Chapitre XV.3

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La fête dura jusque tard dans la nuit, même si sous les lumières des souterrains (des torches la plupart du temps, non par économie d’énergie, mais parce que c’était ce que les elfes préféraient) il était difficile de distinguer les limites du jour. Le festin était somptueux, mais Io mangea peu : il avait décidé de danser avec Féhna jusqu’à la fin de ses jours.

Elle avait changé ses habits noirs, qu’elle avait abîmés le long du chemin en raclant son pantalon contre les pierres des galeries, pour une splendide robe que lui avait prêté les elfes. Sans doute était-ce une robe faite pour une humaine, ou une très grande elfe, mais quoi qu’il en soit elle lui seyait à merveille : d’un rouge éclatant, elle descendait jusqu’à ses chevilles où elle était suffisamment large pour tourner infiniment, en dansant dans le tourbillon du feu des dorures dont elle était brodée. L’or dessinait des motifs discrets mais compliqués, qui venaient entourer les belles épaules dénudées avant de retomber dans le dos pour souligner un soleil magnifique découpé dans le tissu, et donc de la fraîcheur et de l’éclat même de la peau vivant sous l’or. Les poignets délicats et les mains de Féhna étaient habillés de fins gants de velours noir qui remontaient jusqu’aux coudes, en laissant la paume et les doigts nus, sans bagues ni artifices. Elle n’avait pas maquillé son doux visage, sachant sans doute combien cela eut été inutile, et avait ôté son bandeau, laissant ses cheveux sauvages et uniquement ornés d’une grosse fleur rouge, éclatante comme la robe, qui provenait comme un miracle de ces souterrains stériles, et répandait un parfum enivrant.

Et ainsi Io tenait-il les mains de la plus belle des merveilles de tout un monde, quand il la faisait danser aux rythmes fous de la musique des elfes. Ces derniers étaient vraiment nombreux, et savaient faire la fête : ils se relayaient sans arrêt derrière leurs antiques instruments, si bien que jamais les mélodies entraînantes ne se fatiguaient, et ils allaient chanter des chœurs puissants quand ils ne travaillaient pas aux cuisines (ils étaient très gourmands pour leur petite taille) avant de revenir danser. Il y avait autant de mâles que de femelles, mais ils étaient peu à danser en couple, préférant les immenses farandoles où ils s’amusaient comme des fous, entraînant Imalbo qui ne regretta jamais de ne pas avoir de cavalière aussi grande que lui. Mais Io et Féhna dansaient ensemble, jusqu’à l’épuisement. Alors ils se reposaient au buffet quelques instants avant de repartir tournoyer tous les deux sur le parquet lisse de l’immense salle.

Ni l’un ni l’autre ne savaient danser, d’ailleurs : la Société réservait généralement cela à des danseurs professionnels. Mais ils s’en moquaient éperdument, et puis ils trouvaient qu’ils ne se débrouillaient pas trop mal, tant ils prenaient plaisir à être ensemble, et à s’amuser. Io ne savait pas si Féhna ressentait quoi que ce soit pour lui, mais elle était heureuse ; et lui, qui aurait pu atteindre le septième ciel rien qu’en effleurant le bout de ses doigts, il pensait qu’il pourrait stopper le temps, et toujours sentir ce corps merveilleux bouger à ses côtés, toujours sentir l’odeur magique de la fleur de ses cheveux, toujours se laisser entraîner par elle sans avoir besoin de se demander où cela l’emmènerait, juste suivre ses mains et ses mouvements, et répondre de la même façon, et toujours avoir en face de lui l’éclatante blancheur de ses dents constamment découvertes par un rire qui ne pouvait prendre fin, alors qu’elle virevoltait comme elle ne l’avait fait dans aucun jeu d’enfants.

Souvent des elfes s’asseyaient autour d’eux pour observer l’étrange marathon auquel se livraient les deux humains : ils battaient des mains et chantaient pour qu’ils ne s’arrêtent jamais. L’écarlate volait au-dessus du sol ; les rythmes ne faisaient plus qu’accélérer à présent, les mains battaient la mesure de plus en plus vite. Les mélodies s’élevaient avec les danseurs, et même Imalbo vint assister au moment final où, dans un accord resplendissant, la musique cessa, et où Io et Féhna s’arrêtèrent enfin, cherchèrent un siège, chancelants, n’en trouvèrent pas, et s’affalèrent sur un tas d’épais coussins parmi lesquels ils sombrèrent sur-le-champ dans un sommeil si profond qu’il était difficile d’imaginer qu’ils pourraient en ressortir un jour. Nul n’osa plus faire de bruit.

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