Chapitre X.2

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Io arrivait à destination : l’immeuble du Projet Contrôle était droit devant lui. Cette fois-ci, il ne prit même pas le temps de faire un petit tour dans la cour pour dégommer les gardes, qui d’ailleurs étaient maintenant beaucoup plus nombreux ; il se contenta de foncer à travers eux en envoyant des décharges d’étourdisseur dans tous les coins, et roula sans s’arrêter jusqu’aux portes du bâtiment, qui comme il l’espérait n’avaient pas été réparées pour les besoins de l’enquête. Mais de toute façon, il serait entré tout de même, rien n’aurait pu le freiner.

Il testa la solidité de sa combinaison quand il fut littéralement éjecté de son véhicule en tentant de l’arrêter, car il allait beaucoup trop vite. Mais le choc fut bien amorti, et il se remit rapidement sur pieds pour pouvoir riposter aux feux croisés qui fusaient de toutes parts. Il étourdit quelques policiers, et courut dans les escaliers, en sachant cette fois-ci qu’il lui fallait descendre.

Le robot d’Imalbo était revenu parce que le programme de recherche avait finalement décidé d’envoyer un rapport. Le rapport disait à peu près cela : « Le chef suprême est le supérieur du chef suprême qui est le supérieur du chef suprême qui est le sup… » et ainsi de suite. Imalbo conclut à un échec.

Io avait couru, couru, il s’était retourné, avait abattu une vingtaine ou une trentaine de robots de la Sécurité, puis il avait couru. La porte de la salle 227 non plus n’avait pas été réparée. Le cœur de Io s’était soulevé à cette vue, mais bien qu’il y ait encore beaucoup de travailleurs dans la salle, elle n’y était pas, même parmi tous ceux qui s’étaient enfuis à son entrée, il en était sûr. Alors, il courut.

Il finissait par bien connaître le bâtiment, maintenant : il avait exploré à peu près tous les sous-sols. Mais rien. Il s’était encore trompé, il fallait aller dans les étages. Pourvu qu’elle ne soit pas en congé, ou qu’ils ne l’aient écartée du bâtiment pour l’interroger ! Si Io avait réfléchi, il se serait aperçu que c’était hautement probable, mais Io ne réfléchissait pas, il courait et il tirait.

Les robots étaient encore plus nombreux que la veille, mais ils lui semblaient moins efficaces. Ou alors était-ce lui qui était plus enragé ; en tout cas, il les faisait tomber par dizaines, et ils ne parvenaient qu’à lui bloquer certains couloirs, et encore avec grand-peine. Io devait alors les contourner, car Io voulait courir partout.

Il ne savait plus à quel étage il en était rendu, mais il en restait encore beaucoup à explorer, et de plus en plus il redoutait qu’elle ne soit pas là. Il n’était absolument pas conscient de ce qu’il ferait s’il la trouvait, mais il voulait la revoir.

Les robots volèrent en éclats sous ses coups acharnés. Il avait devant lui une vraie barrière de métal faite d’innombrables machines de la Sécurité ; ils auraient pu le tuer s’il n’avait pas réagit à la seconde près (c'était facile aussi, il tirait sur tout ce qui bougeait). Mais il fit feu le premier, et ses tirs ébranlèrent tant la formation des robots, qui lui faisaient face les uns sur les autres en trois rangées, qu’ils ne parvinrent pas à le toucher tellement ils bougeaient. Et ils volèrent en éclats, fragment par fragment ; les morceaux de métal s’éparpillèrent dans le couloir, formant une neige noire. Les robots explosèrent tour à tour, et la neige s’épaissit, jusqu’à ce que tous les robots se retrouvent en pièces à voltiger dans les airs.

Puis, une fois que le silence fut établi, la neige commença à s’estomper. Les morceaux de ferraille retombèrent petit à petit sur le sol, et le passage de Io fut dégagé. Pleinement dégagé, mais pourtant Io ne bougea pas : une fois de plus sa vision le bloquait, il avait trouvé celle qu’il cherchait.

Elle était devant lui, en blouse blanche cette fois-ci, du blanc même des nuages. Ses affectations avaient dû l’envoyer dans un laboratoire à l’étage, et ainsi il n’avait pu la retrouver aux sous-sols. Mais elle était bien là maintenant, devant lui !

