Chapitre XII.7

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La créature respirait effectivement. C’était une bête d’une taille monstrueuse, parfaitement bipède mais certainement pas humaine : son corps, là où il n’était pas recouvert de métal, était parsemé d’une épaisse fourrure couleur de feu, à moins que ce ne soient les reflets des lumières dansantes. De sa gueule casquée dépassaient d’énormes crocs, d’un blanc scintillant ; de ses mains gantées de métal, et de ses pieds chaussés pour le combat, ressortaient des griffes puissantes, prêtes à déchiqueter tout ce qui passerait à portée. Mais si la bête en elle-même était déjà terrifiante, surtout sachant que Io n’avait jamais vu que des humains, et quelques chiens ou chats, son équipement faisait frémir : on aurait dit l’armure gothique d’un magnifique chevalier. Les plaques de métal étaient reluisantes, et en même temps on sentait qu’elles avaient déjà souffert d’innombrables combats ; le casque était orné de cornes spiralées dont l’ancien porteur, s’il existait, devait être au moins aussi terrifiant que le monstre qu’ils avaient devant eux ; et le tout témoignait non seulement d’une solidité et d’une protection remarquable, mais en même temps d’une grande flexibilité, la bête étant largement assez forte pour qu’une telle armure n’entrave aucun de ses mouvements. Parmi tous les reflets qui dansaient sur le métal tels un habit de feux follets des enfers, il en était un qui paraissait fixe tellement il était éclatant : la lame du monstre, une titanesque épée qu’il tenait de la main droite et, pour le moment, qu’il laissait pendre à terre. Prête à se relever, à frapper, et à trancher net.

Et c’est bien ce qui faillit se passer dès que le premier centimètre du pied de Io fut sorti du couloir pour se poser sur le sol chaud de la salle : en un éclair, le monstre souleva son épée ; puis, l’agrippant avec sa deuxième main, il la fit rapidement passer au-dessus de sa tête avant de l’abattre sur Io, avec une dextérité et une énergie prodigieuses. Si Imalbo ne l’avait poussé en avant, juste à temps, Io aurait été proprement coupé en deux, son armure de combat ayant depuis longtemps cessé de le protéger efficacement.

Un terrible combat s’ensuivit alors. Les deux amis se jetèrent chacun sur un côté, et tout en tournant autour de la salle le dos au mur, mitraillèrent la bête de toute la puissance de leurs armes à énergie. Cependant elle ne fit même pas un mouvement pour les arrêter ; et sitôt qu’ils cessèrent leurs tirs pour admirer les dégâts provoqués, elle sauta prestement du sol, absolument indemne, et d’un grand coup vint loger son épée dans le mur au-dessus d’Imalbo ; ce dernier avait évité la décapitation, mais il n’évita pas l’autre patte du monstre, qui vint elle se loger dans son estomac avant de le projeter dans les airs. Imalbo s’écroula lourdement sur le sol sableux, tandis que la bête récupérait son épée incrustée dans la paroi, d’un geste machinal.

Elle aurait découpé Imalbo en pièces, si Io n’était pas intervenu pour sauver son ami évanoui. Son armure de combat ne le protégeait plus, mais elle amplifiait toujours ses mouvements, et alors que leur ennemi levait bien haut son arme tel un implacable bourreau, il lui décocha un coup de pied à travers les mâchoires, l’envoyant bouler au sol.

Io aida Imalbo à se relever, mais il était hors de combat ; du reste, son arme était inefficace, et les coups qu’il aurait pu donner, sans rien pour les amplifier, n’auraient été que des piqûres d’insecte.

L’humain refit donc face à son ennemi, prêt à se battre. Mais la bête était redoutable avec sa lame gigantesque, et Io se rendit vite compte que s’il avait pu atteindre sa tête l’instant auparavant, cela avait uniquement été dû à un moment d’inattention du monstre, alors concentré sur sa victime. Et il ne pouvait se permettre de prendre des risques, sinon son buste pourrait bien se retrouver à jamais séparé de ses jambes, et Imalbo serait alors vraiment mal barré. Même s’il n’était qu’un robot, il était hors de question de l’abandonner.

Le monstre fit soudain mine de lui envoyer un coup dans la tête avec la garde de son épée, puis au dernier moment fit dévier la lame vers la jambe de son adversaire. Io sauta pour éviter le coup, de toute la force de ses jambes survitaminées. Il fit ainsi un magnifique bond dans les airs, rasant de près le plafond incurvé, et fut recueilli avant de toucher sol par le pied de métal du monstre. L’impact lui coupa le souffle, et il ne put éviter l’autre pied, que la bête en tournoyant lui envoya à travers le visage, rendant coup pour coup ce qu’elle avait reçu. Io vint s’encastrer dans la paroi de briques rouges, et n’eut même pas le temps de s’effondrer au sol que son ennemi était sur lui, plaquant son avant-bras gauche contre sa gorge et l’immobilisant ainsi, les pieds dans le vide.

Io, qui étouffait, ne pouvait que regarder l’imposante créature lever bien haut son arme, s’apprêter à lui découper le crâne d’un simple revers du bras, comme on fendrait la tête d’une banane avec un couteau tranchant ; il ne pouvait aussi que croiser le regard du monstre, qui semblait doué d’assez d’intelligence pour savourer la souffrance qu’il allait infliger. Bientôt la fin… Mais au dernier moment le monstre le lâcha soudainement, pressant ses deux mains contre ses yeux, des yeux qu’Imalbo, dans un regain d’énergie inespéré, était parvenu à asperger d’une décharge électrique monstrueuse et précise, frappant ce qui était peut-être bien l’unique point faible de leur adversaire. Et Io, bien que pouvant à peine respirer sous le coup de la douleur endurée par sa gorge meurtrie, ne perdit pas un seul instant : il projeta son pied en plein dans la main droite du monstre, faisant vibrer le gantelet de métal avec un son strident, rejetant l’épée au loin. La bête se tourna prestement pour la récupérer, mais Io fut plus rapide encore et lui faucha les jambes avant de se jeter sur elle, tentant de l’immobiliser à terre.

