Chapitre IV.2

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Io, comme il s’en rendait compte maintenant, s’était trompé au sujet de l’immeuble : ce n’était pas un système d’habitation standard, loin de là. C’était un bâtiment high-tech, de conception ultra-récente, qui abritait bien des appartements dans les niveaux supérieurs, mais aussi des tas de bureaux, ateliers, chaînes de montages… dans les premiers étages et sous-sols.

« A quoi diable est-il destiné ? se demanda-t-il. Il est presque achevé, seules quelques couches de peinture manquent par-ci par-là, mais… Je n’ai jamais su qu’il existait des immeubles de ce type, aussi polyvalents et modernes. »

Tout d’abord, et ce ne serait ni le plus facile ni le plus amusant, il allait lui falloir s’assurer que l’immeuble était réellement vide.

« Pas de temps à perdre ! Commençons l’exploration. » Tous les systèmes fonctionnaient, et heureusement l’électricité semblait circuler partout.

Il décida d’aller en premier lieu aux sous-sols. Il y en avait cinq auxquels il pouvait avoir accès, et ceux-ci étaient absolument déserts ; personne, pas le moindre signe d’une activité quelconque… Par contre, des centaines de machines, flambant neuves, attendaient, étincelantes sous les lumières, qu’on leur délivre leurs instructions ; les sous-sols semblaient en effet aménagés de façon à pouvoir produire tout ce dont on pourrait jamais avoir besoin, du microprocesseur à l’avion privé en passant par la bombe atomique…

Finalement, rien d’intéressant : « Jamais je ne saurai comment faire fonctionner quoi que ce soit ici », pensait Io. Il remonta donc.

Dans les premiers étages, il trouva quantité de bureaux, informatisés selon les derniers progrès technologiques, destinés vraisemblablement à accueillir une multitude de « têtes pensantes » qui, pour le moment et d’ailleurs fort heureusement, pensaient ailleurs.

Il dénicha aussi plusieurs salles de restauration, dont l’équipement était en parfait état de marche (« plus de problèmes de nourriture pour l’instant ; voilà au moins une chose de réglée »), des salles de détente, de gymnastique… En bref, il y avait absolument tout pour travailler dans les meilleures conditions possibles. Et ici encore, pas un chat en vue.

Il continua pourtant son exploration, inspectant le plus de bureaux possibles, jetant un œil dans chaque salle de réunion, arpentant les lieux en tous sens, au cas où…

Mais quand il en arriva enfin aux habitations, dans les étages du haut, il était tout bonnement exténué. « Encore un effort, se dit-il. On va encore inspecter quelques appartements, et puis, fini ! De toute façon, il n’y a personne. »

Les appartements étaient quelque peu spartiates, mais c’était normal, puisque l’on pouvait tout trouver ailleurs dans l’immeuble, aussi bien pour manger que pour se détendre. Io visita encore une dizaine de ces appartements, puis, quand il n’eut plus la force de continuer, il s’écroula sur le premier lit qu’il trouva, et s’endormit aussitôt.

*

* *

Le lendemain, quand il se réveilla, aux aurores, tout était parfaitement silencieux, mais cette fois il savait ce qui l’avait tiré du lit : les tiraillements de son estomac. Il n’avait pas mangé depuis son repas expéditif de la veille à midi, et il se précipita vers les cantines.

Quand il arriva devant l’une des salles, il fit s’ouvrir la porte en l’effleurant de la main, la franchit et… Tchac ! Tchac ! Son entrée fut « saluée » par deux énormes flashs de lumière, les ampoules se mettant ensuite à scintiller rapidement avant de produire à nouveau un éclairage normal. « Le système électrique a sans doute besoin d’être rodé, pensa Io. Bizarre… Tout semblait jusqu’ici fonctionner sans le moindre problème. »

Enfin… peut importait. Il y avait, tout le long de trois des murs de la pièce, une trentaine d’immenses synthétiseurs-cordons-bleus, des piliers carrés qui montaient jusqu’au plafond, ainsi bourrés de réserves en matières premières alimentaires de toutes sortes.

Io aurait dévoré absolument n’importe quoi, mais puisque pour une fois il n’avait pas d’horaires à respecter, il se commanda un bol de café fumant avec des croissants à la confiture, des céréales croustillantes et une appétissante brioche. Il s’en léchait déjà les babines, quand… « C’est pas drôle ! » s’écria-t-il à la vue du contenu de son plateau. Pour son petit déjeuner, il allait devoir se contenter d’une épaisse bouillie, très nourrissante et enrichie en protéines certes (le synthétiseur ne pouvait quand même pas délivrer des repas déséquilibrés), mais il aurait de loin préféré la brioche. « Sans doute les machines n’ont-elles pas encore été pleinement approvisionnées, on ne peut peut-être obtenir que de la nourriture de première nécessité… Tout de même, c’est rageant. »

Il mangea cependant sa bouillie, qui n’était d’ailleurs pas si mauvaise, puis se dirigea, assez perplexe, vers la chambre où il avait laissé son sac à dos. Il y déciderait ce qu’il allait faire.

