Chapitre 2 ( Partie 3/3 )

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Soulagée, Maria ne se fit pas prier pour s'affaler sur un siège. Toutes ces attaques l'avaient éreintée. Elle adressa un petit coucou à Ikira lorsque le chef de bloc la déposa, sans réponse. Son regard était complexe, à moitié dans la lune, et elle tenait à peine debout. En réalité, elle ne ressentait ni joie, ni peur, ni quoi que ce soit, y compris la douleur de ses blessures. Elle voulait juste dormir mais elle ne pouvait s'empêcher de ressasser sans cesse les événements. Impossible de comprendre, tout ceci n'avait aucun sens...

— Hé, ça va ?! s'approcha subitement Ethedra, suivi de Vélia.
— On a eu si peur ! Regarde ta joue, et ton bras ! Mon Dieu, tu as du être terrifiée ! Elle n'osa pas la toucher pour ne pas lui faire mal. Ikira leva la tête et vit leurs yeux en larme.
— V... Vous... marmonna-t-elle, triste de les voir dans cet état à cause d'elle. Évidemment que je vais bien... Elle sourit un peu, ses yeux se plissèrent légèrement. Vous êtes vraiment gentils... Elle les prit dans ses bras malgré la brûlure. Elle se sentait si bien.
— Allez petite, je dois t'emmener à l'infirmerie.
— Oui... Elle les lâcha et se tourna vers Maria. Tu vois, M. De Lachaîne a fait fuir le lutin géant sans le tuer. Il suffit d'être plus fort ! dit-elle avec une joie insoupçonnée.
— Tss, tu es toujours sur ça, répondit-elle avec un petit sourire.
— C'est bon monsi... Ikira tomba dans les pommes en plein milieu de sa phrase.
— Et beh, la pauvre est complètement morte, soupira le vieux en la rattrapant. Ne vous inquiétez pas, elle a juste besoin de repos.

Ikira dormit dans le lit de l'infirmerie durant le reste du trajet. Le médecin de bord, le docteur Japier, lui avait désinfectée et recousue la joue. Il avait agi vite et bien, les cornes des lutins foreurs étaient si sales qu'une simple éraflure pouvait s'avérer mortelle. Il avait également traité sa brûlure avec une pommade à l'odeur repoussante. Ce type de blessure était courant dans la région. Les débutants se trouvaient parfois dans des situations désespérés, la peur et l'adrénaline les poussaient alors à dépasser leur limite. Cela avait pour conséquence un épuisement total des ressources du corps, entraînant une perte de conscience pendant quelques heures.

Pendant ce temps, le bloc E fut délocalisé en raison de l'énorme trou au plafond. M. De Lachaîne accompagnait les adolescents, ils avaient besoin d'un soutient psychologique après avoir vu leur amie au bord de la mort. Son deuxième fils Bobby se trouvait à ses côtés. Il était encore plus jeune que M. Parjhib. Il portait des lunettes de soleil doublé d'un sourire imperturbable. Avec ses courts cheveux noirs rasés sur les côtés et à sa boucle d'oreille, il se démarquait facilement des autres. Sa peau était mate, contrairement à celle de son père ou de son frère. Sa présence dédramatisait la situation, néanmoins une certaine tension demeurait chez Vélia et Ethedra. Quant à Maria, elle se reposait paisiblement dans un coin.

— Une heure est passée depuis l'attaque, comment vous sentez-vous ? leur demanda le vieil homme.
— Bien, je crois... répondit le garçon, on n'est pas blessé en tout cas.
— Je vois. Il les invita à s'asseoir afin de rendre la discussion plus amicale. Je ne vais pas passer par quatre chemins, est-ce que vous comptez mettre un terme à votre voyage ? Les deux enfants se regardèrent un instant, gênés.
— Je ne sais pas, bredouilla Ethedra, c'est beaucoup trop dangereux pour des enfants comme nous alors...
— C'est vrai, continua Vélia qui avait cependant une plus grande assurance que son amie, lorsque l'on a décidé de partir, on ne savait pas à quel point les monstres étaient problématiques. La gueule cauchemardesque du lutin foreur réapparut comme un flash dans son esprit, elle serra alors fermement ses vêtements. Je... J'ai peur, pour être franche... Ikira s'est faite attraper juste devant nos yeux et... Ses yeux s'embuaient au fur et à mesure que sa voix se brisait. Et on ne pouvait rien faire à par hurler son nom... Elle a failli mourir et on n'y pouvait rien ! Elle s'arrêta de parler telle sa boule au ventre était dense. Ethedra n'osait plus rien dire non plus.