Les forces en présence étaient colossales. Les deux êtres se tenaient par les bras, l’un cherchant à renverser l’autre, l’autre à l’empêcher de se relever. Et la bête était vraiment très forte, l’armure de métal laissant présager des muscles pareils à d’énormes boulets. L’humain n’aurait pas eu la moindre chance, si ses propres forces n’étaient pas amplifiées ; mais son armure de combat lui permettait de lutter. Cependant, il ne pouvait infliger aucun dommage à son adversaire, trop bien protégé ; il ne pouvait que tenter de tenir. En revanche, à tout moment la bête pourrait le renverser, et lui broyer la gorge d’une seule main, ou lui perforer la tête avec l’une des cornes de son casque.

C’est d’ailleurs ce qu’elle essayait de faire ; et Io en était réduit à tenter de bloquer les énormes cornes avec ses coudes, tenant fermement les poignets du monstre de ses mains, et poussant sur le tout, gardant l’ennemi à terre. Mais lui-même était immobilisé, au moindre mouvement, s’il faiblissait un seul instant, le monstre se dégagerait, et le tuerait.

Pourtant il fut contraint de bouger, car ses forces s’étaient éteintes. Il releva la tête, redressant son buste et s’apprêtant au coup de corne du monstre. Qui ne vint pas, car dès qu’il se fut relevé, dégageant la tête monstrueuse, Imalbo abaissa ses bras de toutes ses forces, enfonçant l’épée récupérée de cinquante centimètres au moins dans le sol. Et entre deux yeux de braise.

La bête eut un dernier soubresaut, qui éjecta Io, puis mourut.

Dans une salle de briques ocres rougeoyant sous la lumière des torches, trois silhouettes étaient allongées sur le sol sableux ; les deux survivants étaient à bout de forces, et respiraient bruyamment, soulagées. Sans se relever, Imalbo demanda :

« Et que fait-on maintenant ?

— On n’est pas venu ici pour rien, répondit Io. Dès qu’on aura récupéré assez de volonté pour se lever et tenir debout, on ouvre la porte que barrait ce monstre, et on continue !

— D’accord. Le premier levé ! »

Ils furent sur pieds. Devant eux, il y avait la porte, encore une porte d’un magnifique bois ancien, et derrière elle, l’aventure, le mystère… Il y avait aussi, dans la paroi à droite, une sorte de niche, toute en longueur, qui attira le regard vif d’Imalbo. A l’intérieur, il y avait ce qui semblait bien être des rouleaux de parchemins, une chose qu’aucun des deux hommes n’aurait pu s’attendre à avoir un jour sous la main. L’homme artificiel s’en saisit d’une main précautionneuse, et déroula l’un des rouleaux, qui faisait au moins un mètre de long : c’était une carte.

Ils ne comprirent pas ce qu’était cette carte. On aurait dit un réseau de galeries, comme là où ils étaient passés, mais ils ne reconnurent rien, même avec les autres cartes établies et enregistrées par le casque de Io. Jusqu’à ce qu’ils déploient d’autres rouleaux, d’autres cartes, et trouvèrent la salle dans laquelle ils se tenaient.

« Mais oui ! s’écria Imalbo. C’est bien le plan complet de ce niveau !

— Tu peux repérer comment sortir d’ici ?

— Non, pas encore. Par contre, il semblerait que l’on soit passé à côté d’un nombre considérable d’autres galeries, sans nous en apercevoir.

— Des passages secrets ?

— Ce serait chouette. Mais on ne va pas retourner en arrière pour s’en assurer, n’est-ce pas ? Ouvrons plutôt cette porte. »

Imalbo essaya tant bien que mal de ranger les rouleaux dans une poche de son imper, dans laquelle ils ne tenaient pas, et finit par se contenter de les lier ensemble pour les tenir à la main. Puis il ouvrit la porte.

Des espèces de gnomes, par dizaines, certains avec des arcs et des flèches, mais beaucoup avec des étourdisseurs, voire de petits lasers, fonçaient sur eux en couinant.

« Je ne pourrai encaisser aucun coup ! cria Io. Mon armure ne tiendrait pas.

— Pareil pour moi. On file ! »

Et c’est ainsi qu’après avoir terrassé un monstre surgi tout droit des pires cauchemars, ils durent fuir devant une bande de lutins. Il y a des jours comme ça. Heureusement, dès qu’ils eurent quitté le couloir par lequel ils étaient entrés, et passé la première porte de bois qu’ils avaient crochetée, ils ne furent plus poursuivis. Mais ils ne pouvaient plus revenir, et durent chercher une autre issue.

Les plans leur furent fort utiles. Ils découvrirent des galeries cachées, camouflées par d’ingénieux systèmes déclenchés par une brique secrète, ou plus souvent par une simple toile imitant un mur de pierre. Longtemps après, ils parvinrent ainsi à sortir de ce labyrinthe, et à regagner la surface, mais ils étaient assez dépités, comme s’ils s’étaient battus pour rien. C’était dommage, tout de même, de n’avoir pas continué.

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