Partie 2

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Va à la recherche de Jacob

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L’action proposée par le Commutateur me soulageait. Bien que l’idée de retourner marcher, dans le froid et le noir de la ville, ne m’enchantais point, j’étais assez lucide pour comprendre que c’était préférable à un affrontement avec ces criminels. Ce n’était pas l’envie qui me manquait… Mais, j’ignorais surtout la portée qu’auraient mes agissements envers un autre groupe que celui à Pittbull. Je ne m’étais jamais mêlé des affaires de Jacob – il m’aurait de toute façon étripé sur le champ – mais je le savais cependant très investit dans l’organisation. C’est d’ailleurs pourquoi il avait réussi, là où tant avaient échoués, à me dénicher un Commutateur. Je m’éloignais de ce carré rouge qui étouffait maintenant même le plus bruyant rire de ses bandits.

L’endroit le plus logique pour espérer retrouver Jacob, ou des traces indiquant sa position, restait son appartement. J’étais loin de mon abri-maison, mais assez près de sa résidence à lui : quelques minutes vers l’ouest de l’île et je verrais poindre le sommet de la tour délabrée qui lui servait de logis. Si tout se passait bien, j’avoue cependant que c’était rarement le cas à Schäfertown, il serait chez lui et j’aurais du même coup un plancher pour m’accueillir le restant de la nuit. Sinon, je pourrais toujours squatter les lieux et repartir à sa recherche demain matin… Pitié, faites qu’il soit chez lui! Emporté dans mes pensées, j’avais refait le trajet à travers le parc de l’ancien hôpital psychiatrique et j’étais à nouveau devant la grille d’entrée. Je tenais toujours le Commutateur dans la paume entrouverte de ma main droite… J’accélérais le pas et dépassais une carcasse d’automobile échouée au coin d’un boulevard. Le retour du vacarme de notre ville maudite chérie me vrilla sur place.

L’odeur rance qui s’échappait des bouches d’égout et le puissant haut le cœur qu’elle suscitait presque inévitablement, m’invitaient à ce lugubre tableau. Un peu partout sur la rue, des hommes, des femmes, des vieillards, presque tous marchait seul, emmitouflés dans des vêtements sales et des chapeaux effilés, qui, tantôt marmonnaient, tantôt criaient des phrases intelligibles, avançaient par pas vif et se cachaient partiellement entre les édifices. Était-il nécessaire de spécifier qu’on évitait donc au mieux leurs regards, de même qu’ils évitaient au mieux les nôtres ? Bien campés à certaines intersections, des vendeurs, eut été mieux de dire des charlatans ambulants, debout, sombre figure immobile derrière un bazar d’objets et de breloques, tentaient de vendre leurs marchandises qu’ils avaient étendues, pour la plupart, sur des tapis ou des bouts de cartons à même le sol. Pour eux, la question du regard était traitée différemment : ils fusillaient chacun des passants. Ils menaçaient ainsi de leurs petits yeux jaunâtres tout autant les voleurs que les clients potentiels… Certains d’entre eux, non moins suspicieux, pouvaient hurler un quelconque rabais ou une aubaine alléchante de temps en temps, en variant les langues ou les tonalités ! Ici et là, provenant de monticules éparses et clignotants, les bribes d’anciennes publicités s’échappaient faiblement des pancartes électroniques, maintenant vandalisées et en morceaux, qui se dressaient autrefois un peu partout aux rebords des trottoirs. Ces brefs sursauts de lumières, faibles et dissonants, étaient les seules sources de clarté qu’offrait la rue aux passants, mise à part les quelques édifices bénéficiant de génératrice autonome. Les amas de fils épais qui jonchaient l’asphalte et le pied des poteaux de téléphone usés, corroboraient mon analyse.

Je regardais, immobile, l’un des poumons de la ville qui paraissait respirer si… péniblement. Son souffle était froid, fétide et circulait par saccade… comme le ferait les toussotements d’un grand malade. Cette artère importante, cette longue rue veineuse se perdant dans l’horizon à laquelle de droite et gauche naissaient de frêles ruelles, survivait à grande peine. J’observais à nouveau, ébahi comme un enfant, ce quartier que je connaissais pourtant par cœur. Était-ce l’acquisition du Commutateur qui me rendait plus léger ? Imprégné de la désolation des lieux, était-ce l’espoir que je croyais éteint pour toujours qui se rallumait par contraste à l’intérieur de moi ? Je chassais ses questions auxquelles seul l’avenir pourrait un jour, peut-être, répondre, et me concentrais plutôt sur ma tâche actuelle ! Je connaissais bien l’endroit et savait que c’était le bar de danseuses non loin d’ici, le Lolita’s, qui se trouvait en dessous de chez Jacob en fait, qui attirait la majorité des individus présents. Peu de plaisirs supplantent ceux de la chair… On devrait donc me laisser relativement tranquille jusqu’à mon arrivé devant le bar, au pied de l’édifice. Je voyais déjà de la lumière clignotée faiblement en provenance de chez mon camarade dont l’édifice surplombait légèrement le pâté de résidences et de boutiques abandonnés. J’enclenchais d’un pas rapide la traversée d’une rue en enfouissant mes mains et du même coup le Commutateur dans mes poches. Personne ne sembla se préoccuper de moi.

