Louis

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Elle m’écoute. Elle n’est pas comme les autres. Je ne sais pas pourquoi je lui raconte tout ça. Ça ne sert à rien. Quand elle sera sous les pins, elle ne se souviendra plus de rien. Quand j’aurais vidé son âme, elle ne sera plus qu’un morceau de viande.

Un corps vide.

De la chair en décomposition et c’est la première à qui je dis les choses. Même Isa, dans la cage, je ne lui dis rien. Je mets la vie dans son corps. Je mets mon sexe au fond d’elle pour qu’elle porte mon fils. Je ne sais pas combien de fois je dois le faire. Ils ne nous ont pas dit. Ils nous parlaient pas de ça. Les prêtres, ils font pas de fils.

Il y a que Dieu qui a fait un fils. Celui qu’Il a laissé clouer sur une croix. Jamais ils ne cloueront mon fils sur une croix.

Tu te rends compte Dieu ? T’as laissé faire ça. Tu dis aimez-vous tous, et T’as laissé faire ça.

Elle est belle aussi, celle-ci. Elle est belle et je l’ai pas chassée. Je savais qu’elle viendrait. Souvent les voitures passent sur cette route. Quand ils s’arrêtent, je leur dis que tout va bien. Que j’ai pas mal. Que c’est pas grave, et je remonte sur mon vélo. Pas elle. Elle ressemblait à Isa, comme une sœur.

Je sais qu’Isa n’aurait pas voulu que je fasse tout ça. Elle n’aurait pas voulu que Francis et moi on les tue toutes pour le sacrifice. Je sais que la grenouille, si elle avait su, elle aurait pleuré.

Isa elle pleurait. Souvent. Quand elle avait peur, elle pleurait. Quand elle entendait les coups de son père, elle pleurait. Elle faisait semblant de dormir, et elle ne disait rien à Francis. Mais elle pleurait. Elle me l’a dit. Elle pleurait à cause des monstres de la forêt. Ceux que je lui disais qu’ils n’existaient pas.

Je mentais. Les monstres, ils existent. Je les vois parfois. Ils viennent me visiter dans les rêves. Ils viennent me dire de faire du mal aux filles que j’attrape. Ils aiment ça. Ils aiment la douleur des autres. Parfois, quand je me réveille au milieu de la nuit, je les vois qui s’enfuient, pour ne pas se montrer. Ils ont une robe de prêtre, comme la mienne.

Tous.

Et quand ils se retournent pour me regarder, je ferme les yeux. S’ils me voient, ils vont m’emporter avec eux et je ne veux pas. Je ne veux pas qu’ils m’emportent loin de la cabane. Loin de Francis et loin d’Isa.

Isa. Je continue de lui parler, mais je sors de la chambre. Besoin de m’allonger quelques minutes sur le lit où Isa s’est reposée. Il y a longtemps. Besoin de toucher les mots qu’elle a gravés sur le bois. Quand je passe ma main sur les reliefs des rondins, j’ai le sentiment qu’elle entend ce que je dis. Que je parle à Isa, à travers le temps qui nous a séparés.

Elles se parlent, les filles. Je sais qu’elles se parlent.

Je lui ai pas coupé la langue. J’ai eu peur que ça empêche mon fils de grandir. Je sais que les enfants doivent entendre la voix de leur mère pour grandir. La voix de ma mère, elle m’aidait à grandir. Elle me protégeait.

Des conneries !

Elle me protégeait pas. Elle se taisait. Elle ne disait rien. Les yeux de ma mère, ils ne voyaient rien. Ils ne voulaient pas voir. Je vais lui faire du mal et j’ai besoin de voir mon sexe se dresser. La fille va regarder. Un frisson, comme le froid de l’hiver.

Je retourne dans la chambre. Elles vont entendre le déclic de la serrure et elles vont se taire. Je ne veux pas qu’elles parlent et je ne veux pas qu’elles soient ensemble.

Francis n’est plus là. On n’est plus ensemble. Alors je continue de lui parler comme si je ne savais pas. Comme si elle avait écouté mes mots depuis tout à l’heure.

Je parle à Isa. Isa qui m’écoute. Et à Francis.

– C’est pour ça que je te laverai avant. Pour que ta peau soit douce. Tes cheveux aussi. Coiffés, peignés. T’auras pas mal. Je te promets que t’auras pas mal. Au début.

Et quand je m’approche, je peux voir la peur dans ses yeux. J’aime quand elles ont peur.

– J’espère que tu vas crier aussi. Je lui dis. Comme elles.

