Chapitre XIII.6

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— Et qu’as-tu trouvé, alors ? demanda Io, brûlant d’excitation.

— Eh bien, rien, fit Imalbo. Rien non plus dans cette partie du Réseau. C’est à croire qu’il ne possède pas les données relatives à son propre passé ! De cela je doute fort, cependant : mais comme je te l’ai dit, il sait si bien s’adapter, et adapter sa sécurité aux menaces qui peuvent courir, qu’il faut abandonner tout espoir de trouver des réponses dans cette voie. Il faudra autre chose.

­— Tous ces dangers pour rien, alors, se lamenta Io. Et dire que tu as failli y rester…

— Tu oublies quand même que j’ai trouvé de quoi te libérer ! Sans cela, tu serais mort à l’heure qu’il est. Mais rassure-toi : tout cela ne fut pas totalement vain. Je t’ai dit que j’avais récupéré quelques plans, quelques idées du Réseau, et dans cette dernière zone de données que j’ai explorée si méticuleusement, j’ai quand même récupéré quelques trucs. Des trucs importants, en plus, mais pas de nature à te faire plaisir, je le crains.

— Dis toujours, fit Io. Peut-être au final aurons-nous un élément de réponse, aussi faible soit-il.

— Commençons donc par les projets du Réseau : je crois qu’il prévoit quelque chose en rapport avec l’espace. J’ai peur qu’il ne parvienne à faire en sorte que la Terre ne soit plus qu’un grain de sable au sein d’un système infiniment plus vaste, entièrement soumis par ce monde virtuel, et dans lequel les humains compteraient encore moins. Hélas, je n’ai rien pu obtenir de précis. Par contre, je connais un projet bien plus immédiat, et qui nous préoccupera beaucoup plus : les abeilles vont revenir en nombre. Il semblerait qu’elles aient été temporairement retirées de la circulation pour être modifiées, pour se voir donner de nouvelles directives… Je ne suis pas sûr de comprendre pourquoi elles n’ont pas été simplement remplacées : on pourrait très bien fabriquer en grande quantité d’autres êtres pour tout surveiller… Quoi qu’il en soit, elles vont revenir ! Mais elles ne seront plus cantonnées dans les bâtiments : toutes les ruches qui se trouvaient habituellement dans les halls d’entrée ont été détruites. Dorénavant, les abeilles iront absolument partout, et beaucoup d’entre elles seront dans la rue, à de nombreuses altitudes différentes. On a renforcé leur coordination, si bien qu’entre le moment où elles auront repéré quelque chose et celui où elles agiront, personne n’aura le temps de cligner des yeux ! Et elles pourront suivre leurs cibles sur des kilomètres, même s’il leur en faudra bien moins pour les rejoindre ! Tu ne l’as pas remarqué parce que nous avons réussi à rentrer au bercail par mes entrées secrètes dans les égouts, mais si nous étions passés par la surface, tu les aurais vues : elles avaient déjà commencé à revenir quand je suis sorti voir le Réseau, mais hier elles sont revenues en nombre vraiment conséquent, alors que ton exécution se déroulait. Et d’autres ne vont pas tarder, même si apparemment la fin de ta vie devait constituer le point culminant de leur remise en service.

— Mais tout espoir est perdu ! s’exclama Io. Comment faire quoi que ce soit sans gagner la surface ?

— Rassure-toi, leur règne ne sera pas éternel, si tout se passe bien ! le calma Imalbo. Nous avons un plan, avec l’immeuble, et toute la forêt que nous avons élaborée en fait partie. Mais je te montrerai comment tout à l’heure.

— Eh bien, puisqu’il me reste encore à patienter, quelles sont les autres nouvelles qui ne doivent pas me plaire ?

— J’y viens. J’ai en partie accédé aux données décrivant la manière dont le Réseau s’assurait le contrôle des humains, et c’est plutôt désespéré ! Pendant longtemps tu as d’ailleurs participé toi-même à cet immense programme : car c’est bien par la publicité que le Réseau vous contrôle. Rappelle-toi : tu te contentais de recevoir un ordre, et tu produisais la publicité adéquate pour que les foules agissent conformément aux directives reçues. Cet art pervers de la publicité a en effet été porté à une maîtrise telle que tout y a été réuni pour que les humains soient les plus réceptifs possible au message porté ! Regarde comment la pub est omniprésente dans la Société : on la trouve partout, ton ancien appartement en regorgeait, et encore ce n’était pas le pire ! Imagine-toi alors de quel pouvoir dispose le Réseau, s’il est à l’origine de chacun des messages apportés ! Plus effrayé encore seras-tu quand tu apprendras que même à travers des publicités vestimentaires, ou pour une simple paire de chaussures, il parvient à faire passer des messages politiques. Si jamais les humains se rendaient compte du mal de tous les programmes de propagande officiels, s’ils bouchaient enfin, comme tu l’as fait, tous les écouteurs qui jours et nuits emplissent leurs pauvres crânes de slogans et de fausses idées, même alors le Réseau les contrôlerait toujours.

