Chapitre V.3

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Io sortit de l’immeuble juste à temps pour recevoir une bouffée de chaleur qui le renseigna sur le sort de son malheureux double, au bout de la rue. Ses vêtements le protégeaient certes d’une température élevée, mais il n'était pas non plus équipé de la combinaisons des policiers qui leur permettait de survivre au cœur même d’un incendie : Io aurait eu la figure complètement brûlée s’ils avaient actionné leurs armes plus près des portes du bâtiment.

Il se demanda s’il y avait pu y avoir des passants dans la rue quand la police avait ouvert le feu. Il ne vit personne dehors, et il eut peur d’être repéré si tout le monde était censé être chez soi ; mais il ne pensait pas que les policiers, dans l’état d'excitation où ils étaient, auraient remarqué une autre forme de vie que l’ennemi qu’ils poursuivaient.

« Comment des humains peuvent-ils mettre autant d’acharnement à détruire quelqu’un qui ne leur a rien fait ? » se demanda Io. Les policiers lui semblaient se comporter comme des machines, et cela le dégoûtait. Il courut le long des murs dans la plus grande discrétion, jusqu’à ce qu’il atteigne enfin un quartier fréquenté, où il passerait inaperçu parmi les autres piétons.

« Il faut maintenant que je rejoigne le "petit frère" de l’immeuble, se rappela-t-il. Si nous voulons recueillir le plus de données possible, il nous faut en effet trouver un point de connexion au Réseau où les informations circulent sans trop de restrictions. L’ordinateur d’un humain serait inutile, la moitié des rares données récupérables seraient fausses. Il nous faut donc une machine, et comme les immeubles du type de celui auquel je me suis allié bénéficient d’un accès presque illimité aux données du Réseau, puisque celui-ci les surveille si étroitement qu’ils ne sauraient mal s’en servir, il nous est fort utile d’avoir connaissance de l’existence d’un autre de ces immeubles. »

Encore fallait-il s’y rendre. Io préférait éviter de se servir des bus, car il risquait d’être immédiatement repéré s’il occupait un siège prévu pour quelqu’un d’autre. Il se décida néanmoins à emprunter un véhicule suffisamment rempli pour qu’on ne s’étonne pas trop de le voir rester debout, et fit une grande partie du chemin à pied. Il marchait dans les rues du pas rapide mais non pressé de n’importe quel travailleur, portant à la main la lourde sacoche dont il allait bientôt avoir besoin.

Il arriva finalement en vue de l’immeuble. Celui-ci était totalement achevé, et de nombreux travailleurs l’occupaient. Il avait été construit selon des plans légèrement moins aboutis que ceux de l’immeuble d’où venait Io, et il était un peu moins haut, d’où sa qualification de « petit frère ». Mais ce petit frère était pleinement opérationnel, et allait constituer un adversaire redoutable, aussi bien pour son "grand frère" qui allait devoir l’affronter virtuellement pour la possession de son accès au Réseau, que pour Io qui devrait passer de nombreuses barrières de sécurité avant de pouvoir connecter Médusa. En effet, cette fois les doubles portes fonctionnaient : la première le laisserait passer, pour qu’une fois à l’intérieur son arrivée soit contrôlée et que l’on décide s’il avait le droit d’entrer, ou si les portes allaient toutes deux demeurer closes jusqu’à l’arrivée de la police. Mais quand il fut à l’intérieur (tout seul entre les portes, mais il voyait quantité de travailleurs dans le hall) il ouvrit sa sacoche et en sortit Médusa. Il apposa l’objet contre le boîtier à reconnaissance d’empreintes de la porte, et la méduse de plastique sembla soudain prendre vie. L’opération allait, en plus de lui ouvrir les portes, servir de test pour vérifier si le système fonctionnait. Au loin, l’immeuble projeta sa conscience dans l’objet qu’il avait conçu. Celui-ci s’activa, et ses tentacules s’attaquèrent au boîtier de la porte pour finalement établir une connexion avec le système de sécurité du bâtiment. Le « grand frère » ravagea en quelques instants tout système de protection, et bientôt il eut sous son contrôle toute la sécurité du rez-de-chaussée. Il commanda l’ouverture des portes, puis déclencha l’alerte dans tout l’immeuble après avoir choisi un travailleur innocent parmi ceux qui se mouvaient dans le hall et l’avoir étiqueté « dangereux ». Puis il se retira, et Médusa retomba entre les mains de Io, qui la rangea dans son sac avant de franchir la porte. Il se créa bientôt une forte agitation dans le hall, alors que des robots menaçants encerclaient l’individu qu’ils prenaient pour un intrus.

