Chapitre XVIII.3

6 minutes de lecture

Pendant tout ce temps, Imalbo était resté dans la ville. Il avait d’abord tenté d’aider les animaux à renverser quelques immeubles en s’occupant de faire sortir les civils, mais cela ne dura pas longtemps. Seuls quatre bâtiments furent ainsi détruits ; pourtant ce n’était pas rien, car le Réseau ne devait pas s’attendre à cela, et ses communications furent certainement à nouveau perturbées. Puis, il tenta d’alerter les peuples de l’espace de ce qui se passait sur Terre, et ce fut loin d’être facile.

Maintenant, Imalbo explorait l’immense cité en ruine. Il voyageait en compagnie de Kryël et du second lion noir ; Kryël consentait même à parler de temps à autre pour qu’il se sente moins seul. Et à eux trois, ils préparaient le terrain. Pendant que Féhna et Io s’amusaient (soit, ils exploraient la périphérie, mais bon…), Imalbo nettoyait les derniers groupes de robots pour faciliter au maximum le travail des animaux en cas d’attaque massive du Réseau, et aussi pour rallier toutes les chances de leur côté quand l’heure serait venue de tenter de convaincre les humains : c’est-à-dire dès que ses amis seraient rentrés. Ils s’étaient donnés rendez-vous, et communiquaient régulièrement par l’intermédiaire de son bloc-poignet. Ces communications avaient été coupées depuis quelque temps ; néanmoins il ne s’en inquiétait pas, car leur dernier message indiquait que tout allait pour le mieux. Féhna avait en plus réussi à lui faire parvenir un court message écrit pour le prévenir qu’ils seraient bien au rendez-vous.

Ce rendez-vous avait été fixé dans un quartier de la ville encore à moitié debout, mais plutôt désert. L’endroit avait été choisi de façon à être situé approximativement à égale distance des lieux où ils pensaient qu’ils se trouveraient alors ; les deux lions devaient y arriver dans deux jours, à midi.

Imalbo passa un jour à se reposer dans la forêt : il allait falloir être en forme.

Le lendemain, le jour du rendez-vous, il se leva très tôt et appela son lion ; ils voyagèrent pendant de longues heures à travers la ville. Ils n’étaient pas très loin cependant, et ils arrivèrent avec une bonne avance.

Quand ils avaient convenu de l’endroit, celui-ci baignait déjà dans une atmosphère qui n’était plus du tout celle d’une grande cité ; maintenant, il était étrange, pas vraiment inquiétant, mais… bizarre, irréel.

C’était une sorte de plate-forme située à une dizaine de mètres du sol. Elle était assez grande, peut-être cinquante mètres sur cent, et située dans un des rares espaces « aérés » de la ville, c’est-à-dire un endroit où les immeubles restaient assez espacés, la plate-forme étant installée dans un vaste disque vide de tout bâtiment.

Elle était destinée à regrouper les Citoyens autour d’une manifestation, d’un concert, d’une séance de télé en plein air… C’était un endroit où le Réseau pouvait placer ce qu’il voulait de manière à pouvoir le faire voir par un grand nombre de personnes. Ainsi, tout autour de la plate-forme il y avait un grand système de routes, de chemins, ainsi que de vastes pelouses et plusieurs rangées de sièges et de bancs.

Mais maintenant, le paysage avait bien changé. Si autrefois il y avait déjà relativement peu d’immeubles aux alentours, beaucoup avaient été détruits : ainsi du haut de la plate-forme pouvait–on réellement voir très loin, mais c’était un panorama sinistre. Car si les immeubles étaient tombés, la forêt en revanche n’avait pas encore pu prendre leur place, si bien que les ruines s’amoncelaient à perte de vue aux alentours. Mais c’étaient des ruines qui étaient loin de retourner à la poussière : simplement des fragments d’immeubles, des étages, des bureaux, séparés les uns des autres et posés à terre, et dont beaucoup étaient encore fonctionnels.

Bien que la matinée touchât à sa fin, l’endroit était assez sombre, car des immeubles immenses étaient encore debout, et projetaient leurs ombres sur des surfaces gigantesques. En outre, les lampadaires et tout ce qui servait à éclairer les rues avaient été proprement déchiquetés ; si bien que, comme certains bureaux déchus étaient encore alimentés en électricité et que donc il y avait de la lumière dans certaines ruines, vu de loin, du haut de la plate-forme, c’était comme une myriade de paires d’yeux luisant à travers la pénombre, des ruines vivantes puisque éclairées mais mortes par leur état, une zone où les fantômes de béton attendaient leur vraie mort en observant les humains avec leurs sentiments incompris.

