Chapitre XIII.7

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Ils quittèrent la chambre de Io, et Imalbo le mena au cœur de l’étrange forêt. La dernière fois que l’humain avait aperçu l’immeuble vierge de toute végétation, il ne restait plus que les murs extérieurs, tout le reste avait disparu et donc il n’y avait plus d’étages. Les planchers n’avaient pas été réinstallés ; cependant les arbres poussaient tels qu’ils formaient une sorte de merveilleuse charpente, et la forêt comportait ainsi un grand nombre de niveaux, l’ascension étant facilitée par certains arbres aux branches comme des échelles. De partout des animaux surgissaient, jouant entre eux à des jeux étranges. Il y en avait de toutes sortes, certains rampant, d’autres volant, beaucoup courant ; tous semblaient parfaitement amicaux, bien que Io soit certain que le plus petit d’entre eux pourrait égorger un humain avant que ce dernier n’ait eu le temps de comprendre. L’endroit regorgeait tellement de vie…

« C’est ici, annonça Imalbo solennellement, que résident tous nos espoirs. En fait, c’est surtout l’immeuble qui est responsable de tout ça : il a fondé son projet bien avant de me concevoir, et je n’ai fait que l’aider au sujet de quelques détails pratiques. Mais de ce projet je connais les moindres détails, et je peux donc maintenant tout t’expliquer.

— Enfin ! Ça m’a quand même fait un choc hier, de voir autant d’arbres…

— A tel point que tu en as rêvé cette nuit d’ailleurs, et en bonne compagnie. Mais soyons brefs ! Les arbres, et toutes les plantes que tu vois ici, ne sont pas très importants. Bien sûr, ils sont conçus pour se reproduire au mieux et envahir le moindre espace qu’ils trouveront libre, mais leur fonction est surtout d’assurer un espace vital suffisamment convivial et protecteur pour les animaux qui bougent autour de nous. Ce sont eux, ces animaux, qui sont au cœur du projet. »

Pendant qu’il parlait, une petite bestiole était venue se loger sur l’épaule de Io et observait les deux bipèdes depuis ce refuge. Un vrai petit diable : son long pelage soyeux était entièrement rouge, et deux ailes lui sortaient du dos, comme les ailes membraneuses d’une chauve-souris rouge en peluche. En plus de ces ailes, il avait quatre pattes, plutôt trapues : petites mais fortes, pourvues de petits coussinets de chat, avec des griffes rétractiles au moyen desquelles il tentait de se maintenir en place sur l’épaule de l’humain, quand sa fine queue terminée par un espèce de pompon rouge ne lui permettait plus de conserver son équilibre. Il était plutôt rond, une vraie boule de poils, avec une grosse tête ronde d’où perçaient, seules taches dans un rouge total, deux yeux jaunes en amandes et les pointes de petites canines blanches coupantes comme des rasoirs. Ces dents d’ailleurs auraient pu le faire paraître effrayant, et ses yeux sans la moindre prunelle parmi tout leur or, terroriser tout être vivant : mais sur l’épaule de Io il ronronnait comme un petit moteur, et était absolument irrésistible. Pourtant, l’humain n’était pas là pour jouer.

« Tous ces animaux, poursuivit Imalbo, ont une même fonction, une même occupation à laquelle ils se livreront avec une joie énorme dès qu’ils en auront l’occasion : ils vont se jeter sur la moindre machine, le moindre robot, le plus petit truc automatisé, et le réduire en pièces ! Il y en a pour tous les goûts, et chaque espèce a une préférence pour un certain type de machines ; mais tous assailliront chaque objet ou être mécanique qu’ils trouveront sur leur chemin ; et dans cette tâche ils seront unis, et par conséquent invulnérables.

— Certainement pas ! fit Io. Ils auront beau être unis, les robots déchargeront quand même leurs lasers sur ces pauvres créatures !

— Peut-être. Sans doute beaucoup de ces animaux vont-ils mourir : mais ils sont tous parfaitement adaptés au combat contre les machines, et sauront très bien éviter les tirs adverses. Leur atout majeur : leurs dents et leurs griffes sont d’une matière absolument incassable, inaltérable, et sont si aiguisées qu’elles peuvent déchirer le métal comme de la chair tendre. C’est la grande fierté de l’immeuble : avoir créé les gênes permettant aux animaux de voir grandir en eux des armes implacables. En outre, dès que la forêt se sera suffisamment développée, ils se reproduiront à vitesse grand V, et fourniront ainsi quantité de nouveaux combattants.

— Qui seront autant de nouveaux jouets pour le Réseau.

— Autant de jouets qu’il ne pourra jamais contrôler. Car tous, sans exception, même la petite boule de fourrure logée sur ton épaule, sont d’une intelligence telle que le Réseau n’en a jamais affronté. Ils sont plus malins que la plupart des humains, et de plus leurs raisonnements en diffèrent tant qu’une fois que le Réseau sera parvenu à les comprendre suffisamment pour pouvoir agir, il sera trop tard, bien trop tard.

— Ainsi, si je comprends bien, nous disposons d’un extraordinaire moyen de renverser le Réseau en supprimant tout état mécanique de la Société ? Mais jamais les humains n’accepteront cela ; ils seront en plus terrorisés par tous ces monstres.

— Au début, peut-être. Mais quand ils commenceront à réfléchir (pour cela il faudra sans doute les aider un peu), ils s’apercevront que ces animaux ne s’attaqueront jamais à la moindre vie organique : même s’ils vouent une haine véritable aux objets de métal et sont pourvus de crocs et de griffes suffisamment aiguisés pour pouvoir mettre un terme au règne des machines, ils sont tout ce qu’il y a de plus végétariens. Ils ne se nourrissent que de la forêt dans laquelle ils naissent, et en dehors du contact d’un quelconque mécanisme artificiel, ils ne manifestent pas la moindre agressivité. D’abord, ils s’assureront qu’ils ne feront de mal à personne, et ensuite ils passeront à l’attaque, s’il n’y a pas de risques. »

Le monstre en peluche sur l’épaule de Io semblait écouter ce qui se disait. Comprenait-il leurs paroles ? En tout cas, il semblait impatient de remplir son rôle, prêt, malgré sa petite taille et son corps de chair vulnérable, à se jeter tête baissée dans une guerre sans merci entre les règnes organique et mécanique.

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