Chapitre premier - Le Cavalier

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Arthur Richards avait tout pour être heureux : une mère aimante, une sœur admirative de ses talents, deux autres frère et sœur, des talents en nombre justement, une belle situation financière, et un homme, filleul de son défunt père et qu'il considérait comme son frère, qui lui servait de parrain à son tour dans le monde londonien. Par ailleurs il était amoureux d'une femme qui avait tout pour être heureuse également, même si son bonheur à elle empiétait un peu sur son bonheur à lui, puisque trois prétendants lui faisaient la cour en comptant Arthur et que c'était, à son sens, deux de trop.

L'un d'eux était même son propre cousin Angus McPherson - deuxième du nom, le petit-fils de l'Angus McPherson qui armait tous ses bateaux pour les nommer Langoustine des Prés, fils de son aîné Michael McPherson et de Caroline, née Thorne.

Quant au troisième prétendant, c'était un obscur cousin issu de germain de son parrain, il prétendait être le fils d'Alan Brightwell, un homme aux manières désastreuses qui avait poussé le sans-gêne jusqu'à tomber du toit du Brightwell's alors qu'on ne lui avait rien demandé - et alors même que son cousin Andrew, désormais décédé lui aussi, l'avait accueilli sous son toit alors qu'il n'était pas membre du club. Cela dit, si il était - ce qui restait à démontrer - le fils d'Alan Brightwell, il n'avait pas pris du tout auprès de son père et il était un homme très sympathique.

C'était cela, le drame de la vie d'Arthur Richards : non seulement la femme qu'il aimait avait trois prétendants qu'elle appréciait (sans aller jusqu'à parler d'amour, c'était trop tôt et cela n'aurait pas été, sans doute, aussi équitablement réparti) autant les uns que les autres, mais en plus il s'entendait lui-même très bien avec les deux autres. Il faut dire qu'autant son cousin Angus que Charles Brightwell étaient de caractère et de conversation agréables.

En sus, Virginia Ratchett, dont la grand-mère avait subitement fait fortune vingt ans plus tôt lorsqu'elle avait intenté un procès colossal à un de ses locataires qui avait accidentellement provoqué la destruction (par le feu) de l'immeuble dans lequel il logeait, bien que d'une famille de parvenus (cela dit, il faut bien l'admettre, c'était également le cas des McPherson et des Richards) avait des goûts de luxe et si ils voulaient l'épouser, Charles, Angus et Arthur devaient tous s'assurer de pouvoir subvenir à son train de vie.

Heureusement, les goûts de luxe de Virginia Ratchett avaient contribué à écarter de nombreux prétendants. En y repensant, peut-être Arthur devait-il considérer comme une chance, d'une part, le fait qu'il ne soit opposé qu'à deux autres hommes dans la course pour le cœur de Miss Ratchett, et qu'il s'entende bien avec les deux autres, d'autre part, puisqu'ils s'étaient assurés les uns aux autres qu'ils ne tenteraient de conquérir Miss Ratchett qu'en usant de moyens justes et sans faire de crasses aux autres.

Le Brightwell's avait beaucoup changé depuis la mort d'Andrew Brightwell, son fondateur, et désormais, en plus d'accepter la visite occasionnelle de femmes, Albert louait parfois l'immense salon du club, le temps d'une soirée, pour une réception mondaine. C'était ainsi qu'Arthur se rendit là où logeait Charles Brightwell pour la réception - le dix-neuvième anniversaire de Virginia Ratchett. Son adversaire étant déjà sur place, il avait convenu avec Angus d'arriver rapidement sur les lieux afin de ne pas le laisser seul avec Virginia trop longtemps. Le fair-play avait ses limites.

Angus et Arthur se retrouvèrent devant le club peu de temps après. Angus avait apporté un parapluie mais désigna le ciel bleu en disant :

« Peut-être cette précaution était-elle inutile.