Mais le véritable intrus profita de la confusion pour se ruer vers les escaliers, en direction du sommet. Il savait qu’il était déjà repéré, mais peu lui importait du moment qu’il était assez rapide. Cependant, on ne gravit pas vingt-cinq étages rapidement par les escaliers.

Tout en montant les marches aussi vite qu’il le pouvait, Io sortit une arme de son sac. Cet étrange pistolet lui permettrait de neutraliser tout robot qui descendrait pour tenter de l’arrêter ; elle n’agirait pas sur toutes les machines qu’il allait rencontrer, mais celui qui l’avait fabriqué savait précisément comment étaient conçus les robots de sécurité, et ainsi comment il convenait de les mettre hors course.

Io dut se servir de son arme à maintes reprises au cours de son ascension : il fut assailli par toutes sortes de créatures mécaniques, de la petite abeille tueuse au policier de métal. Ils tombèrent tous sous ses coups et Io en ressortit indemne, mais ce fut un miracle qu’il ne soit pas désintégré par les rayons mortels que tentèrent de lui envoyer les robots qui l’attendaient aux détours de l’escalier.


Quand il fut trop fatigué, il se précipita vers un ascenseur et se servit de Médusa pour le contrôler comme il l’avait fait pour les portes. Un ascenseur se contentait généralement de vous transporter où vous le désiriez, mais il ne voulait pas s’y retrouver coincé si la cage de métal était prise de l’envie de le dénoncer aux services de sécurité.

Malgré le contrôle de Médusa, il fut d’ailleurs accueilli à sa sortie au vingt-quatrième étage par toute une troupe qui aurait très bien pu le mettre en pièces s’il ne s’était attendu à trouver tous ces robots. Io enjamba les corps de métal inanimés et rejoignit le vingt-cinquième par les escaliers.

Une fois là-haut, il repéra l’endroit du plafond que lui avait indiqué son ami l’immeuble ; au-dessus, il y avait la salle bizarre avec l’étrange écran, pareille à celle où il avait fait connaissance avec l’ange. Mais ce n’était pas dans cette pièce qu’il voulait se rendre, c’était encore au-dessus, là où se trouvait le « cerveau » du bâtiment ainsi que les systèmes le connectant au Réseau. Il sortit de sa sacoche un large disque noir, assez épais : c’était lui qui occupait presque tout le volume du sac. Io lança le disque au plafond, où il se fixa parfaitement ; puis il courut se réfugier dans un angle du couloir et attendit. Ce ne fut pas long : pendant un bref instant, tout le couloir se retrouva brillamment illuminé, et quand Io revint à l’endroit où il avait fixé le disque, il y avait un trou parfait dans le plafond, et il pouvait apercevoir un trou identique dans le plafond supérieur. Un mince fil pendait par l’ouverture ; à son bout se trouvait une petite boule que Io saisit avant d’être tiré violemment vers le haut. Il n’était que temps : tout un conglomérat de robots s’était installé dans le couloir sous ses pieds, et il ne semblait pas rempli des meilleures intentions à son égard.

Io traversa rapidement la première salle, suspendu à son fil : elle était noire et semblait menaçante. Ici, pas de robots de sécurité : l’immeuble était à même de se défendre tout seul. Mais Io montait trop vite pour que la décharge électrique qu’il lui envoya puisse l’atteindre. Io savait cependant que l’immeuble ne manquerait pas de le détruire s’il ne se dépêchait de détourner son attention, via Médusa. Arrivé dans la salle supérieure, au plafond de laquelle était fermement accroché le mince fil qui l’avait fait monter, il fut soulagé de constater que les installations présentes étaient telles qu’elles lui avaient été décrites. Il déposa Médusa à l’endroit indiqué… Tout reposait désormais sur l’immeuble qui, à distance, projetait son esprit dans le petit objet, dans l’espoir fou de vaincre son cadet de béton.

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