— Nom de Dieu ! C’est pourtant bien ainsi que j’ai agi : je n’avais vu le mal que dans les haut-parleurs diffuseurs de slogans, jamais ailleurs ! Certes je me suis demandé si nous n’avions pas tendance à trop regarder la télé, mais de là à m’imaginer que par cette attitude de totale réceptivité nous nous soumettions entièrement à une entité dont nous soupçonnions à peine l’existence...

— Eh oui ! Bon, maintenant, voici la vraie mauvaise nouvelle…

— Comment ?! sursauta Io. Tu plaisantes !

— Malheureusement, non, répondit tristement l’homme en noir. Et c’est toujours en rapport avec la mainmise du Réseau sur les cerveaux humains, sauf que cette fois tu es encore plus concerné. Tu m’as souvent fait part de la façon assez tragique dont tes rêves s’évaporaient irrépressiblement quand survenait le réveil… Il faut d’ailleurs que je t’avoue que, cette nuit, à ton insu, nous avons capté tes rêves. Pour ton bien, j’entends, car nous devions comprendre tes mystérieux comportements, notamment au sujet de Féhna. Tu as rêvé d’elle, évidemment… Et tes rêves sont merveilleux ! Tu pensais qu’à chaque réveil c’était quantité de trésors qui disparaissaient, qu’on te privait des souvenirs d’une vie bien mieux remplie que ton existence réelle. Eh bien tout cela est vrai, tes rêves, tous les rêves, sont immensément enrichissants. Maintenant, ce qu’il faut que tu saches, c’est que cet oubli quotidien des rêves de la nuit passée, tu le partages avec tous les autres humains.

— Cela, je pensais bien le savoir, même si à l’époque je m’en souciais somme toute assez peu. Mais comment le Réseau peut-il donc nous contrôler via nos rêves, si nous les oublions ?

— Le Réseau n’a aucun contrôle sur tes rêves eux-mêmes, heureusement ! Mais il n’aimait pas trop voir les humains rêver : en effet, s’ils pensaient ainsi à des mondes meilleurs, s’inventaient des vies plus belles, comment maintenir l’illusion d’une Société parfaite ? Alors il chercha à empêcher les humains de rêver. Il fit des recherches pour voir comment cela serait possible… Malheureusement pour lui, il s’aperçut que, privés de leurs rêves, les humains ne parvenaient plus tout à fait à se reposer d’une façon optimale, il leur faudrait dormir plus longtemps ; d’ailleurs, cette faculté de rêver entretenait leur bonheur, renforçant ainsi leurs illusions. Cependant, certains commençaient sérieusement à vouloir rêver éveillés ! Les humains parlaient de leurs rêves entre eux, et cela était dangereux, bien trop dangereux ! C’est alors que le Réseau eut une idée : puisqu’il ne pouvait les empêcher de rêver, il allait trancher là où les bénéfices cédaient la place aux inconvénients : les humains devaient rêver, mais sans parler de ces rêves ? Soit ! Il lança un vaste programme de modification génétique. Cela prit pas mal de temps ; mais pour lui le temps n’est rien. Des milliards d’êtres humains avalèrent les pilules qu’il leur distribua, toutes les naissances furent encore plus rigoureusement contrôlées… Et chaque fœtus opéré dès sa conception, dès les premières cellules. Les générations se succédèrent… Jusqu’à ce que tous les humains possèdent le caractère génétique imposé par le Réseau. Je pense que tu devines de quoi il s’agit.

— Je vais l’exterminer. Le réduire à néant. Maudit soit-il, pour l’éternité ! » Io se contenait avec peine. « C’est diabolique ! Penser qu’à cause d’une simple entité informatique, d’un monde virtuel, nous sommes privés du souvenir de nos plus belles pensées… Combien l’humanité a-t-elle perdu à cause de ce monstrueux Réseau ! Il nous a volé ce qui figurait parmi nos biens les plus précieux… Et je suis bien certain qu’il n’en ressent pas la moindre culpabilité. Si jamais je faiblissais dans ma tâche, si jamais le désespoir s’accablait encore sur moi et que la destruction de ce monstre n’amènerait pas plus de bonheur à Féhna, alors je resterai debout et me battrai encore, car c’est un devoir que je dois accomplir en tant qu’être humain. Je dois venger les miens !

— Et je ferai tout pour t’aider, crois-moi, le soutint Imalbo. Je n’ai pas les mêmes motivations que toi, mais moi non plus je ne faiblirai pas ! »

Les deux hommes s’agrippèrent alors la main, et le regard de l’un plongé dans celui de l’autre, il firent le serment muet de se battre jusqu’à leur mort, et surent combien leurs deux volontés ne reculeraient devant rien, unies telles qu’elles l’étaient. Dans les yeux de l’autre, ils trouvèrent de la force, et tout leur semblait possible, à présent qu’ils avaient imposé à leur destin le chemin qu’il devait prendre.

« Maintenant, reprit Imalbo, brisant le silence, je vais te montrer comment nous allons vaincre. La forêt sera notre alliée ; suis-moi. »

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