Chapitre IV.3

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Le hall était désert, dans le même état qu’il l’avait trouvé en entrant. Son lourd sac sur le dos, il se dirigea vers la sortie.

Ici encore, on trouvait un système de fermeture à deux portes, créant une sorte de sas. Lla seconde porte en sortant, qui donnait sur l’extérieur, était celle où étaient normalement installées les sécurités à reconnaissance d’empreintes ; quant à la première, elle était située quatre mètres en avant. Elle était aussi énorme que l’autre, mais elle était présentement grande ouverte, laissant Io entièrement libre de sortir. Jusqu’à ce qu’elle se referme brusquement juste devant lui, le faisant stopper net.

Il n’y avait aucune commande dessus, Io était bel et bien coincé à l’intérieur. « Si c’est encore une blague de mauvais goût, je ne me laisserai pas avoir, cette fois-ci, décida-t-il. Il doit bien y avoir moyen de déverrouiller cette porte ; le type qui s’amuse ainsi avec moi doit d’ailleurs se trouver près des commandes. »

Et la nuit se fit. « Encore ! C’est une manie… Je suppose qu’il va y avoir une petite lumière au loin, pour m’attirer dans je ne sais quel piège idiot ! » En effet : au fond d’un couloir, une lampe brillait faiblement. « Oh ! Tant pis ; on verra bien, souffla-t-il. Au pire, j’en serai sans doute quitte pour changer de vêtements. »

Il se dirigea donc vers la lumière, qui, quand il en fut à quelques pas, s’éteignit pour réapparaître sur sa droite, lui indiquant une nouvelle direction. Il suivit les lumières, prudent, s’attendant à trouver cordes et seaux d’eau au détour de chaque porte. Mais il n’y eut rien de tout cela ; il arriva finalement dans une pièce pleinement éclairée, où de nombreux ordinateurs étaient installés. Seuls trois d’entre eux étaient allumés, juste en face de lui. Il se rapprocha : ils étaient reliés à des caméras, au dehors. Et ils lui montraient clairement que s’il était sorti, il serait déjà en salle d’interrogatoire, au lieu de rester béatement planté devant l’écran, la bouche ouverte.

« Là, je ne comprends plus… On commence par me priver de brioche, puis on me jette dans une baignoire, on tente de me faire écraser par des robots de nettoyage, et puis, l’instant d’après, ce qui semble bien être la même personne considère qu’elle s’est assez amusée, et elle me sauve la vie en me révélant les rondes effectuées par la police ! »

Mais qui pouvait bien se cacher derrière tout cela ? Et était-ce un ennemi, ou un ami ? Ou un simple plaisantin ?

« Quel lien peut-il y avoir entre tout ce qui m’est arrivé d’anormal ? se demanda-t-il. Récapitulons : un cordon-bleu défectueux, des robots fous, un système électrique capricieux, des portes obstinées, et puis enfin des caméras vidéos salvatrices… Est-ce que… mais oui, c’est possible ! Il ne reste plus qu’à vérifier… »

Il avait une idée derrière la tête : tout d’abord, il devrait trouver la salle où se trouvaient réunies les commandes de tous les systèmes de l’immeuble. Une telle salle devait exister, sans quoi les événements pour le moins bizarres auxquels il s’était trouvé confronté n’avaient pas lieu d’être.

Mais où chercher ? « Cette salle ne peut se trouver dans tous les étages que j’ai déjà visités : je n’aurais pu la louper. Il y a des sous-sols dont l’accès m’était interdit… est-elle là ? Tout en bas ? A moins… qu’elle ne soit, comme les Ordinateurs Centraux des immeubles de travail, située au sommet. »

Il se précipita vers l’ascenseur. La veille, il n’avait pas inspecté les tout derniers étages, étant trop fatigué. Ce fut vite fait : même au sommet, il ne trouva que des habitations, absolument rien d’autre.

« La salle est en bas, alors… se dit-il. Comment accéder aux derniers sous-sols ? » Il retourna dans la salle informatique du rez-de-chaussée. Ne pouvait-il trouver, dans les ordinateurs qui s’y trouvaient, un code, un indice ? Il pianota plusieurs heures sur les claviers, essayant de contourner les systèmes de sécurité, et quand il y parvint, il trouva, enfin, que ces sécurités ne protégeaient absolument rien.

Dépité, il se retourna vers les écrans des caméras. Il regarda, abattu, les policiers patrouiller dans la rue. Le cherchaient-ils vraiment ? Si oui, savaient-ils qu’il était ici, à les observer ? Il avait accès à de nombreux angles de vue, au dehors. Il pouvait même afficher une superbe image de la façade de l’immeuble, grâce à une caméra située de l’autre côté de la rue. L’immeuble n’était pas impressionnant, de l’extérieur. Il était normal, avec autant d’étages que… Mais bien sûr !

Tout à l’heure, il était au trentième. Il eut vite fait de compter les fenêtres… Le trentième correspondait bien aux vitres les plus hautes, mais… Il y avait sûrement quelque chose au-dessus, un autre étage au moins !

