Chapitre quatre - Ayahuasca

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« Je dois vous faire mes excuses, je vous ai dérangé pour rien, dit Andrew aussitôt qu'il fut en face du domestique. Je voulais obtenir des informations de Michael, mais mes craintes n'étaient pas fondées... ou alors trop. »

Le domestique se contenta de lui tendre le message, dans lequel Michael McPherson insistait - et ce, très lourdement - pour que, quel que soit le sujet de ses angoisses, et même si ce sujet avait disparu entre temps, ils se voient au pub voisin et discutent un peu, en tant que futurs ''parents'', le meilleur ami d'Andrew s'apprêtant à épouser la soeur de Michael, et la fiancée de celui-ci étant une amie d'enfance d'Andrew.

Il ne semblait pas prêt à lâcher le morceau, fût-ce par écrit, aussi Andrew accepta-t-il de déjeuner avec Michael le midi-même. Ils se donnèrent rendez-vous dans un pub à mi-chemin entre le Brightwell's et les bureaux de McPherson, le Pierced Dragon, une variation intéressante évitant un énième Saint Georges ou George and Dragon.

Alors qu'il descendait la rue y menant, Andrew vit Michael et Edward McPherson, son petit frère, tourner au coin. Ils arrivèrent devant le pub exactement en même temps. Michael présenta Edward à Andrew, ils se serrèrent la main et entrèrent dans le pub.

Alors que Michael passait commande, Andrew dit à Edward :

« J'ai cru comprendre que vous reveniez d'un voyage ?

-Oui, en Amazonie, confirma Edward, le regard lumineux. Je suis bien content d'être de retour, mais le séjour était très intéressant. J'ai appris énormément de choses sur la pharmacopée locale. Dommage que cela ne me serve guère sous ces latitudes.

-Vous y êtes allé comme médecin ? l'interrogea Andrew, voulant faire rouler la conversation le plus loin possible de la raison pour laquelle il avait envoyé un mot à Michael McPherson.

-Oui, répondit Edward, même si je pense avoir plus appris là-bas que je n'ai aidé. Mais il paraît que c'est toujours l'impression que cela donne quand on est bien accueilli, même lorsque c'est en réalité l'inverse qui s'est produit. Enfin, c'était ce qu'un de mes compagnons de route disait. Dieu ait son âme... »

Ah, c'était la partie moins joyeuse du voyage.

« Par ailleurs, ajouta Edward, détournant la conversation de la mort de son ami, le pays est beau quand on n'y attrape pas la fièvre. Hélas... voyez-vous, j'avais choisi d'accompagner une mission en Jamaïque, car je pensais éviter ainsi la Chine, où le fumage de l'opium est répandu. Je ne voulais pas me retrouver face à des gens au regard rendu brumeux par la drogue. Mais une fois en Jamaïque, un de mes compagnons de route, un jésuite espagnol, a rendu l'âme à cause de la fièvre. Comme il était médecin et que la mission dans laquelle il se rendait en était désormais dépourvue le temps qu'arrive un autre, j'ai pris sa place et je suis resté parmi eux pendant six mois. Et pendant ces six mois, je me suis rendu compte que s'il n'y avait pas d'opium en Amazonie, il y avait de l'Ayahuasca. »

Andrew et Michael étaient suspendus à ses lèvres - alors même que Michael avait déjà entendu l'histoire plusieurs fois.

« L'Ayahuasca, ou liane des morts, poursuivit Edward, est fumée par les shamans quechuas - des sortes de prêtres de leur religion qui est fondée sur le culte des ancêtres - pour communiquer avec leurs ancêtres. C'est en fait une drogue hallucinogène qui les plonge dans une transe parsemée de visions étranges. Je n'en ai pas fait l'expérience moi-même, mais ils m'ont expliqué cela et j'ai traduit en langage médical leurs interprétations mystiques. Excusez-moi, Mr Brightwell, est-ce que vous vous sentez bien ? »

Andrew le regardait, bouche bée, avec de grands yeux, et fixement, depuis trente bonnes secondes. Quand il entendit Edward le lui faire remarquer, il répondit :

« Pardon. Vous croyez qu'on trouve de l'Ayahuasca en Angleterre ?

-Sans doute pas dans le fin fond du Derbyshire, mais à Londres, oui, répondit-il. C'est même probable. Dans les cabinets de curiosité, peut-être.

-Est-ce qu'il est possible... non, ce serait trop énorme.

-Parlez, Andrew, l'encouragea Michael. Est-ce que cela a un rapport avec votre appel ?

-Eh bien, oui, répondit Andrew. Pour être franc, c'est exactement la raison de mon mot matinal. Mon cousin Alan - que je n'avais jamais vu jusqu'ici - est arrivé avec sa nièce à Londres il y a deux jours. »

Il passa sous silence le fait qu'il les logeait au Brightwell's au mépris de toutes les règles et poursuivit son récit :

« D'après lui, sa nièce est folle, et il est vrai qu'elle a eu des réactions qui m'ont surpris - ne pas me reconnaître cinq heures après m'avoir vu pour la première fois, ou prétendre avoir dormi pendant tout le voyage alors qu'Alan m'avait dit qu'elle avait eu une crise pendant le trajet, dans un relais de poste - mais je ne savais pas quoi en penser. Je me suis rendu chez le Docteur Ratchett, que vous connaissez bien sûr, Michael, pour lui poser des questions sur les maladies mentales, mais à peine m'a-t-il vu qu'il m'a annoncé qu'on venait de l'appeler pour lui demander s'il connaissait des médecins incompétents et pas chers. Or, c'était mon cousin qui l'avait appelé. Je me suis dit que, peut-être, il la faisait passer pour folle, alors je suis allé le voir, mais quand je suis arrivé, Cassandra avait une crise, alors j'ai pensé avoir tort. Et maintenant vous me dites que ces crises peuvent avoir été provoquées par une plante tropicale !

-Cassandra ? répéta Michael. Comme ''Cassandra Murray'', la fille de Ian Murray ?

-Oui, comment la connaissez-vous ? s'étonna Andrew.

-Son père a télégraphié au mien depuis Edimbourgh il y a à peine deux jours pour lui demander s'il serait prêt à lui prêter de l'argent en cas de demande de rançon. Apparemment, Cassandra a été enlevée. »

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