-Effectivement, approuva machinalement Arthur. Entrons donc, allons voir où est Virginia. »

Ils entrèrent, saluèrent Mr et Mrs Ratchett et descendirent les quelques marches qui menaient au salon du club, lequel était largement ouvert dans toutes les directions, ses portes vitrées déployées comme les ailes d'un oiseau vers les pièces attenantes, afin de donner l'impression qu'on avait plus d'espace que ce n'était réellement le cas.

« Tu me feras penser à demander à Charles des explications pour cette fille, dit Angus.

-Bien sûr. »

Arthur se frottait mentalement les mains. Pendant qu'Angus et Charles discuteraient de la fille au bras de laquelle Angus avait croisé Charles, il pourrait parler seul à Virginia, ce qui ne lui arrivait pas souvent. Et puis, la réponse de Charles l'intéressait. Au-delà du fair-play de leurs attitudes respectives, les trois prétendants étaient unis par un but commun, rendre Virginia heureuse. Si chacun préférait que ce soit en l'épousant, ils savaient que deux d'entre eux seraient des candidats malheureux, et que les lois des mathématiques faisaient qu'ils avaient deux fois plus de chance d'être un candidat malheureux qu'un candidat heureux. C'est pourquoi ils avaient tous pris leur parti pour, d'une manière différente, écarter les autres prétendants. Ils étaient bien assez à eux trois, et leur alliance amicale pour assurer le cœur de Virginia à l'un des trois était aussi solide que leur amour pour Virginia elle-même. Toutefois, chacun gardait pour but premier d'être le candidat heureux.

Angus fut retenu à discuter par le père de Virginia, qui, petit frère du Docteur Ratchett qu'Andrew Brigthwell avait consulté bien longtemps auparavant, ne voulait pas vivre dans l'ombre de son frère et saisissait toutes les occasions possibles pour se rapprocher d'un magnat de l'industrie, et Arthur ne put l'en délivrer que cinq minutes après, lui ayant désigné Charles qui revenait des cuisines avec un plateau de petits fours qu'il aidait un valet à transporter - le plateau était de ces énormités trop larges pour être transportées dans un couloir et aux poignées trop mal placées pour être transportées en diagonal par un seul homme - et ayant pris sa place auprès de Mr. Rachett pour ne pas donner à celui-ci l'impression qu'on le fuyait.

Angus n'eut toutefois pas le temps d'alpaguer Charles avant que l'attention de tous ne fût attirée par un nouveau-venu, vêtu comme pour un voyage, avec des bottes de cavalier et un manteau trempé - il avait dont plu, finalement ? Étrange, Arthur aurait juré que le ciel était bleu et clair l'instant d'avant.

Il dévala les petites marches qui menaient au salon, s'inclina légèrement devant Mr et Mrs Ratchett et leur tendit sa carte. Mr Ratchett la saisit, lut son nom et lui serra la main d'un air hésitant.

Arthur et Charles se rapprochèrent, chacun de son côté - Charles aperçut Arthur à ce moment-là mais fit semblant de rien - et écoutèrent Mr Ratchett dire :

« Eh bien, j'imagine que je peux difficilement vous refuser l'entrée du salon puisque vous êtes membre du Brightwell's, même si vous n'êtes pas sur la liste des invités... Bienvenue, Monsieur... Tchélème ?

-Szellem, rectifia le cavalier en traînant un peu sur le premier 'e'. J'ai l'habitude. Le palais saxon n'est pas habitué aux sonorités magyarok. »

Arthur trouva que c'était une manière très pompeuse de dire ''hongroises'' mais laissa tomber l'idée de se moquer de l'invité plus tard lorsqu'il se rendit compte que, tout en parlant à ses hôtes, pas une fois Séél-lème ou quel que soit son nom, ne les avait regardé. Tout ce temps, son regard avait été fixé, comme magnétisé, par quelqu'un d'autre.

Suivant son regard, Arthur se retourna lentement et vit que la cible des yeux noirs de Scéellaime était Virginia.

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