À ma droite se dressait un bâtiment que je connaissais bien : le Service de Santé de l’État (un SSE) auquel je devais souvent faire affaire dans le cadre de mon travail. Ses murs vitrés encore intactes laissaient entrevoir une alimentation en électricité, mais surtout, des rangés de médicaments et de comprimés de toute sortes, peu entamé par les voleurs ou les employés du lieu. Si employés il y avait… Ce projet ambitieux avait été mis de l’avant au début du siècle par l’État et avait pour but de créer un commerce où médecins – ici opérées par des machines semi-humes – et des pharmaciens – eux aussi semi-humes ? – devaient se côtoyer au sein d’un même établissement. Cependant, comme l’ensemble des projets enclenchés à l’ouverture de Schäfertown, les constructions s’éternisaient et les infrastructures, à l’image de toutes ces promesses d’une ville moderne et adaptée aux humains, tardaient à voir le jour. De plus, depuis presque une décennie, les humes, qui contrôlent le mercantilisme internationale depuis encore plus longtemps, n’utilisaient plus d’argents et on parlait même de bannir son utilisation… Sauf à Schäfertown. Ici, l’argent était, et serait, pour encore longtemps, reine et souveraine chez les hommes. L’argent, le sexe et les drogues bien sûr. Tout cela venait inévitablement de pair avec l’argent…

Je ne pus m’empêcher d’arrêter mes pas. Je me collais à la vitre du SSE… Ces centaines de bouteilles, solidement à l’abri sur les étagères d’un établissement fédéral, recelaient dans leurs contenants de diverses formes, couleurs et matériaux, une quantité infinie d’expériences… Tant de souvenirs surgissaient à mon esprit.

Tant de sensations à explorer. D’univers à vivre!

Il y avait certainement du Fog

Du Astlat peut-être aussi.

« Si tu sors la langue, peut-être tu vas pouvoir y gouter ha, ha, ha ! » Je n’entendis point la raillerie du passant à mon égard.

J’avais oublié le Commutateur.

J’avais oublié Jacob.

J’avais tout oublié.

Un mouvement soudain me tira enfin de mes fabulations.

Une personne se faufilait difficilement entre deux étagères de l’autre côté de la vitre, devant moi. Elle semblait tenir quelque chose d’enroulé dans ses vêtements et collé contre sa poitrine. Son large fardeau gênait ses déplacements et la mettait excessivement à la merci des regards extérieurs… Je reculais prestement et reprit d’un pas hésitant mon chemin! Cette personne ne se ferait pas remarquer par ma faute, ça non. L’une des premières choses qu’on apprenait en arrivant ici c’était : mind you’re own business ! Et les moins optimistes ajoutaient à cet adage : or get fucked. Je faisais justement partit de ces derniers. Je chassais tant bien que mal de mon esprit le SSE et son trésor de plaisirs… et, obéissant au sage conseil, je bifurquais aussitôt dans une ruelle qui, me semblait-il, menait presque directement devant le Lolita’s. Là où j’espérais trouver une ruelle déserte, je débouchais plutôt devant un petit groupe compact agenouillé face au mur de ce qui semblait être leur temple. Ils étaient recroquevillés sur des bancs de prières, devant une ligne de lampions à l’effigie de saints variés, et se recueillaient en silence. Devant eux, il n’y avait qu’une porte en bois pourrîtes et pour seul ornement, juste au-dessus d’eux, une fine croix en argent. Elle, était immaculée de propreté.

Loin d’être dérangés, les hommes et les femmes, les uns après les autres, tournèrent leurs têtes rasées et me présentèrent leurs sourires ravies.

- Nous voilà béni par la Providence !

- Moi. Moi!

- Serait-il l’un des nôtres…?

- Nous pourrons entrer alors…

Chacun marmonnait pour soi, mais aussi à l’attention de tous. Puis à l’unisson, tous les huit s’exclamèrent : « Louez soit le Seigneur ! » et sortirent d’un même mouvement divers supports leur permettant d’écrire. Certains avaient des tablettes et tapaient directement l’écran de leurs doigts, mais la plupart écrivaient dans des carnets ou à l’endos de feuilles brouillons qu’ils fourraient alors sans cérémonie entre les plis de leurs toges crasseuses celle-ci aussitôt remplies. Un peu en retrait, l’une des disciplines, la plus vieille si je me fiais à son visage profondément ridés et à sa soutane en lambeaux, s’était emparés d’un tuyau de métal aiguisé en pointe et gravait directement le trottoir en frappant d’une vieille brique son pique de fortune… L’asphalte autour d’elle, sur presque deux mètres, était incrusté de ses minuscules caractères rassemblés en phrases, prières et psaumes. Après avoir ajouté quelques mots, elle jeta ses outils par terre et, écartant le groupe encore occupé à écrire, se rua sur moi. Ses vêtements presque inexistants ne couvraient que très peu son corps pourtant rachitique et je sentais seins et son ventre glacés se frotter contre mes avant-bras dénudés… Elle colla ensuite sa joue putride contre la mienne, ses lèvres à quelques millimètres des miennes, et s’exclama hors d’haleine : « Moi! Moi! Ce sera moi! La prochaine à entrer oui, oui ! Moi. Enfin. Hi! Hi! Hi! Et toi! Toi aussi mon fils. Toi et moi… oui, oui ! » Elle m’agrippa la main et me tira brusquement vers la porte de son temple…

Heureusement, provenant du coin que je venais de tourner, on entendit l’éclat retentissant d’une vitre, suivit du cri aigüe d’une alarme. Cette diversion me permit de me détacher de l’emprise de la religieuse. Avait-on fait une brèche dans le service de santé ? Le bruit semblait provenir de là en tout cas… M’offrait-on une mince fenêtre d’opportunité pour mettre la main sur une quantité considérable de drogues en tout genre ? Mais… et Jacob dans tout ça !?

Aussitôt le Commutateur sortit, mes inquiétudes s’apaisèrent d’un cran.

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A) Suis la femme pour te cacher dans le temple.

B) Retourne t’introduire dans le SSE.

C) Continue jusqu’à chez Jacob.

D) Va te cacher, seul, un peu plus loin.

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