58 : Amicalement vôtre

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Appartement Oettinger

Quartier de la Préfecture

Cergy-Pontoise (95)

Fin janvier 2011

Le troisième jour

20:25

The Cranberries à plein tube : Zombie. Des emballages de chips et de biscuits apéritifs jonchant le sol. Un plaid écossais et quelques fringues jetés anarchiquement sur le canapé hors d'âge. Une bouteille de Jack Daniel's, un verre de whisky à moitié vide sur la table basse en verre trempé et métal epoxy. Un rail de coke prêt à être consommé aussi. Marina eut l'étrange impression de ne pas être attendue. Elle était entrée dans l'appartement de son ami avec son propre jeu de clés. Le salon ne ressemblait en rien à cette agréable pièce à vivre qu'il aurait dû être. Il était sens dessus dessous, comme livré à lui-même. D'autorité, elle coupa la musique puis se retourna et se retrouva face à son frère d'armes. Ils poussèrent tous deux un cri de stupéfaction.

— Putain Mari, tu m'as fichu une de ces pétoches ! Je t’ai pas entendue arriver.

— Ce n'est pas étonnant, avec ton I-pod poussé à fond. Aucun de tes voisins ne s'est jamais plaint ?

— Mes voisins, je les emmerde !

— Comme c'est aimable ! Au vu de ton humeur massacrante, j'en conclus que ce n'est ni ta première rasade d'alcool ni ta première ligne de saloperie...

— N'emploie pas ce ton moraliste et dédaigneux avec moi, s’il te plaît, je n’ai pas besoin de tes sarcasmes. Tu sais très bien que je suis au plus mal et que j’en ai besoin.

— Là pour l'instant, c'est plutôt ton gratin qui a l'air de se sentir mal, si j'en crois la fumée qui se dégage du four...

— Oh merde, merde !

Le grand rouquin se précipita dans la kitchenette pour récupérer son plat carbonisé et le posa sur le plan de travail.

— Tu n'as rien contre une tartiflette bien cuite j'espère ? ironisa-t-il, un léger sourire au coin des lèvres.

— En même temps, ai-je vraiment le choix ?

— Sinon, j'ai une salade verte toute simple avec des croûtons. Ça t'irait ?

— Va pour la salade, vieux frère. Parce que question cuisine, t'as pas vraiment fait de progrès depuis Joyce !

Une minuscule table imitation aluminium, taillée pour deux, pas plus. Marina, Marc et le silence. Un silence à couper au couteau, à peine troublé par le tintement des couverts contre les assiettes. La jeune femme n’en pouvait plus de cet air maussade qu’affichait son singulier interlocuteur.

— Marco, pourquoi m’as-tu invitée au juste ? Certainement pas pour la bouffe, parce que c’est encore moins gastronomique qu’un menu Weight Watchers. Ni pour la conversation, étant donné que tu n’as pas prononcé plus de dix répliques depuis que j’ai débarqué chez toi.

— Je n’avais pas envie d’être seul. Surtout pas ce soir. Je… Je n’arrive pas vraiment à réaliser que Katia nous a quittés. Ça va être trop dur de lui faire mes ultimes adieux demain matin.

— Je serai là, vieux frère. On sera tous là, lui répondit Marina d’un ton empli de sollicitude tout en prenant sa main.

— Je sais. Mais les amis ont beau t’entourer, te soutenir du mieux qu’ils peuvent, quand la porte se referme, tu te retrouves comme un con avec ta souffrance, ton chagrin…

Regard gris-bleu hagard… La jeune femme faisait tout pour le capter, pour ne pas le perdre, pour ne pas qu’il sombre. Évoquer son ex, fidèle parmi les fidèles. La seule qui ne le jugeait pas.

— Joyce va-t-elle venir à l’enterrement ? J’ai cru comprendre qu’elle était en France.

— Elle avait prévu d’assister aux obsèques de Katia. Seulement, je me suis pris la tête avec elle. Pour une connerie. A l’heure qu’il est, elle est peut-être rentrée à Londres.

— Elle te connaît mieux que personne. Je ne crois pas qu’elle se formalise pour si peu…

— Arrête, Mari ! Arrête de me trouver des excuses à tout bout de champ ! J’ai été un mufle avec elle. Je l’ai rembarrée par jalousie, parce que je lui en voulais de préférer squatter chez Furhmann plutôt que chez moi. Je ne suis qu’un égoïste. Elle a accepté sans broncher ma nouvelle compagne, ma vie sans elle. Et moi, moi je me permets d’être odieux avec elle, comme si je lui interdisais d’essayer d’être heureuse.

— Putain, Marco, cesse de te lamenter en permanence, merde ! Tu ne peux pas douter de son amitié comme ça. Elle assistera aux funérailles de Katia, sois-en sûr…

Le grand rouquin envoya valser ce qui se trouvait sur la table et se mit à sangloter comme un minot.

— Excuse-moi Marco, je n'aurais pas dû m’emporter comme ça...

Elle essuya de son doigt la perle humide qui roulait sur la joue de son ami, mais il se déroba en se levant précipitamment de sa chaise. Il se dirigea vers le vestibule pour prendre son manteau, sa chapka et son revolver. Marina le suivit, perplexe.

— Je croyais que t’avais jeté ton flingue dans la flotte…

— Celui-là, il est perso, répondit l’inspecteur en glissant l'arme à feu dans son jean.

— Et je peux savoir où tu vas ?

— Il faut que je sorte, rétorqua le rouquin en reniflant. Je t’ai fait une promesse, celle de te ramener ton fils. Et je compte bien la tenir !

— Attends, je t’accompagne…

— Non, Mari ! Personne ne parlera si tu es avec moi. Tu avais déjà la réputation d’être un flic inflexible, une chieuse de première. Ta récente médiatisation n’a fait que confirmer cette impression dans le milieu.

— Je ne vais pas rester toute seule ici à faire la bonniche pendant que tu vas écumer les bas-fonds de la capitale, tu rêves !

— J'ai eu des échos de la Mondaine. Nos collègues sont sur le pied de guerre. Une transaction est prévue. Une grosse transaction. Il faut que je sache où et quand.

— On n'a pas besoin de ça pour coincer Eagle, Marco. J’ai des billes contre lui. Pour faire court, le meurtre de Bouba et Jonath’, c'est son œuvre. Un règlement de comptes en rapport avec la dope qu'on a retrouvée sur la planche de bord de la Béhème. Si je parviens à faire le lien entre le décès de Samir Assouyef, l'enlèvement de Melody Leprince, sa petite amie, et le trafic de stupéfiants piloté par le Caïd, je démonterai son empire et briserai son auréole de martyr des banlieues. Alex et Melody sont dans ses filets, retenus quelque part, ensemble. Seulement, la star du hip-hop va bientôt dégringoler de son piédestal, avant même qu'elle n'ait pu faire quoi que ce soit. En tout cas, j’y veillerai.

— Tu peux prouver tout ce que tu avances ?

— Pas encore, mais j’espère bien le confondre.

— On ne peut pas attendre, ni risquer qu'Eagle nous double en se débarrassant de nos deux ados sur le marché de la prostitution. Il n’y a plus de temps à perdre.

Oettinger s’apprêtait à quitter l’appartement. Il se retourna une poignée de secondes.

— Dès que j’ai des news, je t’appelle. Repose-toi, petite sœur. On aura besoin de toutes nos forces dans les heures qui viennent.

Il caressa tendrement la joue de son amie avant de lui tourner le dos et se retirer dans la nuit.

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