Chapitre XV.5

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Les humains suivirent son conseil, et laissèrent leur guide dans la bibliothèque ; en chemin, ils rencontrèrent Frix Valor, qui leur confirma que Domious était bien dans le parc.

Ce parc était un endroit véritablement magnifique : les elfes avaient réussi à faire pousser sous terre, grâce à d’étranges lumières artificielles, toutes sortes d’arbres et de plantes, et une pelouse d’un vert épais recouvrait la terre. C’était calme et serein, très beau : on se serait vraiment cru en plein air, tellement la vie était lumineuse.

« Il faudra penser à leur demander d’où ils tirent l'énergie dont ils ont besoin, dit Io. Il doit leur en falloir pas mal pour faire grandir toute cette vie ; mais ils ne peuvent tout de même pas avoir de centrales nucléaires ici, sous terre ?

— Pourquoi vouloir toujours tout savoir ? le taquina Féhna, radieuse. C’est si beau, que demander de plus ? Ici, prenons les choses telles qu’elles sont, pour une fois », ajouta-t-elle avant d’attraper les mains de Io et de tourner autour de lui en une valse folle, riant aux éclats comme pour se faire pardonner de vouloir prendre les choses à la légère.

Le pauvre Io, décidément, avait bien du mal à détacher ses pensées de toutes ces couleurs, cette écarlate volant dans les airs, ce vert et ce bleu… Heureusement, l’aura puissante qui émanait de Domious quand il vint vers eux le fit revenir sur terre, une aura dénotant une connaissance et un charisme exceptionnels.

« Les humains auraient-ils un tempérament aussi festif et insouciant que les jeunes elfes ? dit-il en riant à la vue de Féhna. Cela fait plaisir à voir ; mais je pensais que c’étaient de terribles événements qui vous avaient amenés ici ?

— On ne peut tout de même pas toujours s’apitoyer sur son sort, répondit Imalbo. Et puis, ces deux-là sont fous…

— Mais non on n’est pas fous ! Sacahar nous a conseillé de s’adresser à vous avant d’entreprendre nos recherches, dit Io.

— Et comme je vous avais promis que nous viendrions vous entendre conter votre histoire… Nous voici ! lança Féhna.

— Parfait ! s’écria le vieux Domious. Eh bien, mes amis, suivez-moi : je connais dans ce parc en endroit qui est parfait pour y écouter des histoires ! »

Il les emmena le long d'une petite allée de cailloux, sous les grands arbres du parc. L'allée était bordée de massifs floraux gigantesques ; en passant près de l’un d’eux, Io cueillit une superbe fleur rouge qu’il offrit à Féhna pour remplacer celle qu’elle avait la veille dans ses cheveux. Elle l’y plaça en souriant.

Puis ils parvinrent près d’un petit ruisseau scintillant ; des enfants batifolaient dans l’eau, aussi le remontèrent-ils en quête d’un endroit plus tranquille. Ils atteignirent le pied d’un splendide saule pleureur qui étendait son apaisant feuillage par-dessus le ruisseau : ce fut là qu’ils s’installèrent, Domious s’asseyant par terre et les autres autour de lui, avec le petit Kryël sur les genoux de Féhna.

« Un jour, l’homme inventa le livre… commença Domious. Dans le livre, l’homme décrivit ce qu’il voyait, il parla de ses voyages, raconta ses exploits. Petit à petit, à mesure que la civilisation humaine grandissait et que le passé et la culture de l’homme s’amoncelaient, le livre s’imposa pour transmettre la connaissance de génération en génération : il était l’arme contre l’oubli, et ainsi il permit à l’homme de connaître les erreurs et les vertus de ses ancêtres, et à la civilisation humaine de toujours progresser. Puis vint un jour où le livre acquit une ampleur plus grande encore, quand l’homme commença à imaginer ce qu’il écrivait : alors le livre ne se contentait plus de faire connaître leur passé aux nouvelles générations, il permettait aux hommes de se comprendre eux-mêmes et de créer leurs univers. Grâce aux livres, l’homme devint très sage. Puis un jour où l’homme se disait qu’il ferait bien la grasse matinée, bien que ce soit l’heure de récolter le blé mûr, il inventa la puce électronique… »