Et il ne voulait surtout pas la faire fuir. Il rangea son arme dans son étui, sachant qu’il aurait amplement le temps de la récupérer quand des ennemis surviendraient, et releva la visière de son casque pour qu’elle puisse voir son visage plus clairement mais aussi pour que ses yeux puisse mieux vérifier cette beauté telle que son cerveau n’arrivait pas à l’appréhender. Puis il fit quelques pas vers elle, et elle ne s’enfuit pas.

Qu’allait-il pouvoir lui dire ? Il se rendait compte de sa folie à présent : jamais il ne pourrait lui faire comprendre ce qu’il ressentait, et de toute façon elle ne le croirait pas, pire, elle allait continuer à le craindre et à le regarder comme un monstre, comme un ennemi ! Cela ne pouvait être ; aussi Io rassembla-t-il toutes ses forces et parvint grâce à cela à entrouvrir les mâchoires, il ne restait plus qu’à produire des sons.

« Ecoutez-moi, supplia-t-il en percevant son mouvement de recul. Je ne vous ferai aucun mal ! Je vous jure que jamais, absolument jamais, vous n’aurez la moindre raison de craindre quoi que ce soit de ma part ! Je n’ai jamais eu l’intention de vous faire du mal, au contraire ; seulement hier, si je vous ai fait peur avec mon arme, c’est parce que je ne pouvais plus bouger, voyez-vous. Je ne comprends pas bien ce qui m’est arrivé, mais sitôt que je vous ai vu j’étais comme paralysé par votre regard. C’est totalement absurde, et je sais que vous me prenez pour un fou qui n’a comme but que de répandre le sang et le malheur, mais je ne veux que combattre le mal et la perversion du Réseau, et maintenant voilà où j’en suis rendu : mon esprit ne m’appartient même plus, il est entre vos mains délicates et m’échappe, et je vous aime. » Io avait depuis longtemps cessé de respirer.

Et alors, lentement, elle entrouvrit ses lèvres et daigna enfin, au lieu de s’enfuir comme il l’avait tant redouté, lui répondre : « Je ne comprends pas » répondit-elle, et ce fut les seuls mots qu’il put entendre d’elle, car de partout des gardes humains avaient surgit, et Io avait tellement peur de la faire partir qu’il hésita trop longtemps avant de sortir son arme, si bien qu’il fut touché simultanément par une dizaine de tirs avant d’avoir réagi. Cela eut pour effet de le projeter avec une violence phénoménale contre le mur derrière lui ; les gardes n’utilisaient pas d’étourdisseurs mais bel et bien des lasers mortels, et si son armure empêcha de justesse sa mort, le choc qu’il encaissa fut tel qu’il perdit aussitôt connaissance, avant de retomber à terre dans une marre de sang. C’est alors que la fille s’enfuit.

Imalbo avait maintenant compris qu’il était impossible de découvrir qui dans la Société tirait les ficelles simplement en remontant les échelons hiérarchiques du milieu du travail. Cela aurait été logique néanmoins ; mais d’après le rapport de Gapor, envoyé avant que celui-ci ne soit détruit par l’impossibilité de sa tâche, il avait pu établir ceci : chaque travailleur, au plus bas de l’échelle sociale, avait un chef. Ce chef en avait un lui aussi, voire plusieurs. Ces chefs avaient leurs chefs. Et au sommet de la pyramide, les chefs avaient toujours des chefs, mais ils donnaient eux-mêmes des ordres à leurs supérieurs. C’était tout à fait étonnant, mais bien réel : au sein des derniers échelons du système, les gens devaient obéir aux hommes à qui ils donnaient des ordres.

Mais la complexité et l’absurdité de ce constat ne pouvaient empêcher l’immeuble de penser à son ami humain : et à vrai dire, il était très inquiet.

Il avait compris qu’il était retourné au Projet Contrôle, et son attitude laissait à penser que Io ne pouvait rien faire pour s’empêcher d’y aller : il était toujours mû par ce sentiment extraordinairement puissant qui s’était accaparé de lui, ce sentiment qu’Imalbo ne comprenait toujours pas. Mais il avait approfondi ses recherches, et il croyait avoir trouvé : d’après certains feuilletons télés et les quelques très rares archives de l’époque passée, il pensait que le sentiment qui s’apparentait le plus à ce que Io ressentait se nommait : « amour ». Mais d’après tout ce qu’il avait trouvé aussi, l’amour réduisait à néant les forces d’un individu alors que Io dans sa folie se sentait invulnérable, et l’amour devait de toute nécessité être combattu alors que visiblement, ce n’était pas possible. Aussi Imalbo ne comprenait-il toujours pas…

Et il ne savait toujours pas non plus ce qui allait advenir de l’humain.

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