Chapitre deux - La Tour

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Arthur n'avait jamais été très bon acteur. C'était Angus - tout comme le petit frère d'Arthur, Percival - qui faisait partie d'une troupe de théâtre, et c'était Charles qui cachait ses sentiments le mieux lors d'occasions sociales déplaisantes. C'est pour quoi il fut rassuré que Sayllème se détourne de Virginia, même si la raison était purement artificielle car il fut cueilli au bas des trois petites marches menant au salon par Charles Brightwell, qui n'avait pas tout entendu et demanda aussitôt - après avoir lu la carte de visite que le Hongrois n'avait pas encore rangée - à l'invité surprise :

« Monsieur le Comte, j'imagine que votre voyage a été long, dit Charles Brightwell. Vous devez être fatigué, j'espère que votre hôtel n'est pas trop loin ? »

Le Comte se contenta de lever le doigt vers le plafond avec un sourire et de répondre :

« A deux étages d'ici. Ce n'est pas trop loin. »

Charles en resta interdit.

« Vous allez loger au Brightwell's ? Mais comment ? s'exclama Angus.

-J'en suis membre depuis bientôt vingt ans, répondit Czellem. Je me suis inscrit par correspondance. A l'époque Monsieur Andrew Brightwell cherchait à fidéliser une clientèle pas trop invasive, il a accepté de me prendre car j'allais cotiser un certain temps avant de pouvoir venir en personne, et comme, vivant si loin, je pouvais difficilement me faire parrainer, c'est lui qui s'en est chargé. »

Ah parce qu'en plus il était membre depuis le début ?

La remarque toutefois éveilla la curiosité d'Arthur si elle n'alerta pas Angus. Membre depuis vingt ans ? Il n'en paraissait pas plus de trente... mais il en avait alors au moins largement quarante. Raison de plus pour qu'ils ne laissent pas Tchélèm s'approcher de Virginia. Les barbons, c'était amusant au théâtre, mais dans la vraie vie, c'était moins drôle - surtout lorsque la jeune fille innocente sur laquelle ils jetaient leur dévolu était votre fian... potentielle fiancée.

Angus et Charles attirèrent alors son attention d'un signe discret de la main et lui firent signe de les rejoindre dans le petit salon attenant. Que pouvaient-ils bien avoir en tête, et pourquoi diable laissaient-ils Zeylleme en tête-à-tête avec Virginia ?

« Nous ne pouvons pas nous permettre, dit Angus, de laisser seul le Hongrois avec Virginia.

-Il y a dans sa manière de la regarder quelque chose de profondément troublant - dans un sens négatif, ajouta Charles.

-Je savais que je n'étais pas le seul à l'avoir remarqué, murmura Arthur. Il m'a l'air dangereux - et pas seulement pour nos prétentions au coeur de Virginia, pour Virginia elle-même.

-On m'a si souvent reproché d'être trop dramatique que je ne savais pas si je pouvais me fier à mon jugement, approuva Charles, mais si nous sommes tous d'accord là-dessus... !

-Je jure en cet instant de faire tout ce que je peux pour protéger Virginia de cet homme." dit Angus en tendant le bras au centre du triangle qu'ils formaient.

Les trois prétendants tendirent chacun le bras, joignant leurs trois mains superposées au centre du triangle qu'ils formaient. Par la présente, ils juraient de toujours monter la garde autour de Virginia, et d'empêcher que Czellem puisse l'approcher. Ils érigeraient un rempart infranchissable autour d'elle et ne permettraient pas qu'on lui fasse le moindre tort.

Angus, qui avait l'âme romantique, se voyait déjà signer de son sang un bond comme le contrat signés par les conjurateurs qui voulaient la perte de Mary Stuart, mais lui avait ceci de plus exaltant encore qu'il protégeait celle qui régnait sur son coeur au lieu de concourir à sa perte. Il entendait déjà les cris d'agonie mêlés de Darnley, de Bonnie Prince Charlie et de Sehll-ème, les trois grands ennemis de l'Ecosse puisque l'un avait voulu tuer sa reine, l'autre prendre son territoire et le dernier voler la promise d'Angus, et qu'Angus était l'Ecosse en ce moment sublime d'exaltation.

Charles, lui, plus artiste, commençait déjà à composer, en parallèle, la musique de la messe de son mariage avec Virginia et celle de l'enterrement de Célème.

Arthur, pour sa part, se sentait un peu dans la peau d'une tour de siège, ses sens à l'affût étant les soldats et ses pieds les roues qui l'amènerait aux remparts à démolir - à Ceilème. Avec cette inquiétude diffuse qu'il y avait une sorte de sombre fatalité qui l'accompagnait et que tout ne finirait pas aussi bien qu'ils l'espéraient.

"Je vais faire diversion, dit Charles, vous deux, éloignez Virginia de lui.

-Qu'est-ce que tu entends par diversion ? s'inquiéta Arthur.

-Arthur, le réprimanda Charles, ce sera une diversion de bon goût, qui ne fera de tort à aucune des personnes présentes. Vous me connaissez, je ne suis pas Angus.

-Eh !" protesta mollement Angus, qui savait toutefois que le reproche était justifié.

Ils reparurent dans la salle deux minutes après l'avoir quittée, mais ce laps de temps, si court fût-il, avait été mis à profit par le Hongrois pour imposer sa compagnie à Virginia. Charles s'éclipsa en direction de l'orchestre et Arthur et Angus se déplacèrent en tenaille vers Virginia et son cavalier.

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