Io retourna rapidement en haut. Il n’avait décelé aucune ouverture, aucune trappe au plafond. « Comment passer ? » S’il avait des explosifs… Il aurait pu fabriquer une sorte de petite bombe qu’il aurait fixée au plafond, il se serait vite éloigné et aurait compté : « Trois, deux, un…Boum ! » Il y avait un gros trou au plafond. « Ah ! Eh bien s’il suffit d’y penser… » Mais le plafond n’avait nullement explosé. Le trou était net, carré : une trappe, jusque-là totalement invisible, venait de s’ouvrir.

Il alla chercher la première chaise qu’il put trouver, l’installa sous la trappe, monta dessus, et sauta…

Il passa la tête par l’ouverture. Tout était complètement noir. Il dut retourner chercher son sac (que décidément il laissait traîner partout !) et, quand il se hissa à nouveau par l’ouverture, une lampe entre les dents, une multitude de petites lumières s’étaient allumées en tous points de la pièce dans laquelle il se retrouvait.

« On veut vraiment me mettre à bout ! Si je trouve l’espèce de… » Mais il n’y avait personne. La salle était énorme (quoique assez basse), impressionnante avec ses murs noirs, mais vide. Mis à part, en son centre, une sorte de monolithe qui semblait dérisoirement petit face au gigantisme de la pièce.

Io s’en approcha lentement. C’était un grand rectangle, d’un noir de jais, haut d’un mètre cinquante, mais épais d’à peine quelques centimètres. Un déclic derrière lui : il se retourna prestement. Dans le mur qui faisait face à l’étrange rectangle, un panneau s’était soulevé, et un fauteuil, noir lui aussi, avançait en silence. Il s’arrêta devant le monolithe, et se tourna pour que Io puisse s’installer confortablement.

Alors, sur la moitié supérieure du bloc noir, qui recelait un écran d’une qualité absolument parfaite, apparut une sorte de brume, au milieu de laquelle une image se dessina peu à peu pour finalement devenir le reflet de son propre visage.

Puis une voix grave et mystérieuse se fit entendre, surgissant de nulle part.

« Io, je t’ai laissé entrer dans ce sanctuaire uniquement pour conserver mes plafonds dans un état acceptable » ; puis, menaçante : « j’espère que je ne le regretterai pas… » Pendant que la voix se faisait entendre, le visage de Io changea sur l’écran, et une autre figure y apparut, celle d’un ange inquisiteur et inquiétant.

« Mais qui êtes-vous donc ? Io criait presque.

— Tu n’as donc pas deviné ? Et moi qui pensais que tu l’aurais remarqué sitôt la porte passée : je suis un immeuble, enfin !

— C’est donc, si je comprends bien, un immeuble qui m’a confisqué mes croissants ?

— Oh ! Ne sois pas si rancunier ! De toute façon, ton petit déjeuner était très peu équilibré ; tu devrais faire plus attention ». Le visage sur l’écran, qui s’était transformé en un immense bâtiment de brouillard, avait laissé place à un petit film lui montrant les dangers d’un abus de graisses.

« Ah... eh bien merci, alors, répondit Io. Mais dans ce cas, si vous m’avez attiré vers la baignoire, je suppose que c’était parce que j’avais une tache sur mes vêtements ?

— Ça l’aurait nettoyée, en effet ». La voix s’était faite plus riante, et l’écran se trouvait bardé de couleurs éclatantes qui se mouvaient en tous sens. « Mais non… Fais donc un effort et essaie de comprendre. Tu as, j’espère, remarqué que j’étais un immeuble conçu pour être le plus polyvalent possible, et totalement indépendant. Je gère absolument tout moi-même. Mais il n’y a toujours personne ! Jusqu’ici, j’attendais patiemment que les travailleurs remplacent enfin les ouvriers trop lents qui m’ont construit, mais ces derniers se sont volatilisés hier, et il n’y a plus personne ! Et je m’ENNUIE, tu comprends ?! hurla la voix de l’immeuble, furieuse, pendant que l’écran s’escrimait à représenter l’enfer.

— Mais ne pouvez-vous, hasarda Io, intimidé, demander au Réseau ce qui s’est passé ?

— Eh bien même pas, figure-toi ! Connexions coupées, cet imbécile ne réponds plus ! Et il me laisse tout seul. »

« C’est parfait, pensa Io : la destruction du Centre d’Analyse a permis plus de dégâts que je n’aurais osé l’espérer… »

« Tu comprendras sans doute, humain, reprit la voix, calmée, que j’ai besoin de me distraire. Tu es si comique quand on t’y pousse un peu ! »

C’était au tour de Io d’être en colère : « Si je ne suis qu’un petit bouffon comique, pourquoi avoir pris la peine de me sauver des policiers ?

— Je n’allais quand même pas laisser ces marionnettes du Réseau me piquer mon nouveau jouet ! Du reste, je suis curieux : comment diable en es-tu arrivé là ? »

Mais Io se méfiait : « C’est à dire, je n’ai pas vraiment envie de vous donner toutes les raisons pour lesquelles vous pourriez me remettre à la police. Et puis d’ailleurs, reprit-il plus haut, je ne vois vraiment pas pourquoi je m’expliquerais devant une foutue entité qui passe son temps à se moquer de moi !

— Tu as tout à fait raison, tu ne vois pas pourquoi. Eh bien, en fait, c’est très simple : tu n’as pas le choix. »

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