7.

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Léo. Son nom résonne dans tout mon être, hurlé en silence. L'astéroïde vient de toucher la Terre, et de s'écraser sur ma tronche ahurie. Léo, Léo... Son prénom roule sur ma langue, caresse mon palais, s'échappe peu à peu de mes lèvres. Léo. Il existait donc un pont à franchir au-dessus de ce fossé qui nous a séparés toutes ces années. Mais cette fois, serait-il bon de le franchir ? Est-ce qu'il n'est pas là plutôt pour me mettre en garde, me rappeler que le passé doit rester là où il est ? Et que lui répondre, ce serait ouvrir la boîte de Pandore ?

Mais si je ne réponds pas, je ne saurais jamais... Mes yeux restent rivés sur l'écran. Mes doigts se promènent sur le clavier numérique. Mon cerveau vient de subir un arrêt total de ses fonctions.

"Salut."

Houston. Houston, je répète : nous avons une faille dans le système nerveux. Elle vient de commettre une putain de connerie ! Mayday, Mayday, Mayday !

"Sympa tes références musicales. T'écoutes quoi à part ce groupe disparu de la circulation depuis plus de dix ans ?"

Merde. Il a lu ma description. Les paroles d'un morceau que lui-même m'a fait connaître. Avant. Juste avant de m'enfuir. Un morceau qui promet une nuit, juste une nuit. Pour livrer l'essentiel. Sous-entendu : je suis chaude comme une baraque à frites, mais je veux rien de plus que des galipettes avec toi. Laisse-moi quelques heures, pour découvrir tes trésors, tes joies et tes peurs gravées sur ton corps. Autrement dit : je te promets une nuit où tu vas jouir comme jamais, mais le ticket est valable juste pour une nuit, hein ! Un morceau que j'estimais de circonstance. Je suis dans la merde. Il va me griller, à tous les coups.

"Pas grand-chose. Et toi, qu'est-ce que tu écoutes depuis ce groupe disparu de la circulation depuis plus de dix ans ?"

La réponse ne se fait pas attendre. Il ne doit pas avoir envie de dormir non plus. Si ça se trouve, il est comme moi, il vient juste de... Non, je veux pas le savoir.

"Des tas de trucs vachement intéressants. Alors, tu as trouvé quelqu'un pour cette fameuse nuit ?"

Je souris. Droit au but. Mon cerveau ne répond toujours pas aux appels au secours désespérés de ma conscience qui se noie dans son océan de culpabilité.

"Pas encore. Je suis inscrite depuis seulement très peu de temps.

- Oh. Bien. Ca nous laisse peut-être une chance, alors :-)."

Tu veux rire ?! Tiens, il semblerait qu'une partie de mes neurones se soit réveillée, enfin. Hors de question d'envisager un truc pareil ! Je viens déjà de franchir une limite que je pensais infranchissable, alors imaginer que je puisse me retrouver dans un lit, avec lui... Oh. Dans un lit. Nus. Sa peau contre la mienne. Son souffle se mêlant au mien. Je... Non ! Ne me lâche pas, cerveau de mes deux !

"Eh bien, il va falloir être convaincant. Les volontaires commencent à se bousculer au portillon."

Bon là, c'est foutu. J'abandonne. Ma raison vient de se faire envoyer paître, et l'excitation de prendre le contrôle total du navire.

"Comment te convaincre, alors ? Malgré ta description, tu laisses planer le mystère...

- C'est le but recherché. Semblerait que j'aime bien me faire désirer :-).

- Intéressant. Un brin inaccessible, voilà de quoi corser le jeu."

Inaccessible. On en parle, ou bien je l'envoie chier maintenant ? Allez, je suis d'humeur magnanime, je choisis de lui accorder le bénéfice du doute.

"Justement, c'est un jeu. Alors, définissons les règles ?

- Je ne connais rien de toi, il va falloir m'en dire un peu plus si tu veux que je participe.

- Qu'est-ce que tu veux savoir ?

- D'abord, ce que tu recherches ici. Pourquoi tu es là. Les filles dans ta tranche d'âge, il y en a peu sur ce site. D'ailleurs, est-ce que c'est réellement ton âge ? Peut-être que tu as estimé bon de maquiller un peu la réalité..."

Pour qui il me prend ? Maquiller la réalité. Oui, bon. Un peu. Un tout petit mensonge de rien du tout.

"Non, c'est bien mon âge. Rassure-toi. Tu t'attendais à quoi ?

- A une femme bien plus âgée. Mûre. Y en a un paquet ici."

Oh. J'ai soudain l'image d'une femme cinquantenaire, qui s'emmerde dans sa vie de ménagère - comme moi, là, maintenant - mais qui n'ose pas dire à son mari bedonnant qu'elle a envie de tester les soirées échangistes. Et qu'elle fantasme à mort sur Juan, le plombier à l'accent espagnol, qui la nargue tous les matins en passant devant sa fenêtre avec son torse dénudé contre lequel elle aimerait bien pouvoir se réfugier de temps en temps. Oh oui Juan, lui dirait-elle en frottant ses seins contre sa poitrine velue, prends-moi dans tous les sens, rentre-moi ta grosse clé de douze pour graisser ma tuyauterie ! C'est sûrement une femme qui s'endort toutes les soirs avec cette pensée en pestant contre son mari et ses problèmes d'intestins qui transforment le lit conjugal en usine à gaz pestilentielle.

Alors, elle s'évade comme elle peut. Elle a essayé d'acheter un sex toy, une fois. Mais tout de même, ce n'est pas la même chose qu'un corps. Pas la même chose qu'un Juan. Alors à défaut de Juan, la voilà sur un site de rencontres extraconjugales, espérant, mouillant de toutes ses forces qu'un bel et jeune étalon veuille bien lui rappeler quelle femme désirable elle peut être, quel corps ardent sommeille dans son enveloppe vieillissante, quels savoir-faire inavoués elle est capable de dispenser à son ou ses futurs amants... Et voilà désormais une cinquantenaire en combinaison lycra moulante, armée de ses talons aiguilles, qui grimpe sur le dos de Juan et le fouette à chaque fois qu'il ne rajoute pas "Maîtresse" en fin de phrase.

"Ce n'est pas mon cas. Bien qu'on me dise que je fasse parfois plus jeune que mon âge, mais non...

- Plus jeune ? Pas au point que je passe pour un prédateur sexuel à côté de toi, au moins ?"

Je pouffe de rire. Pas trop fort, je risque de réveiller Thomas.

"Non, quand même pas. Bon, est-ce que ça étanche ta soif de curiosité ou tu veux ma carte d'identité ? :-)

- Je serais en effet bien curieux de savoir quel visage se cache derrière cette photo peu équivoque... Mais non, je ne te demanderai pas ta carte d'identité."

Encore heureux. Vue la tronche que j'ai dessus, ce serait pas un atout.

"Mais je ne te cache pas que ton profil m'intéresse beaucoup. Au point que j'espère sincèrement gagner la partie, et pouvoir te rencontrer..."

MAYDAY, MAYDAY, MAYDAY !

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