Chapitre trois - Harley Street

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Le lendemain, Andrew se rendit de bonne heure dans un cabinet de Harley Street, la rue de Londres la plus densément peuplée en médecins de tous poils. Il avait rendez-vous avec le docteur Ratchett, un ami de ses parents, médecin renommé qui touchait un peu à tout ce qui concernait les maladies mentales.

« Mon cher Andrew ! s'exclama celui-ci en le voyant arriver. Un cigare ? Il vient de m'arriver la plus belle plaisanterie de ma carrière ! »

Andrew, quoiqu'un peu surpris, accepta le cigare et encouragea Mr Ratchett à continuer.

« Figurez-vous qu'on vient de m'envoyer un billet pour me demander si je connaissais un médecin de la même branche que moi qui serait à la fois peu cher et incompétent. Vous me connaissez, j'ai aussitôt pensé à cinq ou six de mes confrères, mais c'est plus par mauvais esprit qu'autre chose : ils sont tous très chers, et très compétents, si tant est qu'on considère la chose à la manière des Chinois. »

Comme Andrew ne connaissait pas la manière des Chinois, le docteur Ratchett lui expliqua :

« Les médecins en Chine ne sont pas chargés de soigner les gens, mais de les empêcher de tomber malades. Comme les maladies mentales ne surgissent généralement pas du jour au lendemain, mes confrères sont très compétents puisqu'aucun de ceux qui viennent les voir parfaitement sains d'esprit ne deviennent déments dans les années qui suivent - sauf rares exceptions. Quant aux vrais malades mentaux... j'imagine que nous sommes tous un peu désarmés devant eux, et puisqu'il s'agit pour le coup de patients, je ne m'étendrai pas sur le sujet. »

Andrew hocha la tête.

« Enfin bref, poursuivit Mr Ratchett, le meilleur de tout ça, c'est que l'expéditeur utilisait du papier à lettres du Brightwell's - ma secrétaire a l'oeil pour ça, je la soupçonne d'organiser un concours avec les autres secrétaires de Harley Street - et je me suis donc fait la remarque, tout naturellement, que je ne vous avais pas vu depuis longtemps. Là-dessus, ma secrétaire vous annonce ! Avouez que c'est tout de même formidable, parfois, les coïncidences ! »

Andrew fronça les sourcils. On avait écrit, du Brightwell's, pour trouver un médecin spécialisé dans les troubles mentaux ? Cela ne pouvait être qu'Alan. Mais pourquoi demander un spécialiste incompétent et peu cher ? Y'avait-il quelque chose d'étrange là-dessous ? Une combine, une manipulation ? Alan tentait-il de manœuvrer quelque chose de louche en prenant pour prétexte la maladie de Cassandra ? Était-ce quelque chose d'aussi trivial que prolonger son séjour gratuit au Brightwell's au prétexte qu'on n'avait pas encore trouvé de quoi souffrait Cassandra, ou était-ce un projet bien plus sinistre ?

« Mais vous veniez me voir pour... ? s'enquit Mr Ratchett.

-Oh, sursauta Andrew, perdu dans ses pensées. Pour rien, finalement. Vous avez déjà répondu à ma question. Au revoir, Monsieur Ratchett, ravi que nous nous soyions revus même si ce fut très court. Excusez-moi, j'ai à faire... »

Il s'arrêta devant la porte, ayant comme une illumination : il venait de trouver pourquoi le nom de Killian Murray, le père de Cassandra, lui était familier ; loin d'être un forgeron, c'était un des associés d'Angus McPherson, le père de Jemima McPherson à laquelle était fiancé son ami G. Richards - depuis le matin-même, semblait-il - et de Michael McPherson, fils du premier, qui commençait à prendre sa part des affaires de son père.

« Je suis navré d'abuser de votre générosité, dit-il en se retournant, mais pourrais-je vous emprunter papier et crayon ? Je dois écrire un billet urgent.

-Pas de problème, répondit le docteur Ratchett. Mon suisse est à votre service pour emporter le billet. »

Andrew le remercia abondamment et griffonna quelque chose à l'adresse de Michael McPherson. Il expédia le mot, puis bondit hors du cabinet et de la rue dans un fiacre et rentra au Brightwell's aussi vite qu'il le put. Il y avait du mystère dans l'air, et ce mystère était de trop dans son club.

Montant par l'escalier de service en avalant les marches quatre à quatre, il entra par la porte de service de l'appartement de l'avant-dernier étage, surprenant Alan.

« Mais enfin ! s'exclama-t-il. Qu'est-ce que tu fais là ? Et puis tu tombes mal, Cassandra est en pleine crise.

-Voyons voir ça, répondit Andrew. Laisse-moi passer. »

Il força le passage et entra dans le salon commun aux deux chambres de l'appartement. Cassandra était allongée sur le canapé, les yeux vitreux, en train de marmonner des mots incompréhensibles, parmi lesquels Andrew crut distinguer ''araignée''. Il leva les yeux pour voir s'il y en avait une qui se promenait là où reposait le regard de Cassandra, mais s'il y avait une araignée au plafond, c'était uniquement dans l'esprit de Cassandra.

Peiné pour Cassandra et mortifié de s'être trompé - il s'était presque persuadé qu'Alan la faisait passer pour folle alors qu'elle ne l'était pas - il s'excusa auprès de son cousin, qui le rassura en disant que c'était tout naturel de s'inquiéter pour son club avec une folle à un étage - Andrew n'avait pas précisé le motif de sa visite - et le reconduisit à la porte de l'escalier de service.

Andrew allait saluer son neveu James, qu'il venait d'apercevoir par la porte vitrée du salon, quand son secrétaire le prévint qu'un domestique de la famille McPherson attendait dans son bureau avec une réponse.

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