Chapitre II.2

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Pendant un long moment, il resta là, sans bouger, figé devant son ordinateur. Il ne pensait pas, ne parlait pas. Mais ses yeux ne pouvaient se détourner du Message. Tellement… inattendu.

Une éternité passa…

Petit à petit, son cerveau se remit à fonctionner, lentement. La stupéfaction laissait progressivement la place à l’incompréhension.

« Qui ? COMMENT ? POURQUOI ? »

Pas de réponse, évidemment. Une deuxième éternité passa…

Décidément, quelque chose ne tournait pas rond : pour la première fois, 21 se sentait seul. Il est vrai qu’il y avait rarement quelqu’un d’autre que lui dans son appartement (pour différentes raisons très complexes calculées par le Réseau Informatique, il n’était pas marié), mais cette solitude-là était d’un tout autre genre. Il se sentait changé, profondément. Et par là, il savait que désormais, il était seul : unique.

Il ne ressentait plus aucun attachement à la Société ; la volonté de se rendre utile, si inhérente à tous les humains de ce monde, s’était volatilisée à la vue du Message. Et 21…

« Oh, et puis flûte ! 21,21,21 ! C’est pas un nom, ça ! On a été réduits à des numéros ! Un chiffre dans les banques de données d’un ordinateur, voilà ce qu’est un homme de la Société. Mais je vaux plus qu’un chiffre. Je m’appelle Io, Io et rien d’autre ! »


Le Message exterminateur avait définitivement tué 21. C'était un nouvel homme qui naissait de ses cendres : Io, tout seul face à l’universalité de la Société. Mais il n’était nullement triste ou désemparé : étrangement, il commençait à goûter aux joies de se sentir différent, non-conforme. Une nouvelle vie commençait.


« Dès mes premiers instants, se dit Io en arpentant fiévreusement la pièce, on m’a répété et répété qu’un homme ne pouvait vivre qu’en communauté. On va bien voir ! Je suis seul contre tous maintenant. Je n’ai vraiment pas grand-chose à perdre, en fait. On va essayer de remuer un peu la Société ; tant pis si la détruire mène à pire : il ne peut s’agir du meilleur des mondes qu’elle prétend être. Alors, bouleversons. »

Il venait en effet de s’apercevoir d’une chose : ce détachement brutal de la Société (si improbable en fait) lui avait fait prendre conscience de l’énorme passivité de la vie des humains. Celle-ci était entièrement réglée à l’avance, via tous les ordres qui leur dictaient leur conduite. Et il avait fallut un événement inattendu (l’arrivée du Message) pour que Io le réalise enfin.

Il avait connu pour la première fois quelque chose d’imprévu. Il avait alors naturellement souhaité que ce ne soit que le premier d’une longue, très longue série.

Mais tout cela lui donnait quand même un peu mal à la tête : il n’avait sans doute jamais autant réfléchi en si peu de temps. Il décida d’aller se coucher : demain, il aviserait. Et demain serait enfin un autre jour.

*

* *

Profitons donc de son sommeil (fort agité, on le comprendra) pour faire un peu le tour des lieux.

L’appartement de Io était une habitation standard. Tous les humains de la planète ne possédaient pas la même évidemment, mais c’était celle que l’on retrouvait en majorité chez les hommes tels que lui, à savoir célibataires, au revenu moyen, et ayant un travail de type intellectuel (disons plutôt, non-manuel).


Le premier mot qui viendrait à l’esprit d’un visiteur d’un autre temps, en entrant, serait : média. (Si ce visiteur venait d’un futur très éloigné : éléments communicatifs à but influencif non-avoué ; et si le visiteur surgissait du passé : images qui bougent toutes seules partout). Il faut savoir en effet que les progrès technologiques, s’ils ne permettaient pas encore à l’homme de se télétranslater sur Mars, avaient cependant réduit l’épaisseur d’un écran, et donc d’un poste télé, à celle d’une feuille de papier (ces dernières ayant elles totalement disparu).

Aussi, on trouvait des télés absolument partout, les programmes ou publicités diffusés tenant compte de la pièce où l’on se trouvait et de bien d’autres paramètres (heure, taux de fatigue, couleur des yeux…).


