Chapitre XVII.1

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Le moment était venu de quitter les elfes. D’abord, parce qu’Imalbo était impatient de voir comment se débrouillaient les animaux, et ensuite parce que Féhna, qui avait enfin retrouvé quelque gaieté, ne pouvait plus vivre loin du soleil.

« Nous nous renseignerons pour savoir quand les humains seront redevenus sages, leur avait dit Frix Valor avant de les quitter, et quand ils mériteront l’accès à la bibliothèque. Pour le moment, je ne pense pas qu’ils soient assez intelligents pour comprendre l’utilité des livres, et tant que leur naïveté sera aussi grande, ils seront la proie du Réseau, et nous avec. Mais vous, vous serez toujours les bienvenus en ces lieux. Jamais les elfes ne vous oublieront ! »

Les humains se trouvaient maintenant dans le grand parking souterrain sur lequel débouchaient les galeries. Mais ô surprise ! Il était en ruine. Les piliers de béton et de métal qui soutenaient les différents niveaux étaient pour la plupart brisés en deux, et ils s’aperçurent que les trois sous-sols les plus proches de la surface s’étaient complètement affaissés. Ils durent donc se frayer un chemin à travers les débris de pierre et les amas de béton ; Imalbo et Féhna découpant les plus gros blocs au laser, et Io les portant derrière eux. Il prétendait avoir besoin d’un travail physique : il fut pleinement exhaussé.

Puis, enfin, ils percèrent sous l’effondrement jusqu’à la surface. Et là, une autre surprise : de l’eau s’infiltrait entre les pierres. Ils se hâtèrent de dégager les derniers blocs, et se hissèrent hors du parking. Il pleuvait ! Cela n’était pas extraordinaire : les humains connaissaient la pluie évidemment, mais jamais aucun n’en avait senti la moindre goutte lui tomber dessus. Les grandes bâches qui protégeaient les rues des intempéries étaient tombées ! Comment les animaux avaient accompli ce prodige, ils ne le savaient ; mais le résultat était bel et bien là, la ville avait enfin été ouverte aux cieux. La pluie en devenait symbole de victoire, et ils levèrent tous la tête pour laisser ruisseler les fines gouttes d’eau le long de leurs fronts et de leurs sourcils. Seul Kryël préférait abriter son pelage rouge sous les ruines de la cité.

Soudain, hop ! Trois tigres à écailles leur filèrent sous le nez. Les animaux étaient partout, dans le ciel et sur terre ; et la forêt s’était étendue au fur et à mesure de leurs conquêtes.

La ville entière semblait en ruine : les animaux étaient parvenus à abattre des immeubles entiers, et tout ce qui restait de métallique dans les rues, panneaux, bornes, voitures ou lampadaires, tout était tordu, arraché, broyé à coups de dents. Le bitume même se cassait : les dents terribles des animaux n’y avaient pas trouvé prise, mais les grands arbres de la forêt l’avaient attaqué par en dessous avec leurs racines ; et ainsi les routes étaient-elles fissurées tout du long, certaines portions étant carrément retournées, la forêt faisant réapparaître la terre de sous le goudron.

« C’est fantastique ! s’écria Imalbo. Les animaux sont en train de gagner ! Cela fait à peine plus de deux mois que nous les avons laissés, et déjà les changements sont énormes. Même si le Réseau reprenait l’avantage, il lui faudrait des années pour tout reconstruire.

— Sauf que pour lui, les années ne sont rien, remarqua Io. Pour le moment, les animaux ont saccagé une ville, certes. Peut-être même une des villes les plus importantes de la planète. Mais le Réseau occupe le monde entier : il a une infinité d’endroits où il peut construire ses armées de robots.

— C’est pourquoi il faut agir au plus vite. Dès que les animaux auront chassé le Réseau de la ville, il faudra que les humains choisissent leur camp. Et si les humains s’opposent au Réseau, ils gagneront.

— C’est vrai, dit Féhna. Le Réseau, pour dominer, a besoin du soutien naïf de la population. C’est d’ailleurs pourquoi il ne peut bombarder la ville pour se débarrasser des animaux : s’il tue un homme ou une femme, on comprendra qu’il est l’ennemi. Et quand il ne sera plus dans la ville, les habitants seront libres de choisir leur camp, puisqu’il ne pourra plus les influencer.

— Sans doute. Si toute la population s’oppose au Réseau, je ne doute pas qu’elle puisse gagner. Mais la convaincre ne sera pas facile… On a déjà vu à quel point elle était désireuse du confort des illusions du Réseau.

— Peut-être, répondit Imalbo. Mais au moins, je ne pense pas qu’on puisse réunir davantage de moyens pour tenter de la convaincre… Tout raser pour chasser quelques illusions de cerveaux trop peu rodés… Ils auront leur chance, en tout cas.

— J’ai bien été convaincue, moi, ajouta Féhna. Pourquoi pas les autres ? »

La jeune femme était toujours un peu triste ; mais le fardeau qui avait accablé ses épaules semblait plus léger. Io était redevenu presque aussi joyeux et insouciant qu’auparavant, et Féhna semblait avoir accepté son sort et compris comme lui qu’il fallait profiter de la vie. Imalbo ne savait absolument pas quel terrible malheur était venu les trouver dans les souterrains, alors qu’enfin leur amour explosait. Jamais ils ne lui en avaient parlé ; et jamais il ne les avait interrogés, tant il avait craint de les déranger alors qu’ils ne se séparaient pas le plus court instant. Maintenant, il pourrait peut-être demander des explications à Io ; mais ne risquait-il pas de faire ressurgir les douleurs, quand ils semblaient enfin avoir réussi à les oublier ?

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