Sleeping Next to You (2010)

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I

Une larme roula sur ma joue. Puis une autre. Et mon visage ressembla bientôt à une digue que les vagues du désespoir auraient engloutie lors d'une tempête. Je venais de recevoir un e-mail de Belle. Comment était-ce possible ? Belle avait toujours été la personne qui comptait le plus à mes yeux, la sœur que je n'avais jamais eue, l'ensemble de mes amis, mon unique raison de vivre, celle pour qui j'aurais pu tout faire. Elle était mes joies, mes douleurs, mon soleil et ma lune, mes désirs et mes limites, mon bonheur, mon souffle, elle était la moindre partie de moi, mes peurs, mes audaces, mon honnêteté et mes mensonges, ce que j'étais et ce que je ne serais jamais. Sans Belle, je n'étais rien. Et pourtant... Non, ça ne pouvait être la réalité. C'était un rêve abominable, ce n'était qu'un effroyable cauchemar. J'allais me réveiller, très prochainement, sans jamais avoir reçu ce message. Je me concentrai du plus profond de moi-même pour m'éveiller, tenter de revenir à la réalité. Mais rien n'y faisait. La triste réalité était bien sous mes yeux et je ne pouvais contenir mes sanglots en relisant cette phrase « Je suis désolée Suzanne, mais même en luttant de toutes mes forces je ne pourrai empêcher la maladie de m'emporter dans des délais très brefs. »



II

Aucun traitement; c'était bien ce que venait de me dire Belle. Je répétai lentement ces mots, laissant les larmes me venir aux yeux.

- Oui, dit-elle depuis son lit d'hôpital.

Je me trouvais devant elle, dans cette chambre blanche, probablement la dernière chose que mon amie verrait de ce monde. Elle était encombrée de perfusions, on aurait dit qu'aucune de ses veines n'était épargnée. Belle était pâle et fatiguée. Elle n'avait jamais était belle, mais tout simplement sublime. Ses cheveux en bataille s'écrasaient contre l'oreiller mais son visage restait un enchantement et l'éclat de ses yeux semblait ne jamais pouvoir s'éteindre.

-C'est un cancer, reprit-elle, et les médecins n'ont pas pu me cacher la vérité malgré tous leurs efforts.

- C'est injuste ! déclarai-je. Tu mérites de vivre et j'ai besoin de toi. Quel besoin a le destin de s'interposer là où l'on a nul besoin de lui ?

- Le destin est triste, tu sais. Je ne me fais pas trop de soucis. L'idée d'un voyage sans retour dans l'au-delà ne m'est pas si désagréable dans le fond. L'unique chose que je regretterai de ce monde, et que je regretterai du plus profond de mon cœur, ce sera ma Suzanne adorée.

J'esquissai la brève illusion d'un sourire gêné, car il m'aurait été impossible de sourire réellement. Belle tendit ses doigts faibles vers moi et je posai délicatement ma main sur la sienne, en prenant garde à ne pas détacher l'une de ses nombreuses perfusions. Elle sourit et me dit :

- Mais un jour tu viendras toi aussi dans cet autre monde et nous nous retrouverons comme si rien ne nous avait jamais séparées.

- Il me sera impossible de rester longtemps sur cette terre sans toi, Belle.

- Ne dis pas cela. Tu as toute la vie devant toi. Je t'attendrai, je serai patiente.

- Moi pas. Je mourrai avec toi, je dormirai près de toi durant l'éternité.

- Je te l'interdis. J'aurais besoin de ta présence lorsque je partirai...

- Dans ce cas je te rejoindrai plus tard, quelques jours plus tard.

-Rien ne te tire hors de ce monde, Suzanne. Moi je n'ai pas le choix. Mais toi tu dois vivre jusqu'à ce que le destin décide seul qu'il est temps pour toi de partir.

- Je n'aime pas le destin. S'il t'emporte c'est qu'il est odieux et s'il est odieux je refuse de lui obéir. Je partirais seule, avant que le destin n'ait le plaisir de se charger de ma mort.
- Suzanne, soupira Belle.

- Tu te rappelles, lorsque nous étions plus petites, nous nous sommes juré de ne jamais nous séparer. Même la mort ne nous séparera pas.

- Bien sûr que si. Personne n'acceptera de t'enterrer avec moi. Ce serait stupide d'ailleurs.

- Eh bien je m'enterrai toute seule.

- Que tu es drôle Suzanne. Ta naïveté est l'une des choses les plus mignonnes que j'ai pu rencontrer dans ma courte vie.

- La vie nous sera courte, mais notre amitié sera éternelle.

Il me fallut quitter la chambre sur la demande d'une infirmière qui affirmait que Belle avait besoin de se reposer un peu. Je rejoignis mes parents dans le hall de l'hôpital et on rentra à la maison.