En premier lieu, sur la porte. Celle-ci était en effet recouverte d’un grand écran, et ce des deux côtés. Pour entrer, il suffisait d’apposer son pouce sur le petit boîtier de reconnaissance des empreintes : une grande marque de l’alimentation souhaitait alors la bienvenue à l’occupant. Pour sortir, on avait juste à appuyer sur un bouton : on n’entrait pas comme dans un moulin, mais les gens pouvaient sortir librement de l’appartement de Io (diverses compagnies de transport faisant alors connaître leurs services).


Passée la porte, un petit couloir était aménagé, prévu principalement pour le rangement des manteaux et des chaussures (si vous ne pouvez pas supporter la publicité pédestre, un conseil : évitez le chausse-pied, il parle).


Maintenant, le séjour. Io vivant seul, cette pièce était certes vaste, mais surtout polyvalente.

Elle servait de salle de détente, la partie gauche étant entièrement dédiée à la télévision : on y regardait des jeux à loisir, si l’on souhaitait se reposer et s’allonger le plafond prenait le relais, et cette portion du séjour était même prévue pour s’isoler, créant un cube parfait où images et sons étaient absolument omniprésents.

Les gens pouvaient y passer des heures, mais le temps passé ici était soigneusement régulé par le Réseau (pour éviter les maux de tête, ou donner aux Citoyens encore plus envie de s’abandonner aux joies de l’écran...).

La partie centrale servait à l’absorption de nourriture, savamment préparée par le synthétiseur-cordon-bleu, de la taille d’un four, encastré dans le mur. Une grande table ronde, en simili-bois, accueillait le convive, les assiettes (qui délivraient de précieux conseils culinaires quand elles étaient vides) étant rangées avec verres et couverts dans un vaste tiroir, où la table se débrouillait pour faire la vaisselle.

La partie droite du salon, quant à elle, faisait office de bureau. Toutes possibilités étaient données à Io pour satisfaire ses envies si, le dimanche par exemple, le travail lui manquait. Le discret mais ultra-performant ordinateur qui lui permettait alors de se défouler était en outre destiné aux jeux (on pouvait ainsi participer virtuellement aux plus connus des jeux télévisés) et à la connexion au Réseau et à ses divers services (téléphone, web, musique…).


D’ailleurs, à propos de musique, quittons le salon sur la pointe des pieds (Io dort toujours) et ouvrons une autre porte du couloir, donnant celle-ci sur la salle de bain. Le rapport entre la musique et la salle de bain ? Ne me dites pas que vous n’avez jamais chanté sous la douche ! C'était le lieu idéal pour la promotion des nouveaux tubes : la cabine se transformait en une sorte de karaoké publicitaire, l’eau donnant aux nombreux clips un aspect « carte postale » du plus bel effet…


Et en dehors des W.C. (où la pub laissait le champ libre aux infos, dont l’aspect sérieux trouvait là toute sa place), la seule autre pièce de l’appartement était la chambre à coucher.

Celle-ci était axée sur deux choses fondamentales : un réveil réussi, et une bonne éducation aux règles de la Société. Quand il se couchait, et jusque pendant la première phase de sommeil, l’occupant du grand lit trônant au milieu de la salle entendait, tel un murmure incessant, les différents slogans qui formaient les règles et les lois de la Société. De cette façon ils étaient incrustés à jamais dans sa mémoire, et l’auditeur leur était entièrement ouvert, car, pendant qu’il s’endormait, il ne se demandait guère quel crédit il devait accorder à ce qu’il entendait.

Mais Io, prudent désormais, s’était longuement affairé à obstruer tous les haut-parleurs : plus rien ne réussirait à le rattacher à la Société.

Quant à la réussite du réveil, elle était assurée en moins de cinq minutes : une faible lumière s’allumait d’abord, accompagnée d’un léger carillon. La luminosité s’accentuait ensuite tandis que retentissaient tambours et trompettes.

Le lit se mettait alors progressivement à vibrer, de plus en plus fortement jusqu’à ce que son occupant se retrouve littéralement éjecté (sans douleur cependant) sur le tapis.

Et alors le lit atteignait le summum de l’ingratitude pour ceux qui avaient vraiment du mal à débuter leur journée et qui se seraient bien recouchés (oh, seulement quelques secondes, le temps d’être bien réveillé…) : il se refermait.


Debout !

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