Chapitre XV.2

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C’est ainsi que les elfes (c’est ainsi qu’ils se désignaient) les emmenèrent par-delà la porte. Le chef paraissait à présent presque confiant, mais les autres n’avaient pas encore rangé leurs armes, et Io vit qu’ils se tenaient tous prêts à passer à l’attaque au moindre geste suspect.

« C’est ici que vous vivez ? s’enquit Féhna. Comment pouvez-vous survivre sous la surface ? Et pourquoi…

— Désolé, madame, la coupa le chef des elfes, pour le moment c’est moi qui pose les questions. » Il se tourna vers les deux hommes. « C’est vous qui avez tué le gardien, n’est-ce pas ? Je vous reconnais. Inutile de vous dire que vous n’avez aucun intérêt à vous servir de vos armes ici : même si nos équipements vous semblent précaires, nous sommes beaucoup plus entraînés, et bien plus nombreux, que vous ne pourriez le supposer. Maintenant, racontez-moi ce que vous faites ici. Et n’omettez aucun détail : c’est selon votre récit que nous déciderons si vous avez le droit ou non de venir jusqu’ici, et si vous devez vivre ou mourir. »

Io raconta donc une nouvelle fois son histoire. Contrairement à Féhna lors du voyage, les elfes le laissèrent parler sans jamais l’interrompre, et c’est dans un silence quasi religieux qu’il discourut. Imalbo s’aperçut qu’il ne parlait ni de l’énigmatique Message ni des motifs de sa rébellion, mais à part cela il ne laissa rien de côté. Quoi qu’il fut aussi assez pudique et discret envers ses sentiments pour Féhna, mais il ne pensait pas que les elfes les jugeraient là-dessus.

D’ailleurs, cela ne semblait pas les surprendre ou les intéresser ; peut-être certains souriaient-ils en coin en les regardant ? Mais en revanche, ils étaient extrêmement attentifs à tout ce qui concernait le Réseau. Imalbo se joignit alors à Io pour leur expliquer ce qu’ils avaient découvert, et même Féhna apporta son point de vue, ses doutes et ses craintes. Io tentait de rester le plus objectif possible, mais quand il eut fini Imalbo parla avec fougue du projet de l’immeuble, essayant de rallier les elfes à cette grande cause ; il leur montrait Kryël et tentait de leur expliquer ce qui allait être possible si tous les êtres vivants décidaient enfin de s’unir contre la tyrannie du Réseau. Quand il eut fini, le chef des elfes fit un pas en avant :

« Nous allons maintenant nous retirer, les autres sages et moi, pour décider de votre sort. Mais ne vous en faites pas trop, pour moi vous m’avez convaincu. »

Il s’éloigna ensuite avec quelques autres, et les humains les perdirent de vue. Malgré les paroles rassurantes du chef, les autres elfes se rapprochèrent insensiblement, sans desserrer les doigts des poignées ou des crosses de leurs armes. Ils ressemblaient beaucoup à leur chef, même s’ils étaient moins impressionnants : d’une grande beauté, petits mais minces, tous avec de long cheveux et un visage qui était presque enfantin même s’ils restaient très sévères et dignes.

« Vous ne trouvez pas cela bizarre, qu’ils parlent la même langue que nous ? chuchota Io. Même s’ils sont descendus sous terre durant l’ancienne civilisation, il paraît qu’à cette époque il y avait des dizaines de langues différentes sur la planète.

— Ils ont un fort accent, mais savent parfaitement se faire comprendre, remarqua Féhna. Il faudrait leur demander. »

Mais aucun des gardes les entourant ne semblait disposé à engager la conversation, même s’ils semblaient les comprendre. Les humains attendirent donc leur verdict en silence ; Kryël s’était posé sur l’épaule de Féhna et la jeune femme le caressait doucement.

Puis le chef des elfes revint. Il s’éclaircit la gorge et parla de sa voie claire :

« Voici ce que nous avons décidé : nous ne vous aiderons pas à combattre. Les elfes resteront sous terre pour le moment…

— Oh ! soupirèrent les humains.

— … mais nous nous mettons à votre entière disposition pour ce qui est des réponses que vous êtes venus chercher. Tant que nous n’aurons pas à remonter à la surface, nous ferons tout pour vous aider.

— Ah ! fit Imalbo. Mais comment ? Que pouvons-nous faire sous terre ?

— C’est vrai, dit Féhna, nous ne pouvons agir en restant renfermés ici. D’ailleurs, pourquoi ne voulez-vous pas sortir ? Vous n’aimez peut-être pas la Société, mais l’air y est quand même meilleur qu’ici…

— Si nous ne voulons pas sortir, répondit l’elfe, c’est parce que c’est notre devoir que de rester ici, pour protéger ces lieux. En dessous de nous, au cœur de l’immense réseau des galeries que vos pieds ont foulées, fut construite la plus gigantesque des bibliothèques. Rien de ce que vous pouvez connaître : il n’y a aucun ordinateur ici. En revanche, il y a des milliers et des milliers de livres, dont nous sommes les fiers gardiens. Je sais que dans votre Société, pratiquement tous les livres ont été bannis ; mais un livre est un objet infiniment précieux auquel on peut faire confiance : aucun Réseau n’est venu ici modifier ces inestimables témoignages du passé.

— C’est cela alors que gardait le monstre à l’entrée ? demanda Imalbo.

— Oui ; mais il n’était qu’une protection parmi bien d’autres. Nous seuls décidons qui peut avoir accès aux livres…

— Mais c’est fantastique ! s’écria Io. Nous pourrons certainement retrouver comment le Réseau est apparu, comment la Société s’est formée, et pourquoi les humains se sont laissés faire…

— Du calme ! l’interrompit l’elfe en souriant. Je ne pense pas que vous soyez si pressés ; la bibliothèque est réellement gigantesque, et même si je vais m’empresser de mettre un de nos experts à votre disposition, vos recherches risquent d’être plutôt longues. Pour le moment, vous êtes nos hôtes : nous allons vous montrer les lieux, et trouver de quoi vous installer confortablement. Du reste, nous connaissons pas mal de choses nous-mêmes : beaucoup d’entre nous lisent les livres, c’est ce qui nous permet de parler suffisamment de langues pour que nous puissions nous comprendre. »

Le chef s’adressa alors à tous les elfes qui étaient présents : « Mes amis ! Ces humains sont nos hôtes, et bien les accueillir fait partie du devoir par lequel nous gardons les précieux livres depuis toujours. Faites-leur donc bon accueil, comme seuls les elfes savent le faire ! »

A ces mots, les créatures jusque-là suspicieuses rangèrent leurs armes, ou les jetèrent derrière elles, et dans un énorme cri d’allégresse ils emportèrent les humains vers une grande salle dans laquelle en un tour de main ils préparèrent une superbe fête, et dressèrent un magnifique banquet, pressant leurs invités de se joindre à eux.

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