III

Quelques jours étaient passés. Après avoir supplié mes parents de me laisser prendre seule le train jusqu'à l'hôpital, je retournai voir Belle. Quinze ans, c'était tout de même tôt pour mourir. Moi qui avais toujours pensé mener une si longue vie, en compagnie de ma très chère Belle. Ce serait une longue mort, en compagnie de cette même personne. Je descendis à la gare, juste devant les grands bâtiments. Je n'aurais pas aimé finir ma vie dans cet endroit, c'était si peu chaleureux. Je montais l'un de ces horribles escaliers glacials jusqu'à la chambre de mon amie. Belle sourit en me voyant entrer. Elle ne portait plus ces horribles perfusions. Elle m'expliqua :

- J'ai demandé aux médecins de me les ôter. Je ne vivrai plus longtemps de toute manière. Avant de finir brutalement ma courte vie, qu'ai-je de mieux à faire, laisser la maladie me ronger comme elle le fera dans tous les cas et profiter de mes derniers jours autant que je le pourrai, ou bien rester cloitrée dans une chambre sordide avec des fils de tous côtés pour espérer gagner un jour ou deux ?

- Ce n'est pas une question de jours Belle,...

- Détrompe-toi. Je savais que tu allais venir cet après-midi. J'ai demandé à mes parents de me débarrasser de toutes mes affaires. Il n'y a plus rien à moi dans cette chambre. J'ai mon droit de sortie. Allons en ville, tu me ramèneras chez moi en train, j'ai suffisamment d'argent pour acheter deux billets.

Belle ne me laissa pas le choix. Je n'aurais pas pu lui refuser de toute manière. Je savais qu'elle allait mourir, que j'allais mourir donc. Elle avait raison, il fallait profiter des derniers moments de vie que nous pourrions passer ensemble.

Nous sortîmes donc. Sorties de cet hôpital, nous partîmes dans la ville, au hasard. Nous marchions, nous riions, nous chantions même parfois, comme si rien n'avait changé. On entra dans une pâtisserie acheter du brownie et on partit le manger dans un jardin publique. C'était le mois de mai, le ciel était bleu, les oiseaux chantaient. L'herbe était verte et des fleurs poussaient un peu partout. Un doux vent chaud agitait les feuilles des arbres ainsi que nos cheveux. On s'allongea dans l'herbe, en sens contraire, tête contre tête, comme nous le faisions depuis déjà fort longtemps. Je n'avais jamais eu à me demander quels sentiments j'éprouvais pour Belle, mais j'étais certaine d'une chose: ces sentiments étaient profonds et intenses, rien n'auraient pu les atténuer. Quand nous étions ainsi, l'une près de l'autre, je voulais que le monde s'arrête, que la vie s'arrête de même que la mort et que nous restions éternellement ensemble, avec pour seul besoin vital de se voir, de se sentir et de se parler. Je pense que j'aurais pu me passer de boire, de manger ou de dormir, que la seule chose qui me tint en vie fut Belle. Je savais que Belle pensait exactement les mêmes choses que moi, mais nous ne pouvions en parler pour une raison que nous ignorions. Peut-être n'y avait-il pas de raison en fait. Je demandai:

- Tu penses que nous pourrons nous parler quand nous serons mortes ?

- Probablement pas. Mais ai-je réellement besoin de te dire les choses pour que tu les comprennes ?

- Et si nous nous refusions toutes deux à les comprendre ?

- Dans ce cas il n'y aurait rien qui changerait.

- Nous pourrions mourir tout de suite, ensemble.

- Et comment ?

- Retiens ta respiration et je fais de même.

- Suzanne, je penses que tu seras toujours ainsi. A t'entendre, tout est si simple. Ta naïveté...

- Doit être quelque chose que tu aimes beaucoup pour m'en parler si souvent !

- J'avoue aimer énormément ta naïveté, comme chacune des autres choses qui font que tu es Suzanne.

- Comme tu me décris, on dirait que je suis parfaite.

- Tu l'es dans mon cœur.

On tourna la tête au même moment, nos visages se frôlèrent. Le ciel prenait des tons orangers et on comprit au même instant que l'heure était venue de rentrer. On monta dans le train et on marcha jusqu'à la maison de Belle. Je voyais qu'elle se fatiguait mais faisait tous les efforts que l'on puisse faire pour le dissimuler. Et pourtant elle savait que rien de ce qu'elle ressentait ne pouvait me rester longtemps inconnu.

Les parents de Belle insistèrent pour que je reste coucher. Je téléphonai chez moi pour en demander l'accord et on n'osa pas me le refuser.