Ce fut sur cet observatoire de l’au-delà qu’attendit Imalbo, pendant une heure. Il attendit avec patience, certain de la ponctualité de ses amis, et parlait avec Kryël qui l’écoutait sans rien dire, comme à son habitude.

A midi, Imalbo se leva, et scruta l’horizon. Comme prévu, un lion géant courait au loin, et n’allait pas tarder à arriver ; il y avait du monde sur son dos. Enfin, ils allaient se retrouver, et enfin ils allaient tenter de mettre un terme définitif à la tyrannie du Réseau ! Ils allaient avoir beaucoup de boulot, mais la seule perspective de ce travail emplissait Imalbo de force et de joie.

Le lion noir se rapprocha. Imalbo sortit des jumelles de sa poche et les braqua sur l’animal. Mais ô surprise ! Il n’y avait qu’une seule silhouette sur le dos du fauve, un seul humain, avec une armure impressionnante : c’était Io. Où diable était donc Féhna ? Io n’aurait jamais permis qu’il lui arrive quelque chose, Imalbo savait qu’il se serait donné la mort pour la sauver sans réfléchir une seule seconde. Pourquoi alors n’était-elle pas là ?

Le lion noir arriva au pied de la plate-forme. Io semblait en piteux état, plus petit et plus mince dans son armure qu’à l’ordinaire ; Imalbo courut le retrouver.

« Io, que s’est-il passé, hurla-t-il sitôt qu’il put se faire entendre. Où est Féhna ? »

A ses paroles, la silhouette qui se tenait aux côtés du lion ôta son casque, d’où s’échappa une cascade de cheveux blonds. C’était la jeune femme ! Revêtue de l’armure de Io, qui s’était automatiquement ajustée à sa taille du mieux qu’elle avait pu.

Elle marcha lentement vers Imalbo, que la surprise avait cloué sur place.

« Io est mort », articula-t-elle. Elle avait une voix grave, sans émotion, qui fit tout de suite comprendre à Imalbo qu’elle avait pleuré jusqu’à ce que toute son âme soit sèche, et jusqu’à ce que toutes les larmes versées aient laissé la place à une détermination implacable qui seule lui permettait de continuer à vivre.

« Mort… » Imalbo n’en croyait pas ses oreilles. « Mais pourquoi ? Comment ?

— C’est arrivé il y a quatre jours, expliqua lentement Féhna. Nous étions au bord d’un ruisseau, dans une étroite vallée perdue au milieu de la forêt, et puis… il est mort. Comme ça, sans que rien auparavant n'ait pu laisser présager une chose pareille.

— Mais alors…

— C’est le Réseau qui l’a tué. »

Imalbo voulut s’asseoir, tant la douleur et la rage étaient fortes, mais Féhna le retint.

« Le temps des pleurs n’est pas encore venu, dit-elle en regardant son ami droit dans les yeux, d’un regard auquel nul ne pouvait s’opposer. D’abord, nous devons venger Io.

— Le Réseau n’a-t-il pas gagné en le tuant ? murmura Imalbo en serrant les dents.

— Jamais. Io savait comment convaincre les Citoyens de se retourner contre lui. Nous allons appliquer son plan, et le venger pour toujours.

— Mais pourquoi ne m’a-t-il rien dit de cela, de ce plan ? Imalbo ne comprenait pas comment son ami avait pu lui cacher quelque chose d’aussi important.

— Tu comprendras le moment venu. Nous n’avons pas de temps à perdre. »

Rapidement, ils mirent en commun les informations qu’ils avaient récoltées au cours des derniers jours. De celles de Féhna, ils comprirent la nécessité absolue d’agir au plus vite ; quant à Imalbo, il avait toutes les données qu’il leur fallait pour exécuter le plan de Io.

Ils firent quelques cartes, que Féhna enregistra avec l’ordinateur du casque de son armure (Io lui avait appris à s’en servir avant de mourir), repérèrent avec précision les places qu’il leur faudrait investir, et mirent sur pied un plan d’attaque. Puis, très peu de temps après l’arrivée de Féhna, ils repartirent, chacun sur un lion noir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Kasei ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0