Les loups (2010)

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Jared ferma la porte à clé. Wolfy, le chien de sa voisine, un animal au poil brun probablement croisé avec un loup, aboya. Jared lui caressa la tête et sortit de l'immeuble. Bientôt il montait en voiture et démarrait en direction de la forêt de Graston, également appelée le Domaine des Loups. Cette forêt sombre et humide était connue pour le soi-disant maléfice dont elle était victime. Des colons venus d'Angleterre se seraient un jour perdus dans l'obscurité d'une nuit de novembre dans les sombres sous-bois et se seraient fait dévorés par un loup de la taille d'un cheval qui hantait les lieux. Ces colons seraient réapparus sous la forme de loups, dévorant éternellement des mortels qui se joindraient par la suite à leur meute.

Si, malgré les mises en gardes de ses proches, Jared ce rendait dans cet endroit maudit qu'était le Domaine des Loups, c'était pour photographier ces animaux comme le lui avait demandé un journal. Si je jeune homme se montrait assez doué et courageux, peut-être serait-il fortement augmenté et peut-être les journaux feraient de plus en plus appel à ses services.

C'est en soif de réussite et de gloire que Jared partit planter sa tente dans la forêt. Il se passa deux jours où il resta seul à son campement, espérant voir une bête passer derrière un arbre, en vain.

Une nuit, Jared entendit un hurlement envahir la forêt de sa puissance. Nul doute qu'il s'agissait d'un loup. Entendant le cri de l'animal, Jared se leva et sortit de sa tente, appareil photographique au cou. La nuit était douce et la pleine lune submergeait le ciel noir de son éclat. Jared marcha dans la forêt des heures durant. Enfin, épuisé par la route, il atteignit l'énorme rocher noir dans lequel se reflétaient les formes et les ombres, comme s'il avait s'agit d'un gigantesque miroir de roc. Soudain, dans ce miroir de la nature, Jared aperçut un loup. Il se retourna d'un geste vif et se trouva nez à nez avec l'animal. De sa gueule, pendaient des filets de bave comme aucun animal sur terre n'aurait pu en produire et ses crocs couleur nacre étaient plus tranchants que les épées les mieux aiguisées. Le loup poussa à nouveau son terrible hurlement et plongea ses yeux cruels dans ceux du jeune homme. Alors que la bête assoiffée de sang s'apprêtait à achever sa proie, le chant le plus mélodieux que l'on eut jamais entendu retentit de tous côtés, comme porté par le vent à travers les arbres et les buissons, dans tous les sous-bois et la canopée. Percevant ce son, le loup dressa ses oreilles et fit volte face. Jared, libéré du prédateur, tomba à terre alors que l'animal disparaissait dans la nuit.

Au levé du soleil, Jared ouvrit péniblement ses paupières. Il s'était endormi devant le miroir de roc, après le départ du loup, et un chant merveilleux et ensorcelant avait hanté ses rêves. Ne sachant pas où il était, Jared marcha au hasard parmi les arbres feuillus aux troncs sombres et les buissons épineux. Avançant dans l'herbe humide d'un sous-bois, il entendit ce chant envoutant qui occupait ses pensées depuis la veille. Il pressa le pas, traversant ronces et orties qui lui brûlaient et lui arrachaient la peau. Le chant fut soudain tout proche. Jared écarta quelques branches et pénétra dans une clairière, au pied d'une falaise rocheuse. De cette falaise, coulait de l'eau qui venait se déverser dans une source claire et pure. Des plantes jaillissaient de partout entre les rochers et ce paysage quasi-féerique envoûta celui qui l'observait. Sur les rochers humides qui bordaient la source, était assise une jeune femme. Elle avait de grands yeux bleus azur, de longs cheveux bruns miroitant les reflets du soleil et des lèvres roses et fines. Ses traits étaient délicats, sa peau telle de la porcelaine et sa taille si bien dessinée qu'on eut cru voir un ange descendu du ciel.

Jared la contemplait tandis qu'elle émettait le son prodigieux de son chant. Brusquement, elle se tut. Elle passa sa main dans ses cheveux et se tourna vers le jeune homme qui l'écoutait depuis les buissons. Fixant Jared de ses yeux splendides, elle esquissa un sourire et détourna la tête avec dédain. Le jeune homme sortit de dessous le bois et la rejoignit au bord de l'eau. Elle ne lui prêta aucune attention, restant assise sans bouger, telle une statue de marbre. Seuls bougeaient des mèches de ses cheveux et la toile blanche qui l'habillait.

