Masque brisé

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La solitude, un sentiment que je connais bien. Un sentiment qui m'habite au quotidien. Qui m'étreint jusque dans mon lit, le soir, quand je repense à mes journées. Ces moments où je me demande pourquoi je suis ici, moi, l'incomprise. Nous avons beau être nombreux à vivre dans cette vaste demeure, à nous côtoyer chaque jour. Et pourtant, je n'ai guère le souvenir d'avoir ne serait-ce qu'une fois converser avec l'un d'entre eux. Ils sont tellement hautains. Tellement lointains aussi. Quand je les regarde, j'ai l'impression d'assister à un bal masqué sans fin, où tous se cachent derrière leurs bonnes manières, derrière des visages impassibles pour ne jamais exprimer le fond de leur pensée. Et pourtant, je suis comme eux dans le fond. Je n'aime pas parler, au point que je sursaute moi-même en entendant le son de ma propre voix quand j'en viens à pester contre quelque chose, quand je suis seule dans ma chambre. Je n'aime pas cette réalité malsaine dans laquelle je suis plongée, contre mon grès. Je suis une rêveuse née. J'aime réinventer ce monde qui m'entoure, l'adoucir. Même si ça ne peut que me faire du mal de me berner encore plus d'illusions, je me dis qu'au moins j'ai quelque chose à quoi m'accrocher. Et ça me suffit.


~

Je ne sais même plus combien nous sommes, à vivre ici. Nous ne faisons que nous frôler après tout. Ils ne sont que des ombres pour moi. Des ombres rieuses qui ne sont là que pour hanter ce lieu, lui donner un peu plus de noirceur qu'il n'en a déjà. Et pourtant je reste. J'ignore toujours pourquoi je n'ai pas le courage de partir, ni la volonté de faire changer les choses. Je ne m'en sens pas la force. Seule... Que pourrais-je y faire, après tout ? Eux aussi ont oublié jusqu'à mon nom, ils ne comprendraient pas. Je suis la fille en noire qui reste assise dans un coin de la pièce, à longueur de journée. Celle qui espère et qui, les yeux dans le vide, ne quitte pas la fenêtre des yeux. Celle qu'on n'entend jamais. Celle qui ne se plaint pas. Je suis une poupée de porcelaine exposée sur une vitrine. On me voit quand on me cherche, sinon on m'oublie bien que je sois là. Je ne dis rien, je vois tout. Et c'est ainsi que les choses ont toujours été.


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Je ne sais plus exactement quand il est arrivé dans notre demeure. Tout ce que je sais, c'est qu'il a commencé à causer un grand changement dans ces lieux si désolés... A me changer. Je ne lui prêtais pas attention, au début. Pas plus que je n'en porte aux autres d'ordinaire. Et pourtant, il m'intriguait. Je le voyais sourire sincèrement, alors qu'ils se contrefichaient de ce qu'il pouvait dire ou faire. Alors qu'ils le roulaient dans la boue. Qu'ils piétinaient ses efforts. Lui, le seul qui a réellement essayer de faire changer les choses. De ramener un peu de vie dans cette froide demeure où j'avançais, persuadée de rester cloitrée dans ce qui resterait ma tombe. Et le soleil était arrivé. La glace avait commencé à fondre, peu à peu. Je m'étais même surprise à rêver de jours meilleurs, en sa compagnie. C'était sans compter sur eux...


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Comment cela avait commencé ? Je ne m'en souviens plus exactement. Comme le reste. Je ne fais pas trop attention à ce qui m'entoure. Pourtant, je sais que ce jour là, j'étais assise dans un coin de la pièce, derrière ce long rideau pourpre. La pièce était plongée dans une semi obscurité. Ils étaient dans la pièce d'à côté. Lui aussi. Il venait d'aménager un espace à sa convenance. D'y déposer un peu plus de douceur pour tenter de les rendre plus humains. Sans franc succès. Comme des bêtes sauvages, ils se sont déchaînés sur lui. A travers cette porte entrouverte, je les voyais. Et j'ai pris peur. Pour la première fois de ma vie, j'ai osé résister. J'ai osé les affronter. Une fois la porte enfoncée, j'ai lancé ce chandelier sur le plus proche. Blessé. Le sang ruisselant lentement sur le tapis. Tous les regards se sont tournés vers moi. Froids, durs. Sauf le sien. Incompréhension. J'avais l'impression de mourir pour de bon. Je l'avais déçu, non ? Suffocante, je prenais mes jambes à mon cou, quittant pour de bon cet enfer qui était miens depuis trop d'années déjà.


~

La gorge nouée, mon cœur battant à tout rompre, je sentais cette violence qui vibrait en moi. Preuve que j'étais en vie. Je me laissais tomber dos à un arbre, ramenant mes genoux contre ma poitrine. Il faisait un peu frais et la nuit n'arrangeait en rien mon sentiment d'insécurité. J'étais partie. Je n'avais plus aucune garantie. Survivrais-je seulement à cette soirée ci ? Y en aurait-il d'autres ? Et puis, le reverrais-je, au moins une fois ? Je réalisais enfin ce que j'avais fait. Je n'avais pas réfléchis. J'avais tout simplement écouté mon instinct. Je l'avais senti en danger. J'avais voulu le protéger. Et je l'avais perdu. La réalité s'imposa à moi comme une claque violente assénée contre ma joue. Je l'aimais. Je l'aimais depuis son arrivé. Parce qu'il était tout ce que je n'étais pas. Parce qu'il avait eu l'audace d'agir, lui. Parce qu'il était la vie ; combien même on la chassait de nos cœurs là-bas. J'avais seulement voulu vivre. Avec lui... Oser espérer m'enfuir avec lui. Et je me retrouvais seule.


~

Une main sur mon épaule m'obligea à me retourner. C'était lui. Il m'avait retrouvé, tant bien que mal. Il était parti, lui aussi, alors ? Il avait fui ce caveau infernal où tout espoir ne pouvait qu'être enfoui au plus profond de la terre ? Il était venu à moi, conscient du changement qui s'était opéré. Conscient de mes sentiments ? Ses yeux, je ne pouvais les oublier. Je les avais tant cherchés du regard moi-même, sans m'en rendre compte parfois. Deux émeraudes me fixant intensément. Humides. Où on pouvait y lire toute la tendresse, toute la douceur du monde. Le meilleur que la vie pouvait offrir... Combien même ce bonheur avait résisté à la douleur. Résisté à la mort. Il était venu à moi. Il me ramena contre lui, me serrant dans ses bras. Et je me promis de ne plus me laisser aller. Je devais agir car si je ne le faisais pas, personne d'autre ne le ferait. Et la vie s'éteindrait pour de bon...

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