Songes oubliés

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Le repos. Avouons qu'on apprécie tous ce moment de notre vie où l'on peut s'abandonner dans nos draps, oublier tous nos soucis et juste se laisser sombrer dans des rêves mensongers. Des songes qui égayent nos vies, et qui parfois nous permettent de tenir le coup quand tout va mal. Une drogue naturelle, sans dangers paraît-il, à laquelle nous pouvions tous devenir accro. Rêver. Juste s'allonger, fermer les yeux et se laisser glisser vers un monde où tout est rose. Un monde où tous nos problèmes n'existent plus. Où l'on peut être qui l'on veut. Faire ce que l'on veut, quand on le veut. Mais chaque chose a une fin et le réveil s'annonce bien souvent violent. Peut-être même plus que la réalité elle-même. Ce jour-là, mon réveil fut le plus violent qu'il me fut donné de vivre...


~

Étourdie par mes songes passés, je ne compris pas tout de suite où je me trouvais. Quand m'étais-je couchée, déjà ? Et surtout, où ? Je n'avais plus le moindre souvenir de ma soirée ou même du jour qu'il était. M'attendait-on quelque part ? Je ne savais plus...

Soudain, une énorme masse noire me fondit littéralement dessus, m'écrasant de tout son poids. J'étouffais sous les couvertures, la masse ne me permettant pas de m'en dégager avec facilité. Que diable était donc cette chose ? Je la sentis renifler ça et là, remontant le long du lit pour monter jusqu'à mon visage. Menace ? Oui et non. Une langue surgit brusquement de la gueule béante de l'animal qui me lécha abondamment le visage, me rappelant pourquoi la réalité était aussi désagréable. Bave de chien, toilette intégrale du visage. Mauvaise haleine pour bonus. Cette journée commençait vraiment bien... L'animal aboya, et je sentis sa queue battre en rythme le lit pour manifester sa joie de me voir. Oui, oui, un peu de calme...

« - Anya ? Tu es... Tu es là ? » se hasarda une voix chevrotante de l'autre côté de la porte à demi close de la pièce où je me trouvais. Ainsi, je m'appelais donc ainsi ? Je ne m'en souvenais pas...

La porte s'ouvrit davantage, laissant un flot de lumière investir les lieux comme une vague géante qui s'abattrait sur une ville, dévastant sur son passage toutes traces de la civilisation au même titre que cette radiance me tirait totalement des bras de Morphée. Je clignais des yeux, peinant à m'habituer à la luminosité nouvelle. Les secondes passèrent avant que je ne puisse distinguer clairement la silhouette qui se tenait à l'encadrement de la porte. Une vieille femme attendait, un plateau sous le bras. Elle avait l'air de ne pas en revenir. Elle appela l'animal qui descendit du lit en toute hâte pour la rejoindre, le caressa, puis sembla hésiter. Devait-elle entrer dans la pièce ? Assise sur le lit, je l'observais sans un mot, ne sachant quelle attitude adopter. Ma présence ici n'était-elle pas normale ? Seule cette personne pourrait me le confirmer...

« - Tu...tu es revenue alors, hein ? Je... Je ne pensais pas... Mais je suis tellement heureuse.... Oh oui, tellement heureuse de te voir ici. » murmura-t-elle en serrant dans sa main le pendentif qu'elle portait autour du cou. « Surtout, prends ton temps... Oui, rien ne presse... L'école pourra attendre...»

Puis elle s'en alla comme elle était venue, claudiquant dans cette demeure inconnue pour retourner à ses affaires. Elle devait être la maîtresse de ces lieux et je devais être l'une de ses proches. Je ne voyais pas d'autres explications. N'y comprenant plus grand chose, je décidais tout de même de me lever, espérant obtenir des réponses à mes questions en visitant cet endroit. Je mis un pieds au sol, manquais perdre l'équilibre en buttant contre un obstacle mais l'obscurité ne m'aida pas à savoir de quoi il s'agissait. Qu'importait après tout. Je devais rejoindre cette lumière pour savoir de quoi tout cela retournait !


~


« - Tu es debout ? Tu pouvais prendre ton temps, je sais que tu aimes dormir ! Cela fait tellement longtemps que tu n'es pas venue dormir à la maison... Et puis tu ne dois aller à l'école que tout à l'heure. Vraiment, tu as le temps... Nous pouvons rester un peu ensemble, toi et moi » me proposa gentiment la grand-mère qui s'était installée devant la table de la cuisine, fixant d'un air absent le bol de café fumant qui attendait devant elle.
« - Je pense que je vais aller en cours, on ne peut pas vraiment manquer ce genre de chose » déclarai-je, poussée par ma curiosité.

J'avais tellement envie de découvrir l'extérieur. De savoir pourquoi j'étais ici. Qui étaient les gens que je pourrais croiser. Qui j'étais moi-même. Anya... Un nom qui ne m'était pas du tout familier. Il sonnait creux. Il sonnait faux. Anya... Qui pouvais-tu donc être ? Certainement pas moi.

La vieille dame me dévisageait tristement, visiblement désolée de ne savoir comment m'aborder. Avait-elle compris que je ne la reconnaissais pas ? Savait-elle donc qui j'étais réellement ? Elle avait l'air tout aussi perdue que moi. Et ce petit côté fou, ce je-ne-sais-quoi qui m'attirait, qui m'apaisait quand je la regardais. J'avais envie de la prendre dans mes bras pour la remercier, pour la consoler, et peut-être m'excuser. Mais je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Lui avais-je fait du mal ?

« - Nous parlerons quand tu rentreras de l'école, dans ce cas » souffla-t-elle, avant de se lever et de disparaître de mon champ de vision. De se volatiliser comme un rêve qui s'évapore au jour levant.