Assis aux côtés de la jeune fille immobile, Jared ne savait où poser son regard. Dos à lui, la charmante créature demanda :

- Ton nom, c'est quoi ?

- Jared.

- Je m'appelle Sarah. Tu fais quoi ici ?

- Je suis venu photographier... des loups.

- Pourquoi ?

- Un journal.

- Vraiment ?

- Oui.

- Tu es photographe ?

- Oui.

- OK.

- Et toi ?

- Quoi, moi ?

- Tu fais quoi ici ?

- Je vis ; je vis avec les loups.

- Les loups ?!

- Oui, ils m'obéissent. Tu as manqué de te faire dévorer cette nuit !

- Oui, merci de m'avoir sauvé.

- Tu n'as pas peur ?

- De quoi devrais-je a voir peur ?

- Des loups, de la malédiction.

- Non, je ne crois pas à tout ça. Toi non plus apparemment.

Sarah sourit, amusée, puis, se levant, elle tendit la main à Jared :

- Suis-moi.

Jared se leva à son tour et se laissa entraîner par la jeune fille. Elle était d'une beauté divine, sa voix si envoûtante Lui était d'une ignorance quelque peu touchante. Les deux jeunes gens se plaisaient mutuellement.

Sarah guida Jared jusqu'à une tanière. Des loups survinrent de tous côtés et les encerclèrent.

- Non ! leur dit fermement Sarah.

Alors les bêtes se dispersèrent. Certaines s'allongèrent à terre, d'autres se léchèrent ou encore partirent chasser. Jared resta à les photographier, et photographia également cette certaine Sarah dont il s'était si soudainement épris.

Son travail terminé, Jared resta encore quelques jour à son campement, près de celle qu'il aimait et qui l'y avait rejoint. Mais le jour du départ arriva trop vite. Jared rangea sa tente et tout son matériel. Il prit les mains de Sarah dans les siennes :

- Viens avec moi.

- Non.

- Pourquoi ?

- Je ne peux pas.

- Tu ne veux pas ?

- Si, mais ma place est ici.

- Mais enfin Sarah, je ...

- Moi aussi je t'aime.

Sans donner le temps à Jared de terminer sa phrase, elle posa ses lèvres sur celles du jeune homme et l'embrassa. Puis, elle lui dit :

- On se reverra, bien plus tôt que tu ne le crois.

C'est sur cette phrase et le certain mystère qui s'y joignait que les deux jeunes gens se quittèrent. Jared rentra en ville avec son reportage photographique. Celui-ci eut un grand succès et son jeune auteur reçut une augmentation importante ainsi que les propositions de contrats de nombreux journaux. Mais s'il les accepta, se fut sans entrain ni sourire. Les jours et les semaines passaient et Jared ne pensait plus à rien d'autre qu'à la jolie Sarah qui était restée parmi les loups.

La nuit était plus noire que jamais, les hauts troncs d'arbres aux branches dénudées de feuilles semblaient monter indéfiniment, si bien que l'on n'en voyait pas le sommet. Le hurlement du loup raisonnait de tous côtés. En cette nuit sans lune, une lumière venue de partout et nulle part à la fois éclairait cette jeune femme plus belle que le jour : Sarah. Progressivement, la lumière s'affaiblit et, sorti de la pénombre, le loup plus grand qu'un cheval bondit. La belle Sarah ne bougea pas. Un des plus beaux spectacles que Nature ait jamais dévoilé est que de voir la jeune fille se laisser dévorer sans broncher par l'un de ceux qui vivait avec elle.

Saisit de panique, Jared se réveilla en sursaut. Sortant de son cauchemar, il vit d'abord ce loup gigantesque au-dessus de lui. Puis il réalisa que ce n'était qu'une vision et qu'il était bien seul dans sa chambre. Après ce rêve horrible, Jared n'était pas parvenu à se rendormir. Au matin, c'est terrassé par la fatigue qu'il partit travailler. Ses pas étaient lourds et ses yeux ornés de cernes. Jared était assis à son bureau, sélectionnant les plus belles photographies d'une série quand on frappa à la porte. Le photographe vit alors pénétrer dans la pièce un loup portant des lunettes qui lui adressait un grand sourire, debout sur ses pattes arrières. Jared poussa un cri de terreur et le directeur du journal qui venait d'entrer dans son bureau le dévisagea. Réalisant qu'il venait encore d'avoir une vision, Jared se sentit complètement désemparé. Le directeur du journal sortit du bureau, déclarant qu'il repasserait plus tard.