Ainsi le doyen des elfes raconta-t-il aux humains qui l’entouraient comment son peuple fut créé, pour protéger les livres de la puissance croissante du monde informatique. Imalbo avait sorti un carnet sur lequel il prenait beaucoup de notes pour leurs recherches à venir ; tandis que Io et Féhna écoutaient confortablement assis dans l’herbe, appuyés sur leurs mains derrière leurs dos. Domious parla pendant des heures ; c’était un conteur formidable, épatant, et jamais les humains ne se lassaient de l’écouter, même si Féhna sembla au fil du temps avoir de plus en plus de mal à rester dans la même position plus de dix minutes.

« … et les elfes habitent ici depuis très longtemps maintenant, finit Domious. Il y même certains cas chez qui on a vu apparaître une sorte d’horloge interne qui leur indique toujours, avec une grande précision, le moment où le repas attend. Debout ! »

Ils suivirent ainsi Domious jusqu’à la grande salle dans laquelle, la plupart du temps, tous les elfes se réunissaient pour dîner. Le matin et à midi, chacun mangeait chez soi, mais le soir ils aimaient être tous ensemble. Pas absolument tous les elfes parmi les milliers qui vivaient sous terre, évidemment, sans quoi les pauvres cuisiniers ne reverraient jamais le matin, mais un très grand nombre en tout cas parmi les adultes. Ces repas étaient pris à l’étage des fêtes, où l’on dressait un nombre impressionnant de tables gigantesques, et ce dans plusieurs salles.

Frix Valor les pria de se joindre à lui : plaçant ses invités, il installa Féhna entre lui et Imalbo, tandis qu’il avait Io en face. Domious, qui était en train de parler à l’homme, s’assit à ses côtés.

Le repas fut excellent, et la conversation fort intéressante : Domious ne cessait de taquiner son chef au sujet de sa jeunesse, disant que si les vieux n’étaient pas aussi fainéants, la communauté serait bien mieux gérée ; il se lamentait sur cette faiblesse des anciens de toujours déléguer le pouvoir à d’autres, trop inexpérimentés. Et ainsi, il s’ensuivit un échange de points de vue passionnant entre Frix et le doyen, ce qui permit aux humains de mieux comprendre comment s’organisait la vie souterraine des elfes.

Les elfes aussi les interrogeaient fréquemment, leur demandant des détails sur la vie à la surface, et sur le combat qu’ils menaient. Io leur répondit du mieux qu’il put, mais il sentait toujours son regard attiré par la silhouette rouge, de l’autre côté de la table, qu’il aurait aimé savoir plus près de lui, et il devait se concentrer pour regarder son interlocuteur en face.

Quand ils eurent fini de manger, ils se levèrent tous, mais beaucoup d’elfes restèrent dans la salle pour continuer à bavarder avec leurs visiteurs. En fait, si Frix Valor n’avait répété sa position, et ne leur avait fait comprendre la nécessité pour eux de rester ici pour mener à bien leur devoir, une multitude de jeunes elfes serait allés combattre avec Io et Imalbo lors de leur retour sous le soleil. Mais même les jeunes étaient sages quand il le fallait, et savaient reconnaître la raison dans les propos de leur chef.

Puis ces jeunes elfes allèrent se coucher, laissant leurs trois invités en compagnie de quelques anciens. Imalbo proposa alors de débuter leurs recherches sans plus tarder, ce à quoi les deux autres acquiescèrent avec enthousiasme. Sacahar était parmi les anciens encore présents, et il se leva pour les accompagner à la bibliothèque.

« N’ayez surtout pas crainte de me priver de mon sommeil : j’ai l’habitude de passer mes nuits à la bibliothèque, quitte à dormir toute la journée suivante. D’ailleurs, ces recherches ne pourront être que passionnantes : car si nous connaissons tous à peu près notre histoire, et pourquoi nous avons été créés ainsi que cette bibliothèque, vous trouverez certainement des détails qui ont échappé à d’autres, et peut-être que ce sera enfin l’occasion de regrouper précisément toutes les histoires qui aboutissent à la vôtre. Je ne désespère pas de voir là pour nos historiens matière à l’élaboration d’un ouvrage supplémentaire. »

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