Autour du feu

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— On peut se tutoyer, maintenant qu'on se connaît. Tu aimes le fromager ?

— La fromagère, oui ?

— Ah Ah Ah ! Mais non, le tourteau fromager !

Joignant le geste à la parole, elle me présente sa préparation. Un gâteau tout rond, cramé noir sur le dessus comme il se doit.

— C'est vous qui l'avez fait ?

— Je tiens la recette de ma belle-mère paix à son âme une vague parente à la mère Bobèche feu mon mari en était friand... du tourteau... Ah Ah Ah ! Désolé, je m'emporte c'est pas si compliqué à réussir mon gars c'est même très simple il te faut des bons produits c'est tout les œufs viennent de mes poules le fromage des chèvres que la petite me rapporte frais le soir je lui en cuisine au moins un par semaine elle est gourmande la petite ça lui remonte le moral faut s'en occuper de la petite hein mon gars faut pas la laisser tomber elle est si gentille en ce moment elle est au plus bas.

— Oui, je sais, elle me l'écrit dans ses lettres. On va peut-être l'attendre pour y goûter, non ?

— Oh ! Si t'veux elle va pas tarder à arriver la petite elle est courageuse t'sais depuis six heures le matin ça lui fait des bonnes journées et tous les jours sauf le dimanche elle n'y va que le tantôt.

— Oui, je sais.

— Assieds-toi je peux t'offrir un peu de troussepinette ça me donnera le temps d'arranger la crèche.

— Merci, c'est pas de refus, ça va me réchauffer.

— Mets-toi près du poêle la petite m'a rentré du charbon pour toute la soirée elle est courageuse tu sais.

Lorsqu'elle ouvre la trémie, j'entends ronfler les boulets incandescents.

— Ça brûle bien.

— Oui, mon gars on va être bien tous les trois.

Mince. Elle n'était pas prévue dans mon tête-à-tête amoureux. Peu importe. Si cela pouvait lui égayer sa vie, pourquoi pas.

— Elle est courageuse cette petite tu sais et toi qu'est-ce que tu fais de tes journées elle m'a dit que tu es tondeur mais c'est pas la saison faudrait pas que les ouailles prennent froid les pauvres.

— En hiver, et depuis hier, je suis bouvier.

— Chez qui ?

— Un paysan boulanger de Saulgé près de Montmorillon. Il a des limousines.

— Elles sont en stabulation ?

— Non, à l'attache au cornadis. Il faut les nourrir matin et soir, les curer, les étriller. J'aime bien ça. Il fait bon dans l'étable. En plus, elles sont belles. La saison précédente, j'avais travaillé avec des banc beu... des blancs beu... zut... des blancs bleus belges.

— Des quoi ?

— Des vaches belges, du côté de Liège. Énormes, les bestioles. Des monstres. Des culardes. À chaque vêlage une césarienne.

— Non ?

— Si, comme je vous le dis. Mais chez ce type-là, à Saulgé, c'est plus naturel. Il veut pas donner d'ensilage, alors j'égraine du maïs, prépare un mélange avec des céréales, de la mélasse. Je leur coupe des betteraves. Le plus dur, c'est le vêlage. Il faut surveiller et les aider neuf fois sur dix. Souvent au petit matin. J'adore ça. Une fois, dans un élevage à Langres, chez Fréquelin, vous savez, le père du coureur automobile ?

— Non j'connais pas.

— Bref. J'ai dû rester trois mois avant de reprendre mon vélo. Chez eux, il y avait Hans le vacher. C'était un ancien prisonnier Allemand. Il croyait que la guerre n'était pas finie. Eh ben, le type y dormait dans l'étable, dans une espèce de cabane, juste au cul des vaches. Parfois, chez mon patron, je fais de même. On est tout de suite sur place quand elles se préparent.

— Faut pas craindre les odeurs.

— On s'habitue à tout. Et pis, on est au chaud. Vous connaissez les limousines ?

— Ah non ! Pas moi ni personne ici je crois en avoir vu au salon de l'agriculture en 1950 mon mari vendait des machines à traire la marque Melotte c'est lui qui représentait la marque à l'ouverture du Salon à Paris comme je l'avais accompagné j'ai pas payé même pas l'hôtel je dormais dans la paille avec nos voisins du canton ceux qui ont les Saanen.

— Désolé, je ne les connais pas.

— Attends un peu je dois bien avoir une photo par ici ou quelque part par là.

Elle ouvre le grand tiroir du buffet. Le fourre-tout-vide-poches délivre quelques trésors en-dessous desquels une pochette photos Kodak.

— Regarde mon gars ça c'est mon mari avec la Mélotte tout inox les pots trayeurs une pièce magnifique tu sais il en a vendu des centaines c'était un mordu mon mari un vrai de vrai et là c'est quand il a gagné le concours du loto pendant le congrès national il avait rapporté un jambon regarde comme il est dodu parfumé je l'aimais bien...

— Le jambon ?

— … Mon mari.

Du placard, elle sort un album-photos.

— Là c'est quand on s'est marié en 45 à la libération j'attendais déjà Stéphane notre premier.

— Vous êtes belle.

— Tu penses j'avais seize ans et défunt mon père a jamais voulu qu'on aille à la messe il m'a traité de putain ni plus ni moins paix à son âme je lui ai tout pardonné le malheur qu'il m'a fait là c'était nous trois à la mer mon Dieu ! J'avais peur de l'eau et lui aussi Stéphane pleurait là tu vois on s'est pas baigné mais on a batifolé dans le sable.

— Qui vous a pris en photo ?

— Des amis avec qui on partait en camping des voisins nous étions amis à cette époque voilà je vais pas t'embêter avec mes vieilleries on va attendre la petite elle va pas tarder.

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