Le souvenir de l'événement se rejouait sans fin dans leur tête. Il leur était impossible de se calmer, ils étaient terrifiés par l'avenir. Le vieux barbu comprit alors l'origine du problème, ces enfants n'avaient pas du tout confiance en eux. Ils s'étaient bercés de rêves, mais la chute avait été trop importante, et maintenant, rien que l'idée de grimper ces nouvelles difficultés était insupportable. En somme, leur détermination n'était pas suffisamment forte pour surpasser leurs peurs.

— Hé les petits, il ne faut pas partir perdant dès le début ! intervint Bobby qui voulait les motiver.
— Tu dis ça, mais ça me semble impossible de gagner, on est trop faible... lâcha le blondinet, tout ce qu'on va réussir à faire, c'est de mourir les uns après les autres simplement parce qu'on voulait partir s'amuser... !
— Ouah ok je vois le genre... soupira le jeune homme, vous abandonnez avant même d'essayer, comme si vous ne compreniez pas que c'est en surmontant les obstacles qu'on avance ! Son ton condescendant de donneur de leçon agaça fortement les adolescents.
Et comment on surmonte la mort ?! vociféra Vélia, surprise de cette colère soudaine. Pardon, je ne voulais pas crier... C'est juste que je ne me fais plus d'illusions, c'est pas avec de la volonté et de l'amour qu'on vaincra des monstres qui peuvent nous déchiqueter sans efforts... Elle respira un bon coup, ses propres mots la choquaient. En bref, nous sommes bloqués par notre propre faiblesse d'humain.
— D'après mon expérience, ce sont la volonté et l'amour qui nous octroient la force de surpasser les difficultés, contesta M. De Lachaîne qui savait désormais comment les aider à se motiver.
— Euh, je suis désolé mais de quelle expérience est-ce que vous parlez ? se renfrogna Ethedra qui ne le croyait pas, vous travaillez dans un tunnel, vous n'êtes pas un aventurier...
— Oh non, ce n'est qu'un travail temporaire qui paye vraiment bien. Je suis très connu dans la sphère des explorateurs, et par conséquent dans la région des Îles Flottantes. Il fit une petite pause, pour reprendre avec une voix plus douce. Je sais ce que ça fait d'être jeune et d'avoir peur de la cruelle réalité de ce monde. Donc, voulez-vous bien m'écouter ?
— O-oui, bien sûr... répondit timidement le garçon. Lui et Vélia étaient impressionnés de se retrouver face à un aventurier d'élite.
— Grâce à ma longue carrière d'explorateur, je peux vous assurer que je sais ce que ça fait, de voir des proches mourir devant ses yeux... Mais ce n'est pas pour autant que je dirais qu'ils ont fait une erreur. Ils se sont battus jusqu'à leur dernier souffle pour leurs rêves, leurs idéaux ! Même à la fin, mes coéquipiers avaient le sourire aux lèvres... Ils étaient heureux d'avoir vécu leur vie au maximum, d'avoir pu se sacrifier pour que d'autres continuent la leur ! Alors je vous en prie, ne laissez pas vos peurs vous guider, ils doivent devenir un moteur qui vous poussent à vous surpasser pour atteindre vos objectifs !

Il parlait de la mort d'une manière si particulière que les enfants ne comprirent pas du premier coup. Comment pouvait-on ne pas être effrayé par son discours où il révélait que nombre de ses compères ont été tués au cours d'une aventure... Certes, personne n'échappait à la mort, alors être capable d'être heureux à cet instant témoignait d'une vie bien remplie et exceptionnelle. À un moment de leur réflexion où ils pesaient le pour et le contre, où ils se demandaient si tout ceci valait réellement le risque, ils pensèrent à leurs deux amies, Maria et Ikira. Elles ne se poseraient même pas la question. Leur détermination sans limite les pousseraient à affronter tous les dangers simplement parce qu'ils se trouveraient sur leur chemin. Les deux adolescents voyaient où M. De Lachaîne voulait en venir, mais le choix n'en restait pas moins difficile. Est-ce qu'eux seront capables d'affronter ce monde ?

— Vous n'êtes toujours pas convaincus ? devina-t-il en regardant leur tête, il joua alors sa dernière carte. Laissez-moi vous poser une dernière question. Pourquoi voyagez-vous ?
— Pour découvrir l'histoire, les trésors et les secrets d'Evester, répondit fièrement la fille aux cheveux roux, directement suivie par le fermier.
— Je veux tout apprendre, tout ! Comme ça, je pourrais aider Ikira à réaliser ses propres objectifs !
— Vous voyez, vous avez vos propres raisons de partir. Ce qu'il vous manque, c'est de la conviction. Je peux vous assurer que vous quatre feriez d'exceptionnels aventuriers. Vous avez le droit de douter de ce que je dis, faites-vous votre propre avis. Cependant, n'oubliez pas que c'est vous, qui décidez de ce que vous êtes capables de faire ou non.

