Chapitre XI.7

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Io venait à nouveau de quitter sa cellule ; il était on ne plus impatient : enfin, il allait comprendre, savoir qui tirait vraiment les ficelles de ce monde décadent. Il avait par ailleurs appris que le procès avait été diffusé tel quel, en direct, sans censure. On jugeait probablement les juges assez loyaux à leur Société (comme tout un chacun) pour éviter les éventuels « débordements de pensées » ; ou, plus probablement, la censure était prête à agir, à la moindre incartade, mais ne l’avait pas encore jugé nécessaire. Si possible, il faudrait surveiller cela.

On le reconduisait bien au palais de justice : il était juste devant, et il put constater que, à ce qu’il lui semblait, la foule se pressant à l’entrée avait été relayée, et elle était donc toute fraîche et très dynamique : son arrivée fut saluée par de nombreux coups de sifflets, il fut tout à fait hué.

Mais ce n’était pas important : qu’il gagne ou qu’il perde son procès (et à son avis, il ne pouvait que perdre), il saurait, il saurait enfin ! Et si Imalbo parvenait à le faire libérer, ils sauraient à qui s’en prendre.

« Les recherches ont été effectuées, annonça solennellement le juge en chef. Et notez bien que je ne parle plus des recherches "nécessaires", car si elles nous ont beaucoup appris, elles étaient dirigées dans une direction si fausse que la Cour n’est même pas en mesure d’expliquer réellement où résidait l’erreur qu’elle a commise en les entreprenant. Enfin bref ! Voilà les résultats ! »

Le juge-assitant de droite prit alors la parole, lisant sur son écran les informations si précieuses pour Io :

« La Cour s’est donc renseignée sur la personne possédant le plus de pouvoir au sein de la Société. Et la Cour s’est rapidement rendue compte de l’absurdité de cette démarche : nous le savons tous, la Société est une société parfaitement libre et égalitaire. Aussi, le plus naturellement du monde, il n’existe pas, évidemment, d’homme unique qui nous dirige. Le Réseau, qui est garant de la parfaite équité de la Société, aurait pu nous éclairer immédiatement, mais, dans un souci assez déplacé de respect envers la parole de l’accusé, la Cour a procédé à ses recherches sans l’aide du Réseau. Et les résultats étaient évidents : la Société n’est gouvernée que par les nécessités et le bien commun. Il n’y a pas d’homme plus puissant que d’autres, il y a simplement des individus dont les qualifications sont telles qu’ils sont aptes à donner des ordres dans certains domaines, mais eux-même obéissent à quantité d’autres personnes dans des domaines ô combien variés ! »

Le juge-assistant de gauche continua alors :

« Il va de suite que l’accusé n’a pu que mentir à la Cour, car il est clair qu’aucun homme ne peut se déclarer le plus puissant, et donc il n’y a pas d’"ami de l’homme le plus puissant". Pire, il apparaît à la Cour que les erreurs par elle commises quant au fondement de telles recherches n’ont pu être induites que par l’accusé. Il voulait nous faire croire qu’il existait un autre homme aussi corrompu que lui, mais tout ce que cette affaire a prouvé c’est que l’accusé était parvenu jusqu’à nous corrompre nous-même. Oui, mesdames et messieurs, l’accusé avait réussi à nous faire voir des défauts illusoires dans notre belle Société, et il nous a tous hypnotisés, car personne parmi nous, parmi vous, n’a émis la moindre réserve quant au bien-fondé des recherches effectuées ! La Société dans sa perfection n’a pas de chef à sa tête ; la seule chose dont elle est dotée, c’est d’un criminel fratricide qui renie les choix de ses semblables de vivre dans un monde équitable et sain ! »

Io ne pouvait plus penser qu’une chose : « Oups ! Je suis cuit. » Et le juge en chef de déclarer :

« Puisqu’il nous est apparu qu’il était inutile d’attribuer la moindre confiance aux dires de l’accusé, la Cour va continuer ce procès avec les données qu’elle possède, sans plus l’interroger. Alors voici : l’accusé a reconnu la liste des méfaits, il est donc incontestablement coupable de nombreux crimes contre la Société, et le seul moment où l’on reviendra là-dessus, messieurs-dames les jurés, sera à l’heure du verdict. Pour ce qu’il est des crimes contenus dans la liste uniquement de manière implicite, les données possédées par la Cour vont vous être soumises en toute objectivité. Juge-assistant ?

— Il est prouvé que l’accusé a remis en question le bien-fondé de la Société sans disposer de la moindre preuve, et que par la suite, et c’est là qu’il se rend coupable, il a tenté de détruire ce qu’il jugeait à tort mauvais, et ce sans la moindre autorisation ni le moindre avis des autres Citoyens, dont aucun n’aurait été d’accord avec la moindre des actions entreprises par l’accusé. L’usage d’armes hautement dangereuses, probablement récupérées après le détournement de quelque machine ou usine, prouve en outre que l’accusé représente une menace pour nous tous bien plus grande que ne le laisseraient supposer les dégâts par lui causés jusqu’à aujourd'hui.

— Et maintenant, poursuivit le juge en chef, le jury est tout à fait en mesure de se prononcer. Il ne lui sera demandé par la Cour que les réponses à deux questions : l’accusé a-t-il tenté de s’opposer au bon déroulement de la vie de citoyens d’une Société qui leur convient, et ce sans avoir de quiconque recueilli le moindre accord ? Ensuite, les actions reconnues par l’accusé prouvent-elles qu’il constitue une menace d’ordre vital ? Messieurs-dames du jury, vous avez le temps qu’il vous faudra. »

Les jurés n’avaient pas besoin de se retirer : ils communiquaient silencieusement via leurs ordinateurs individuels, et ne mirent apparemment que très peu de temps pour se mettre d’accord. Le porte-parole du jury éleva ensuite la voix :

« A l’unanimité, le jury déclare l’accusé coupable de volonté de nuire à la totalité des Citoyens, sans exception, et qualifie l’accusé d’ennemi mortel.

— Merci, fit le juge. Le procès va donc s’achever là où il avait commencé : BTCR‑7563‑V‑0021, la Cour vous retire votre Citoyenneté, que vous avez absolument cessé de mériter. Ayant par le jury été reconnu coupable comme cela a été annoncé, la Cour prononce à votre égard la peine capitale, et justifie ce choix par ce que vous êtes en réalité : l’accusé, déclara le juge en chef, n’est qu’un parasite, et que fait-on d’un parasite ? On s’en débarrasse ! »

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