Cette nuit là, dormant à côté du petit corps d'ange cancéreux de Belle, je pensai que je pourrais rester dans cette position indéfiniment.

Le lendemain matin, alors que nous nous levions, Belle poussa un gémissement étouffé, que je pus à peine entendre et n'aurais pas entendu si je ne l'avais pas si bien connue. Elle ne parvint pas à sortir du lit, ses yeux restèrent exorbités, ses membres immobiles, le sang figé dans leurs veines et pourtant si sublime. Cette vision me donna des vertiges puis, m'appuyant contre le mur, j'éclatai en sanglot en criant de venir. Je n'avais plus toute conscience, j'avais perdu tout repère par rapport au cadre spatiotemporel. J'appelais bien évidement les parents de mon amie mais je l'ignorais. Ils vinrent assez vite et eurent une réaction semblable à la mienne, quoique, plus mûres, ils parvinrent à ne pas sombrer dans une semi-folie.

Une partie de moi connaissait la réalité et se mourait chaque seconde et une autre cependant voyait la mort de Belle comme l'un des jeux que nous avions pu avoir dans notre enfance où l'une de nous mourait et se relevait quelques minutes plus tard lorsque le jeu prenait fin ou réanimée par le baiser d'un prince charmant imaginaire.

A cet instant précis, j'aurais presque cru voir ce prince sur son cheval blanc venir devant Belle, mais jamais il n'arriva la sortir de son sommeil.



IV

Je passai ma robe noir sur mon dos, je laçai mes bottes noires, j'attachai mes cheveux avec le ruban noir, je mis un bracelet noir, broyant du noir dans les profondeurs de mon petit cerveau et sanglotant à chacune de mes inspirations. J'aurais aimé que Belle me prit dans ses bras afin de me réconforter, mais elle était déjà bien loin. Peut-être qu'un éventuel fantôme veillait-il déjà sur moi depuis les cieux. Le ciel était un peu plus sombre ce jour-là, mais les oiseaux ne voulaient pas cesser de chanter et leurs cris montaient en moi, oppressant, écrasant quelques uns de mes sentiments contre les parois de mon cœur qui se noyait dans son chagrin.

Environ une heure plus tard, je me trouvais au milieu du cimetière, avec quelques autres personnes auxquelles je ne prêtai aucune attention. Être éloignée de Belle durant quelques jours était une chose horrible. Je brûlais d'impatience de monter la rejoindre, et de rester éternellement à dormir à ses côtés.

La tombe avait pour couvercle une lourde dalle de pierre que deux hommes durent prendre ensemble pour pouvoir la soulever. Le cercueil de Belle disparut en-dessous. Je versais encore quelques larmes, j'ignorais pour quelle raison exacte.



V

Rentrée chez moi, je cherchais toute la journée la manière la plus efficace pour mettre fin à mes jours. Mais je ne trouvai pas totale satisfaction. Et quand je serais morte, comment serais-je parvenue jusqu'à la tombe de Belle pour m'y enterrer ? Je ne pouvais m'enterrer seule en étant morte. Je me rendis bien vite compte que ma mort ne pourrait se faire aussi facilement qu'il m'avait semblait.

Il y avait un garçon dans ma rue, qui était un peu fou, peut-être même totalement. Il me disait souvent bonjour lorsque je le croisais mais il m'avait toujours fait un peu peur. Aujourd'hui, je n'avais plus rien à perdre. Je sortis de chez moi et remontais le trottoir jusque chez lui. Il devait avoir un ou deux ans de plus que moi, il n'était pas à mon lycée. Il sourit en m'ouvrant la porte et me laissa entrer. Je lui expliquai mon plan, lui demandai son aide et le priai de ne jamais en parler à quiconque. Il accepta et me garantit sa discrétion. Je lui léguai toutes mes économies; je n'en aurais plus jamais l'utilité.

Le soir venu, nous nous retrouvâmes comme convenu à la grille du cimetière. Nous nous saluâmes avant d'y entrer et de nous diriger vers la tombe de Belle. J'aidai le garçon à déplacer le lourd couvercle de pierre jusqu'à ce que l'ouverture me paraisse assez large. Le remerciant, je m'engouffrai dans la tombe et ouvris le cercueil. Le couvercle se referma lentement au-dessus. Je restais seule dans le noir avec le cadavre de ma précieuse Belle. Nous étions ensemble à présent. Personne ne devinerait jamais où je me trouvais, personne ne pourrait jamais soulever la lourde dalle de pierre et même si quelqu'un en était capable jamais personne n'y penserait. Je cherchais de la main le visage de Belle. Je m'apaisai en sentant ses doux traits sous le bout de mes doigts.

Je fermai les yeux... « Je vais dormir près de toi. »... pour toujours.

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