Les enfants pivotèrent la tête afin de se regarder droit dans les yeux et se mirent à sourire. Ils étaient maintenant convaincus qu'ils accompliraient leurs rêves. Bien sûr, ils savaient que le chemin allait être long et que la peur serait toujours présente. Toutefois, M. De Lachaîne leur avait donnés les clés pour la surmonter. Ils remercièrent vivement le chef de bloc ainsi que son fils pour avoir pris le temps de les aider. Ils n'oublieraient jamais leurs précieux conseils et travailleraient d'arrache-pied pour respecter leurs propres ambitions.

Ce fut dans cette motivation renouvelée que le bus débarqua au deuxième hôtel. Le médecin réveilla Ikira en douceur, elle se sentait plutôt bien mais elle était préoccupée par un petit détail, elle n'avait pas rêvé. Ce n'était rien de grave, mais c'était la première fois que sa folle imagination ne se manifestait pas dans son esprit. Ses pensées disparurent à la vue de ses amis affichant un air des plus enjoué, ainsi que de Maria qui ne montrait comme d'habitude pas grand-chose de ce qu'elle ressentait. Ils discutèrent comme jamais au moment du repas, se découvrant une passion pour l'aventure inégalée. Le hall était divisé en trois groupes, ceux dont les événements les avaient amusés davantage, ceux qui stressaient et ceux qui s'en fichaient. Nos adolescents faisaient partis du premier, malgré l'exposition directe au danger. Vélia et Ethedra ne cachaient pas leur peur, ils l'assumaient. Cependant, Ikira n'était pas du tout effrayée, elle se trouvait elle-même très étrange...

Comme ils se l'étaient promis, Ethedra et Maria se défièrent au potentiel magique. Le garçon n'était pas rassuré, surtout lorsque la blonde le fixait avec un regard contenant plus d'irritabilité que normalement. Le début fut assez facile, il remplit sa couleur jusqu'à la moitié alors que Maria augmentait la dose petit à petit. Toutefois il perdit rapidement pied, il forçait encore et encore mais il arrivait à peine à tenir. L'adolescente émit cependant un sourire, ce qui l'étonna beaucoup.

— Tu sais, mon objectif n'est pas aussi noble que les vôtres, commença Maria, je veux simplement devenir plus forte.
— Je trouve... Que c'est... Une raison suffisante...

Elle ne s'attendait pas à une réaction si mature de la part du fermier. Elle ferma les yeux et souffla, contente, avant de le battre en quelques secondes. Ethedra était dépité, il était encore très loin de son niveau. Maria n'était pas d'accord, même si l'entraînement du Dr. Boréal était étrange, elle trouvait qu'il s'était réellement amélioré. En fait, il avait fait d'incroyable progrès, multipliant sa maîtrise par cinq, d'après elle. Il était très heureux et n'attendrait pas longtemps avant d'annoncer la bonne nouvelle à son inventeur. Avant de partir, il posa une question à son amie d'enfance.

— Et toi Ikira, pourquoi tu es partie ?
— Je... Elle réfléchit longuement, croyant initialement qu'elle s'ennuyait dans son village. Je... Je veux savoir comment marche ce monde, si d'autres peuples existent comme les Mangeurs et régler tous les problèmes du monde ! Et ça, je veux le faire moi-même.

Cette réponse le satisfit complètement, il était désormais sûr qu'elle aurait toujours besoin de lui à ses côtés. Quelque temps plus tard, il fut l'heure de se coucher. Ikira qui pensait être plus affectée par l'accident se rendit avec les autres dans leur chambre au deuxième étage. Sur la route, ils croisèrent l'étrange homme à la longue cape noire et aux vêtements turquoise, celui qu'Ikira avait croisé ce matin et qui lui avait crié dessus sans raison. Elle essaya de ne pas le regarder, mais il était impossible de ne pas le remarquer. Il souriait de toutes ses dents et ses yeux pétillaient de malice, comme s'il allait dévorer un énorme steak. Son visage était si malsain que tout le monde se sentait mal à l'aise en le voyant. Qu'est-ce qui avait bien pu arriver pour qu'il devienne une autre personne ? L'attaque des monstres peut-être. En tout cas, il ressemblait à un véritable psychopathe. Heureusement, le moment passa très vite. Ikira se souvenait qu'elle avait aperçu d'autres personnes portant des habits aux couleurs bleues ou vertes. C'était sûrement une mode venue d'ailleurs, Maria aussi était habillée en turquoise. Elle n'y prêta pas plus d'attention.

Cette longue journée se finissait enfin. Notre héroïne écrivit dans son journal avant de se coucher. Elle avait une certaine appréhension pour le futur mais elle se sentait bien. Ses yeux se fermèrent et elle s'endormit rapidement.

Puis les horribles cauchemars commencèrent.

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