~

Errant dans les vastes couloirs, je ne savais où me diriger. J'avais trouvé l'école, guidée par une sorte d'instinct fou qui me poussait à creuser plus loin encore. Chercher la vérité. Chercher encore et encore. Un besoin de comprendre la raison de ma présence ici bas. De comprendre pourquoi je n'étais plus personne. Ou l'ombre d'une personne qui n'était plus. A bout de souffle, je poursuivais ma route solitaire, scrutant de mes yeux fatigués ce monde vide qui ne m'attirait pas. Quelle ironie... Tant de vies en ce monde et pourtant nous étions tous si seuls... Je les voyais, agglutinés dans des coins, partageant à gorges déployées des rires qui sonnaient faux. Comme tout le reste. Pourquoi étais-je venue ici, alors ? Au détour d'un couloir, je vis un casier isolé. Rien de choquant à première vue. Une rangée de casiers ternes, morts. Et parmi eux, oublié, il était là, à demi clos. M'approchant, je posais la main droite sur la poignée. Il ne fermait plus... Il débordait d'immondices. Toute la méchanceté des hommes exprimée dans quelques centimètres carrés... Et la souffrance d'une âme seule, oubliée quelque part elle aussi sans doute. Je repoussais la porte cabossée et repris ma route, ne sachant trop où j'allais.


~


« - Anya ? Tu ne viens pas au club d'arts aujourd'hui ? » demanda une voix masculine dans mon dos. Intriguée, je me retournais doucement, découvrant un grand brun aux prunelles ambrées qui me fixait. Il n'avait pas l'air hostile. Juste curieux.

« - Je te suis » affirmais-je.

Il me guida jusqu'à une petite salle délabrée où attendaient quelques rares élèves, affairés devant leur pupitre pour terminer un gribouillis qu'il leur faudrait sûrement rendre d'ici quelques heures. L'ambiance était lourde. Je pris le fauteuil inoccupé et me posais un instant, détaillant les yeux sans un mot. Je n'étais qu'une ombre. Je ne faisais que passer, observer. Je ne devais pas me faire remarquer. Aucun professeur à l'horizon. Aucune consigne. J'avais l'impression de regarder un film qui se jouerait devant moi. Puis tout se remit en route brusquement. Le son, les couleurs, les odeurs. Et cette chaleur qui montait en moi... Une irrépressible colère...

« - C'est tellement mieux depuis qu'elle n'est plus là » commenta une fille à une autre, traçant distraitement un trait de fusain sur sa feuille.
« - Toujours à jouer la miss parfaite, supérieure à tout le monde... Elle me donnait envie de gerber
- Ouais, et ses cheveux... Je suis sûre qu'elle n'était pas une vraie blonde. Ses racines n'étaient pas nettes. Et son maquillage ! Oh vraiment...
- Dire que vous prétendiez être ses amies... » marmonna le garçon qui était venu me chercher, visiblement excédé. « J'espère que de là où elle est, elle ne vous entend pas... »

Que voulait-il dire par là ? Je me levais et m'approchais d'une étagère où s'entassaient les pochettes à dessins, cherchant des indices. Des réponses. Un nom peut-être. Quelque chose qui m'appartiendrait ou qui expliquerait la raison de ma présence ici. Rachel. Pauline. Quentin. Non, ces noms ne m'évoquaient rien. Heureusement, chacun avait bien pris soin de noter son nom sur son bien. Eric. Oui, Eric. Sans doute ce grand brun penaud. Dina. Sami. Noraline. Ce nom me fit l'effet d'une bombe. Noraline...

« - Pourquoi tu regardes sa pochette ? » s'indigna l'une des filles. « Même morte, elle n'est plus digne d'intérêts »

Noraline. Une grande fille blonde, qui traînait toujours avec ces deux pestes. Noraline. Une petite nouvelle, arrivée il y a de cela six mois. Noraline, à la vie imparfaite. Qui souffrait terriblement chez elle. Noraline qui s'efforçait de sourire au lycée. Noraline, qui faisait des efforts pour être au top et plaire à ses amies. Noraline qui voulait se faire accepter. Noraline qui se sentait terriblement seule et qui, s'éteignant à petit feu, avait craqué et mit fin à ses jours. Cette Noraline, je le savais, c'était moi. Ou plutôt une part de moi-même. Je réalisais soudainement la raison de ma stupeur. J'étais Noraline. Cette Noraline désorientée qui, n'ayant trouvé le chemin du repos tant désiré, s'était retrouvée attirée par une camarade de cours inconnue. Cette petite rondouillarde que tout le monde ignorait. Ou du moins, qu'on ignorait en façade mais qu'on martyrisait quand personne ne regardait. Cette inconnue sans nom au casier vandalisée. Une inconnue qui n'avait plus aucun espoir et qui avait voulu mettre un terme à ses souffrances. Cette inconnue, c'était moi. Cette inconnue, abritant l'âme de Noraline qui, dans un élan d'extrême compassion, avait voulu sauver la vie de sa camarade. Trop tard... Le gaz s'était répandu dans tout l'appartement et elles étaient parties. Toutes les trois.

Clac. Clac. Clac. Une canne approchait. Faisant volte-face, je lâchais la pochette à dessins qui s'ouvrit, un vent glacé éparpillant les croquis dans la pièce. Elle arrivait. Clac. Clac. Elle venait la chercher. Clac. Clac. Elle venait nous chercher. Clac. Clac. Plus rien ne les retenait ici désormais. Clac. Clac. Elles pouvaient s'en aller, ensemble, vers un endroit plus paisible. Un endroit où plus personne ne leur ferait de mal. Et c'était bien mieux ainsi...

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