Estimant qu'il devait être vingt et une heures, je décide d'entrer dans la maison. Aussitôt la porte franchie, une dame assez forte m'indique d'un doigt réprobateur ponctué d'un Hop là ! Le chien ! Son doigt fait des allers-retours entre Gypsie et un panneau noir et blanc exposé contre le mur représentant une silhouette de Cocker barrée d'une large croix. C'est vraiment mal dessiné. Gypsie ne lui ressemble guère.

Nous retournons jusqu'à la 4L. La couverture paraît bien mince, la tôle bien verglacée. À tout à l'heure, lui soufflé-je. Lorsque je verrouille la voiture, elle pointe sa truffe contre la vitre. Ses yeux ronds posés sagement entre ses deux oreilles mi-dressées, mi-soumises, me délivrent un déchirant au revoir.

Une nouvelle tentative d'intrusion sans effraction dans cette maison s'effectue en silence. La bonne femme me tourne le dos, le corps en équilibre sur une chaise paillée percée. Elle m'interpelle en s'adressant au mur contre lequel elle s'évertue à positionner une guirlande. Alors c'est vous le berger ? Bonsoir madame, oui, c'est bien moi. Je peux vous aider ?

La punaise récalcitrante s'échappe du boudin de ses doigts. Ses bras, décidément trop courts, s'appliquent à retenir la décoration. C'est pas de refus. Elle pourrait ressembler à un sapin de Noël si, chapeautée de son étoile à cinq branches, elle avait daigné revêtir ne serait-ce qu'un simple habit vert. Mais la costumière a dû prendre un congé sans solde depuis des lustres si j'en juge par l'accoutrement imposé dans cette pièce. La blouse à fleurs brise l'illusion d'une quelconque envie de fête, d'autant que relevée jusqu'à mi-cuisse le nylon ne dissimule plus ni le haut de ses bas de laine, ni le bas de son postérieur monumental. L'éducation reçue par des parents stricts m'interdit d'émettre un quelconque avis désobligeant à l'encontre d'une personne se donnant corps et âme pour recevoir ses invités.

Je me précipite donc, punaise en main, décidé à venir en aide à mon hôtesse. À mi-chemin, je me cogne contre le lustre. Attention, c'est du chêne. Ici, faut pas être trop grand. Le lustre, sans doute de la même famille que la manivelle d'une Juvaquatre d'avant-guerre, prend un malin plaisir à me défoncer le crâne une seconde fois. Attention ! C'est du chêne et... du fer forgé. C'est du solide ! C'est mon mari qui l'a fait. Passez-moi cette foutue punaise. Tête basse, je la lui tends. Elle épingle la guirlande maigre mais rouge, d'un rouge rutilant aussi criard que la violette suivante. Celle-ci encadre le fier portrait d'un militaire, sans doute le concepteur de l'objet responsable de mes bosses.

« Qu'en pensez-vous ? »

S'il est de notoriété publique que je dis souvent ce que je pense, il est d'usage de ne pas blesser les personnes qui, fières de leur ouvrage, posent ce genre de question.

« On dirait qu'une fête se prépare, non ?

— C'est pour vous et la petite vous savez depuis que je vis toute seule la Noël se résume à la messe de minuit enfin pas à minuit parce que le curé y peut pas venir le 24 il est sur l'une de ses deux autres paroisses elle va pas tarder à arriver la petite elle finira ses fromages plus tôt ce soir le père Boissineau c'est pas un tendre vous savez je le connais depuis longtemps cet homme-là il était des classes de mon mari il les fait travailler les jeunes que des filles qu'y prend le bonhomme que des filles avec lui pas question qu'elles restent les deux pieds dans le même sabot à bayer aux corneilles ou se faire conter fleurette par un quidam au boulot ! Comme j'te l'dis. Pouf ! Voilà ! C'est fini. »

Elle descend de sa chaise, pas essoufflée du tout après cette tirade, me tend la main pour serrer la mienne.

« Enchantée. Josette !

– Moi, c'est bertrand. »

Clong clang ! Le carillon « claque sonne » la demi-heure après les huit du soir.