

- Tu ne te rappelles pas ?

- Non.

- C'est parce que je ne le suis pas !

- Quel est cet endroit où les gens ne sont pas ce qu'ils disent être ?

- Mais qui êtes-vous alors ?

- Tu vouvoies souvent les gens ?

- Ça paraît plus poli.

- Oh je t'en prie, nous ne sommes plus au dix-huitième siècle !

- En Angleterre vous tutoyez peut-être n'importe qui, en Amérique je ne le faisais pas.

- Mais nous sommes en Amérique.

- Quoi ?

Je regarde autour de moi, je n'avais pas encore fait attention au décor qui m'entourait depuis mon réveil. Le sol n'est plus le même, il est couvert d'une substance dure et grise, d'étranges appareils circulent un peu partout, d'immenses tours rectangulaires semblent sortir de terre, tout autour. Il semble qu'aucun endroit ne soit épargné. C'est horrible ! Quel est donc ce monde ? Ce n'est pas l'Amérique; ce n'est pas l'Amérique où j'ai vécu.

- Que sont ces choses ?

- Lesquelles ?

- Tout ! Tout ça, qu'est-ce que c'est ?

- Une ville.

- Cette chose au sol ?

- Du goudron.

- Et ça, ces tours...

- Des buildings.

- À quoi servent-ils ?

- Des gens habitent dedans.

- Là-dedans ?

- Oui. Tu n'as jamais vu de building ?

- Non. Et ces appareils... ou ces animaux je ne sais pas. Qu'est-ce ?

- Attends, tu me parle des voitures ?

- C'est comme ça que ça s'appelle, alors.

- Tu ne sais pas ce qu'est une voiture ? Tu te moques de moi !

- Non, à quoi cela sert-il ? Chez moi une voiture, c'est avec un cheval, un cocher.

- Moi j'appelle ça la préhistoire ! On se déplace dans ces engins, ça va bien plus vite qu'un cheval avec un cocher, crois-moi.

- Vous êtes sûre que nous sommes en Amérique ?

- Tutoies-moi s'il te plait, j'ai l'impression de parler à une grande dame.

- Excusez... Excuse-moi.

- Nous sommes en Amérique oui. D'où viens-tu ?

- De New York.

- Il doit y avoir un endroit à New York que je ne connais pas pour qu'il soit comme tu le décris.

- Tout New York est comme je le décris.

- Nous sommes à New York.

- C'est impossible ! Vous... Tu mens !

- Non, je ne mens pas. Par contre je pense que tu es tombée sur la tête.

- Non, je me suis noyée dans la fontaine magique !

- Explique-moi comment tu es arrivée ici.

- Je devais épouser Lord MacPhail, mais je ne le voulais pas. Ma tante m'a emmenée en Angleterre pour que je le rencontre, nous avons fait des semaines de bateau pour y arriver.

- Pourquoi n'avez-vous pas pris l'avion ?

- L'avion ?

- Tu sais, une chose qui vole.

- Les humains ne volent pas !

Pourquoi me parle-t-telle d'humains volants ? Je dois rêver, c'est un monde de fous ! Ces gens veulent habiter dans des tours plutôt que d'avoir de belles maisons ou de beaux châteaux, ils voyagent dans les animaux de ferraille, ils transforment les champs en matière grise et dure, et maintenant voilà qu'ils veulent voler ! Vivement que je retourne en Amérique !

Je poursuis mon récit :

- Mais Jacqueline, la sœur de mon... de Lord MacPhail, m'a montré la fontaine magique et m'a dit de faire un vœux. La nuit tombée, j'y suis retournée, j'ai souhaité rentrer à New York. Et puis je suis tombée dans l'eau et je me suis moyée. Je me suis réveillée dans cette étrange ville, où les gens veulent voler.

- Tu n'es pas normale. Et ta robe ! Tu sembles arriver tout droit du dix-neuvième siècle !

- Nous sommes au dix-neuvième siècle.

Elle me regarde comme si je venais de lui annoncer que j'arrivais d'une autre planète. Une horrible pensée me vient à l'esprit. Je lui demande timidement :

- En quelle année sommes-nous ?

- En deux mille dix.

J'écarquille les yeux. C'est horrible ! Non, je n'ai pas pu faire un bond dans le temps ! Je parviens à articuler :

- Je suis née en mille huit cent seize.

- Tu te moques de moi ?

- Non, j'ai seize ans... enfin, en mille huit cent trente-deux.

- Elle ne semble pas me croire. Elle réfléchit longuement puis déclare :

- Très bien, si ce que tu dis est vrai, tu ne peux pas rester seule dans New York, tu serais perdue.

- Où dois-je aller ?

- Tu vas venir chez moi, avec moi. Je dirai à mes parents que tu es ma correspondante.

- Ta quoi ?

- Une personne qui vient chez moi pour une semaine, on en a parfois au lycée.

- Lycée ?

- Tu n'allais pas à l'école ?

- Non, ma mère ne voulais pas que je sois trop intelligente, je ne suis qu'une fille.

- Je vois. Prends les choses du bon côté, ton Lord Machin-Chose ne te trouvera jamais ici !

Elle a raison. C'est génial en fait ce qui m'arrive. Ma mère et Lord MacPhail sont loin dans le passé, si je ne rentre pas je ne les reverrai jamais. Mais Fido, et ma maison, je ne les reverrai jamais non plus ? Je sens mon cœur frapper dans ma poitrine, ces pensées me font mal.

La fille me demande :

- Comment tu t'appelles ?

- Nicole. Et v... toi ?

- Je suis Penny. Viens, je crois qu'il va falloir que je te montre beaucoup de choses avant demain.

- Que se passera-t-il demain ?

- Je serais obligée de t'emmener au lycée avec moi.

- Et après ? Que ferai-je dans ce monde ?

- Je ne sais pas, je vais essayer de t'aider mais je ne sais pas ce que tu veux faire.

- Je veux trouver ma maison.

- Nous la chercherons dès que possible.

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