Chapitre XII.1

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On laissa Io croupir en prison jusqu’à ce que le nécessaire soit aménagé pour sa mort ; pour l’enterrement, on désintégrerait son corps.

Et enfin, un jour de fin du monde, c’est-à-dire ensoleillé par un temps merveilleux, on vint le chercher : « Ça y est ! J’espère que l’on ne vous a pas trop fait attendre : vous allez enfin pouvoir crever ! »

Il fut emmené dans un gigantesque immeuble en plein centre-ville ; c'était au sommet que tout était installé. Ils allaient le désintégrer, et Io se dit que vraiment ces gens manquaient d’originalité. Il pensait sincèrement qu’on l'aurait fait cuire à petit feu pendant qu’un dentiste retoucherait ses hurlements à la roulette, mais non. Il serait « déconnecté », sans souffrance prolongée.

Au sommet de l’immeuble, donc, était une grande salle carrée, très haute de plafond, et rouge. Sur un piédestal à l’exact centre se trouvait une chaise, une chaise du genre de celles dont on se relève rarement. On l’y fit s’asseoir.

Le Réseau ne serait pas le bourreau : là encore Io s’était trompé. Il avait pensé que les humains ne voudraient pas se salir les mains, qu’ils rechigneraient à effectuer cette sale besogne, et que le Réseau se dévouerait alors gentiment pour envoyer les rayons. Mais il s’était contenté de sélectionner au hasard un Citoyen sur ses listes, qui appuierait sur un bouton. De toute façon, cette bande d’automates parmi lesquels il avait autrefois vécu pouvait gober n’importe quoi, alors Io était maintenant sûr que le Citoyen désigné avait été tout préparé, et qu’au lieu d’avoir un crime sur la conscience il repartirait d’ici avec la satisfaction d’avoir œuvré pour le bien de tous, d’être un héros sauveur de sa Société pourrie.

Les gardes se mirent au garde-à-vous autour du piédestal, en lui tournant le dos. Puis ils agrippèrent des deux mains leurs armes, de longs fusils d’assaut, et attendirent la tête haute. Un son sourd se fit entendre ; le bourreau s’approcha lentement, sûrement, du bouton rouge situé sur le mur nu, derrière le condamné. Io ne pouvait voir que la rangée de gardes qui lui tournaient le dos, quelques autres sur les côtés, et devant lui la porte qu’il avait franchie.

Le son se fit plus fort et plus grave, tel qu’ils avaient tous l’étrange impression de se trouver dans une pièce insonorisée, sans qu’aucun bruit du dehors ne puisse venir troubler la sérénité de l’exécution. Le bourreau mit son doigt sur le bouton, et la seule chose qui séparait encore Io de la mort n’était plus qu’une vague forme oblongue, tournée elle aussi en direction du bouton : une… sulfateuse ! La tête du bourreau fut projetée contre le mur par un violent impact et il tomba assommé sur le sol, une vraie masse.

Une telle arme ne pouvait seoir qu’à une seule personne, mais elle n’était que virtuelle. Pourtant, c’était bien le même homme cornu en imper noir et chapeau mou, avec des lunettes et des gants du même noir, qui venait de surgir par la porte que Io pensait bien voir close à jamais ; Imalbo avait juste remplacé sa cigarette éternelle par la sulfateuse qui venait d’allonger un à un les gardes avant même qu’ils n’aient eu le temps d’abaisser les canons de leurs fusils.

« Comment va ? fit ce mafioso cinglé. On dirait que j’arrive juste à temps… A moins que tu n’aies préféré quitter ce monde pourri et décadent ?

— Tu me détaches au lieu de philosopher ? »

Un robot parfait, totalement opérationnel et quasiment infatigable, voilà ce qu’était Imalbo à présent. Mais ils devaient faire vite, pas de temps pour des présentations ou des explications plus détaillées.

Imalbo n’avait pas vraiment joué dans la finesse, pour ce coup-là : tout l’immeuble était au courant de son intrusion, et si aucun garde ne lui courait après pour le moment, c’était uniquement par ce qu’il les avait tous envoyés au pays des rêves, et pour un bon bout de temps. Mais ils étaient loins d’être tirés d’affaire, et ils leur fallaient un plan.

« Notre seule chance d’opposer une quelconque résistance aux forces qui vont nous tomber dessus d’une minute à l’autre, c’est de retrouver ton armure et ton arme, lança Imalbo. Surtout que je ne sais pas s’il resterait assez de matières premières dans l’immeuble pour en fabriquer d’autres.

— Tu sais où elles sont ?

— Non. Mais suis-moi ! »

Ils se précipitèrent à l’étage inférieur, où Imalbo avait neutralisé l’équipe de journalistes dépêchée pour retransmettre au monde entier le bon déroulement de l’exécution. Ne les ayant pas jugés trop dangereux, Imalbo avait économisé ses tirs et ne les avait que légèrement sonnés. Il put ainsi réveiller, avec l’aide de Io, une femme qui semblait diriger l’équipe.

« Madame, articula gentiment Imalbo derrière ses grosses lunettes, vous voudriez bien vous réveiller un peu plus, voilà, on ouvre les yeux, on me regarde, et on répond à…

— Non, pitié, ne me faites pas de mal ! hurla-t-elle. Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait, ce n’est pas moi, pas ma faute…

— Allons, allons, la rassura Io. Vous ne risquez rien, absolument rien, je vous le jure, on ne prendra même pas la peine de vous rendormir en partant. Tout ce que nous voulons, c’est que vous répondiez à quelques questions, juste pendant une minute, et on s’en va.

— Vous dirigez l’équipe journalistique, non ? s’enquit Imalbo. Vous êtes donc au courant de pas mal de trucs. C’est bien vrai ?

— Non, non, articula-t-elle, ayant arrêté de trembler de peur pour piquer du nez et commencer à se rendormir. Ils la secouèrent un peu.

— Je ne sais rien, juste mon boulot, je faisais juste mon boulot.

— Bien sûr. Ecoutez bien : en faisant votre reportage, vous avez appris ce que l’on a fait des affaires personnelles du condamné, non ? Alors, où se trouvent-elles ? Où a-t-on mis ce qui appartenait au condamné ?

— Les biens du condamné devaient être reversés à la Société après sa mort, en tant que dommages et intérêts. Des véhiculent attendent à l’entrée. Ses affaires ont accompagné le prisonnier, et quand il sera mort, ils partiront pour je ne sais où.

— Ils attendent à l’entrée ?

— Ils chargeront dès la fin de l’exécution, souffla-t-elle. Les biens du condamné sont très précieux, à ce qu’on dit, et à l’entrée, emporter… exécution…. » Et elle se rendormit. Imalbo semblait assez surpris :

« Si elle parle du hall d’entrée principal, c’est par là que je suis passé. Je crois n'avoir rien vu de tel, pas de chargement surveillé par des gardes en tout cas…

— Vérifie sur tes enregistrements, repasse la scène, tu verras bien, suggéra Io.

— Je ne peux pas. Je t’expliquerai plus tard. Pour le moment, reste bien derrière moi et fais attention. Et prends ça. » Il lui tendit un fusil qu’il avait emprunté à un garde endormi ; mais aucun d’eux ne savait si l’arme envoyait des décharges électriques ou des lasers, si elle paralysait ou si elle tuait, ou même si elle fonctionnait.

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