Chapitre deux - G. comme Goethe

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Quand G. se réveilla, il se trouvait sur un canapé en cuir, sous une couverture de laine, dans une antichambre appartenant à quelqu'un aimant le violet, et le soleil était encore couché. Il se sentait pourtant parfaitement reposé. Il lui vint alors à l'esprit – surtout quand il vit entrer Andrew en habit de soirée – que le soleil s'était peut-être levé puis recouché tandis qu'il dormait.

« J'ai envoyé un billet à Jemima, lui apprit Andrew. Elle a répondu et attend ta visite demain matin un peu avant midi et te retiendra à déjeuner.

— Pourquoi lui as-tu écrit ? s'étonna G.

— Parce que ton immeuble est parti en flammes la nuit dernière et que tu n'étais pas en état de la rassurer toi-même sur ta santé.

— Elle a dû se faire un sang d'encre ! s'affola G.

— Mais non, je te dis que je lui ai envoyé... laisse tomber. C'était ce matin-même, avant la première édition. Elle a su que tu allais bien avant de pouvoir apprendre que ton immeuble avait brûlé par une autre source. »

G. laissa sa tête reposer sur le dossier du canapé.

« Merci, dit-il simplement.

— De rien. Dis, si tu veux devenir membre du Brightwell's j'ai les papiers tout prêts. Tu peux dormir dans une vraie chambre ce soir si tu le désires. Mais avant ça, va dans ma salle de bains et décrasse-toi, tu es tout chiffonné. »

G. ne put qu'approuver, surtout après avoir taté la barbe de trois jours sur son menton.

« Je sors de chez les Thorne, ajouta-t-il. Tu sais, Arabella, qui jouait avec nous quand nous avions cinq ans ? »

Les Richards et les Thorne avaient toujours été proches, et la mère d'Andrew étant née dans une tierce famille proche des deux autres, il avait été des jeux des enfants Richards et Thorne. L'âge estimé par Andrew était toutefois un anachronisme, car Arabella avait dans les dix ans de moins qu'eux, et qu'ils avaient plutôt joué avec sa grande sœur Caroline, de trois ans leur cadette.

« Je vois vaguement, dit G. en ôtant la couverture et en se levant.

— Eh bien elle se pique d'écrire ! Elle veut devenir journaliste !

— Tu me diras, marmonna G. en tâtant la chemise, il faut bien tenir les rubriques savoir-vivre et mode dans les journaux que les dames s'arrachent... Si tu le permets, je vais continuer de lire les faits divers et les grands titres.

— Ne t'inquiète pas, je n'ai pris aucun engagement pour toi, s'esclaffa Andrew. En revanche, je n'ai pas su me taire à temps et j'ai promis de relire une petite nouvelle qu'elle a écrite qui s'intitule L'Epiméthée moderne. Une variation sur le thème du Frankenstein de Shelley ou quelque chose comme ça, je crois. Tu savais qu'Epiméthée était le mari de Pandore ? »

G. se dirigea vers la salle de bains et se débarbouilla en vitesse. Relevant la tête, il aperçut son reflet dans la glace et soupira. Il avait été beau. Mais il avait à peine trente-trois ans et il en paraissait déjà cinquante ! Il consumait sa vie et n'avait jamais cessé de pourchasser cette pierre philosophale, remettant toujours la vie et l'amour à après sa découverte... Et après l'incendie de la nuit précédente, tout son travail était parti en fumée, suivi de près par ses illusions.

C'est alors qu'il eut une illumination. Illusion, reflet... Un miroir ! Mais bien sûr ! D'abord se faire refléter les rayons de lune et ensuite les concentrer ! Cela lui permettrait sans doute d'obtenir, enfin, la lumière de lune dont il avait besoin. C'était à cause de cela qu'il avait échoué !

Se précipitant torse nu dans l'anti-chambre, il attrapa au passage son papier et un crayon et ajouta dans un coin cette idée magnifique qu'il venait d'avoir.

« J'imaginais un habillement un peu plus complet, dit sarcastiquement Andrew, toujours présent. Prépare-toi rapidement, Gregory. Je t'emmène à l'Opéra. On y donne La damnation de Faust, tu verras c'est très bien. »

Acceptant le fait qu'il n'était pas très habillé pour aller à l'opéra, G. répondit :

« Je ne viens pas. Je dois recommencer mes expériences depuis le début, ça va me prendre un temps fou !

— Dans ce cas tu peux prendre deux jours de pause, non ? Repose-toi, vas à l'opéra, déjeunes avec Jemima. Joues avec Albert et Victoria aussi ! »

Albert, le fils d'Andrew, était le filleul de G. Sa grande sœur Victoria était déjà une jeune fille – seize ans – pleine de grâce, mais Albert n'en avait que dix et voyait très peu son parrain.

« Très bien, concéda-t-il de mauvaise grâce. Je veux bien prendre deux jours de repos. Mais après cela, je louerai un entrepôt dans les docks et je recommencerai tout. »

Andrew hocha la tête.

« Ça me paraît juste. Rappelles-toi de faire des pauses de temps à autre, tout de même. L'amour de la science ne doit pas te faire passer à côté de ta vie. »

G. secoua la tête. Andrew n'avait jamais compris – pas plus que les parents Richards ou Jemima – que l'amour de la science était sa vie. Mais soit. Si son hébergement et sa nourriture dépendaient de la façade qu'il donnerait au monde, il complairait à cette règle. N'était-ce d'ailleurs pas la règle générale ? Le monde et la vie ne forçaient-ils pas les gens à mettre leur travail avant leurs loisirs, afin de survivre ? Cultiver la terre était plus indispensable à la survie biologique que manipuler des petites fioles. Ainsi allait le monde.

« Je préfèrerais Idoménée à Faust, grimaça-t-il encore pour la forme.

— Mais Idoménée n'est pas à l'affiche. Allez, habille-toi, on y va. »

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