Il ouvrit la porte, et retrouva la tranquillité apaisante de l’appartement. Il s’avança vers l’intérieur (toutes les habitations se constituaient de trois pièces fort réduites : un petit séjour sur lequel donnait directement la porte, la chambre et une salle de bain) et VLAM ! La porte claqua dans son dos sitôt qu’il l’eut franchie, tandis que la vitre de l’unique fenêtre s’opacifia instantanément, suivant de peu la coupure de l’électricité.

Il faisait totalement noir, et on l’avait enfermé. « Qu’est-ce qui se passe ?! » s’écria-t-il. Son cœur tambourinait dans sa poitrine.

Petit à petit, à mesure que sa respiration reprenait un rythme à peu près normal, ses yeux s’habituèrent à l’obscurité. Il finit par distinguer une très faible lueur dans la chambre, vers laquelle il se dirigea à tâtons, craignant à chaque pas de donner de la tête dans quelque chose. Quand il fut enfin dans la chambre, celle-ci était redevenue le repère des ténèbres : plus aucune lumière. Io regarda tout autour de lui, tournant sur lui-même en perdant toute orientation, puis il réaperçut la faible lueur dans la salle de séjour qu’il venait de quitter. Il se précipita vers elle, s’encastrant parfaitement dans la table, le choc lui coupant net la respiration. La lumière fantomatique avait à nouveau disparu…

Il se résolut à gagner la chambre et son lit et à attendre que l’électricité revienne ; mais, en passant devant la porte ouverte de la salle de bain, il aperçut la lueur qui se reflétait dans le miroir.

Cette foi-ci, elle ne disparut pas, alors qu’il observait son reflet dans la glace. C’était un banal point lumineux, vaguement bleuté, rien d’autre ; il finit d’ailleurs par s’en aller quand il se rapprocha pour y voir un peu plus clair.

A nouveau le noir total, donc. Mais le silence était rompu par un léger murmure, qu’il finit par localiser sur sa droite après avoir écouté attentivement pendant un long moment. « Probablement encore un émetteur publicitaire défectueux » se dit-il ; mais, ne parvenant pas à comprendre le moindre mot, il se rapprocha quelque peu, l’oreille en avant. Le son semblait venir de par-delà le mur, comme un complot discuté à voix basse de l’autre côté des ténèbres. Il approcha encore son oreille pour la coller au mur, puis splash ! Ses genoux heurtèrent quelque chose, et il se retrouva dans la baignoire, remplie d’eau froide pendant son absence.

A ce moment, toute la lumière revint, afin qu’il puisse mieux contempler sa déchéance, trempé dans sa baignoire, pendant que toutes les radios de l’appartement s’allumaient, créant pendant quelques secondes une gigantesque cacophonie. « Décidément, on se moque de moi » pensa Io, frustré.

Il se hissa péniblement hors de l’eau. « Je suis complètement trempé ! râla-t-il. Mes vêtements sont de vraies serpillières ! » Il se sécha la tête du mieux qu’il put, puis sortit de l’appartement, à la recherche d’une pièce où il pourrait étendre ses habits, ou s’en procurer d’autres si possible. Il se retrouva donc encore une fois à errer dans les couloirs, suivi de près par trois robots nettoyeurs qui s’affairaient silencieusement à effacer toute trace de l’eau qui dégoulinait derrière lui en une longue traînée.

« Où diable est donc la lingerie, si jamais il y en a une ? » Il y avait peut-être un plan quelque part, pourquoi pas juste derrière lui, là-bas… Ils fonçaient sur lui. Il sauta par-dessus les deux premiers robots nettoyeurs qui s’étaient littéralement rués sur sa position avec une vitesse et une puissance à peine croyables, puis fit un écart pour éviter le troisième, qui fit un écart pour lui rentrer dedans, lui fauchant la jambe.

Io se retrouva donc une fois de plus les quatre fers en l’air, parmi la flaque ruisselante de ses vêtements. « Il y quelqu’un d’autre dans ce bâtiment, ou je deviens fou. Et ce quelqu’un semble plein d’un sens de la plaisanterie que j’ai, je l’avoue, un peu de mal à partager ! » Io était maintenant furieux.

Il fit route vers le hall de l’immeuble (si quelqu’un y était passé, il saurait bien s’en apercevoir), trouva la lingerie en chemin et y fit sécher ses habits en quelques minutes. Puis il décida finalement de récupérer son sac et d’aller faire un tour dehors, histoire de voir s’il s’y passait quelque chose, et d’essayer de se calmer un peu.

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