Un éclair. Une lumière derrière ses pupilles. Les lumières qu’elles allument quand elles vont hurler.

– Elles ont toutes crié. Toutes. Je peux pas te dire ce que ça me fait dans le dedans de moi. Comme quand tu frissonnes avec le vent du soir. J’aime bien le vent du soir. Il apporte les odeurs de la forêt. Ces odeurs que je me lasserai jamais de sentir. Parce que je passerai ici ce qu’il reste de ma vie. De toute ma vie. Mais ma vie, je m’en fous aussi. Elle était mieux avant.

Je sais pas pourquoi je lui raconte ça. Dans quelques minutes, elle hurlera, comme les autres. Comme toutes les autres. Je pose mes mains autour d’elle. Je la fixe. Je veux qu’elle entende mes mots. Qu’ils aillent jusqu’au fond d’elle. Jusqu’au fond de son âme.

– Avant, il y avait Francis. Mais Francis, il n’est plus là. Il est dans la terre. Tu comprends, il est dans la terre. Tu peux pas le voir, mais il est là. Tu vois mes cheveux ? C’est pour être lui, un peu.

Elle se rend pas compte, mais elle a des larmes dans les yeux. Ça veut dire qu’elle va crier. Ça veut dire que quand elle hurlera, mon sexe sera dressé comme quand Francis me regardait.

Francis.

– Quand je leur fait du mal, Francis, il revient. Je sens quand il est là. Juste à côté de moi. Toi aussi tu vas le sentir.

– Il est mort comment ?

Elle veut savoir. Elle veut comprendre avant. Elle est plus forte que les autres. Peut-être que c’est elle qui aurait dû porter mon fils. Elle que j’aurais dû mettre dans la cage.

– J’ai vidé son âme, je lui dis. J’ai pris son sang, et je l’ai mis dans la terre. Sous les arbres pour qu’ils grandissent encore. Le sang les fait pousser vers le ciel. T’as pas entendu ce que je disais tout à l’heure ?

J’ai crié. Je veux voir si elle a peur ou si elle me fait confiance.

– C’était votre frère ? elle demande.

Alors je me retourne pour prendre le couteau. Le couteau qui ouvre les corps. Qui enlève la peau pour regarder dessous. Celui qui a tranché les langues qui hurlaient.

– Mon frère. Je lui dis. Mon frère de sang. On partageait tout. Jusqu’à ce qu’Isa parte. Jusqu’à ce qu’elle soit mortenterrée par mon père. Jusqu’à ce qu’il mette son sexe dans le ventre d’Isa ! Tu comprends ?

Je me suis retourné pour qu’elle voie ma colère. Pour qu’elle entende les mots que je lui dis.

– Tu comprends ? Mon père il a mis son sexe dans le ventre d’Isa ! Il lui a fait comme il me faisait à moi ! Il avait pas le droit ! Pas le droit !

L’autre a crié. L’autre fille. SarahIsa. Elle a peur. Elle ne devrait pas avoir peur. Je le lui ai dit déjà.

– Tais-toi ! Toi, t’auras pas mal. Je te l’ai dit déjà. Toi tu porteras mon fils dans ton ventre.

Je m’approche d’elle, dans sa cage, encore plus près. Elle est belle, avec le sang qui la recouvre. Ses yeux brillent. Des lumières blanches au milieu d’une pluie de couleur. Je pose la main sur son ventre. Je veux sentir mon fils, juste là. Mais je sens rien.

Rien. La vie que je lui ai donnée n’est pas restée. La peur est trop forte. Bien trop forte.

Je me suis trompé. Quand je passe la lame sur sa gorge, je sens mon sexe qui se dresse. Je regarde ce morceau de moi, qui vit en dehors de mon corps. Ce morceau de moi qui pénètre la fille allongée sur la table. Je sens la résistance que son corps oppose au mien, puis le petit déchirement au fond d'elle. Je sens la vie qui me quitte pour aller jusque dans son ventre. Comme une barre de chair. Cette barre de chair, faite pour blesser les femmes et les enfants, mais faite aussi pour donner la vie. Comme celle de mon père. Comme celle de Papa, quand je m’approche à nouveau de la cage.

– Tu me vois Papa ? Tu me vois ?

Les yeux de la fille sur moi. Sa surprise. Elle n’a pas le temps de crier. Le sang qui coule de sa gorge se répand sur ses seins et descend jusqu’au ventre qui aurait pu porter mon fils.

Ses yeux dans les miens.

Les yeux d’Isa qui fixent mon âme.

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