Encore des jours et des semaines passèrent. La folie avait vraisemblablement saisit Jared. Ses visions le prenait sans arrêt. Qu'il soit devant la télévision, chez lui, dehors dans la rue, dans le métro ou encore au travail, qu'il ait en face de lui un rédacteur du journal, des passants ou les secrétaires des bureaux, il ne cessait de voir des loups.

Un soir, alors qu'il tournait la clé dans la serrure, bienheureux de rentrer chez lui après une dure journée de travail, Wolfy, le chien-loup de la voisine, accourut en aboyant. Jared, saisi de panique, hurla et envoya l'animal voler contre le mur d'un violent coup de pied. Wolfy tomba ensuite à terre en gémissant et, se relevant mécontent du traitement qui lui avait été précédemment infligé, il se jeta sur Jared en lui mordant le mollet. Le jeune homme, pris d'une rage incontrôlable, voyant devant lui un loup en fureur, agrippa le chien et le traîna dans son appartement. Wolfy se débattait, grognant et aboyant de toutes ses forces; si bien que la propriétaire du chien l'entendit et se précipita chez son voisin. Jared battait l'animal, le jetait avec force contre le sol. La pauvre bête suffoquait et sa maîtresse hurlait ses supplications :

- Arrêtez ! Lâchez mon chien, mon Wolfy !

Mais Jared ne lâchait pas prise. Sa rage grandissante, il attrapa un couteau de cuisine et l'enfonça dans la chair et le cœur de l'animal. Celui-ci poussa un long et dernier gémissement avant de rendre l'âme.

La propriétaire de Wolfy, paralysée de terreur, appela immédiatement la police. Le soir même, Jared était en garde à vue. Après quelques tests, les enquêteurs conclurent que le jeune homme était atteint d'une folie importante et jugèrent préférable de le faire interné dans un hôpital psychiatrique.

De sa chambre qu'il partageait avec un homme ayant depuis bien longtemps perdu l'usage de la parole et qui ne s'exprimait plus que par de longs cris graves, on entendait Jared hurler. Il voyait les loups qui l'encerclaient, le vieux loup qui gémissait dans le lit voisin, ceux en blouses blanches qui venaient lui faire des piqûres,... La nuit, il criait dans son sommeil, rêvant toujours de cette scène horrible qu'était la mort de Sarah. Quand les infirmières venaient chercher Jared pour l'emmener au réfectoire, il se débattait et se cramponnait de toutes ses forces à son lit, voyant ces louves en blouses blanches qui tentaient de faire de lui leur festin. Il refusait de manger de la viande, pensant qu'il s'agissait d'humains tués par les loups, peut-être même de sa bien-aimée. Ainsi il finit par mordre une infirmière et on décida de lui amener son repas dans sa chambre. Mais Jared ne daignait plus rien avaler. Et il voyait les loups l'encercler sans jamais le dévorer. Il suppliait les bêtes de le tuer pour qu'il puisse enfin demeurer en paix.

Un jour pourtant, allongé sur le lit, en proie à sa folie et à un profond désespoir, il la vit entrer dans la chambre. Sarah était bien là, vivante, devant lui. Et toutes ses visions avaient alors disparues. Elle s'avança vers le lit et se pencha vers lui :

- Alors Jared, comment es-tu arrivé ici ?

- Les loups. J'ai pensé qu'ils t'avaient dévorée. Ils étaient partout.

Sarah esquissa un sourire.

- Tu as pensé que mes frères m'auraient dévorée ?

- Oui...

- Et tu avais raison.

Jared blêmit.

- Quoi ?

- Je ne peux pas vivre avec toi dans ce monde; je suis si vieille. Je suis un loup Jared; la première de ces pauvres colons à avoir été dévorée.

- Arrête, je ne te crois pas.

- Je veux te garder avec moi, pour l'éternité. Je t'aime réellement, Jared. Aucun loup je n'aurais laissé te dévorer, mais je deviens folle moi aussi sans ta présence.

- Sarah...

Sous les yeux terrifiés de Jared, la jeune femme se changea en une louve magnifique au poil d'un brun étincelant et aux yeux bleus profond. Cette créature magnifique se jeta sur celui qu'elle aimait et n'en fit qu'une bouchée.

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